Cinéma : danse avec les islamistes

Dans un film habile, le réalisateur tunisien Nouri Bouzid confesse ses difficultés à évoquer l’intégrisme religieux.

Renaud de Rochebrune

Publié le 16 novembre 2009 Lecture : 2 minutes.

Bahta, Tunisien de 25 ans, est chômeur. Danseur de break­dance très doué, il ne rêve que de franchir la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Hypersensible, mal dans sa peau, mais plein d’humour et d’esprit plutôt libertaire, il affronte avec un grand sens de la dérision ses déboires dans tous les domaines : les études, le travail, les amours, la famille. Jusqu’au jour où, ayant subtilisé l’uniforme de son frère policier pour aller railler dans un café fort fréquenté les « Tunisiens moyens » résignés à vivre petitement, il franchit la ligne rouge : on ne se moque pas impunément des forces de l’ordre ! Recherché, il devient la proie d’un groupe d’islamistes qui, sous couvert de l’aider à se cacher, le prennent en main afin de le transformer en kamikaze. Jusqu’à… une fin que nous ne raconterons pas.

Résumé ainsi, le nouveau long-métrage de Nouri Bouzid, qui sort enfin hors du Maghreb trois ans après avoir obtenu un Tanit d’or au Festival de Carthage, se présente comme un film de plus sur les islamistes. Car même s’ils ne sont pas si nombreux à avoir abordé le sujet de front, plusieurs réalisateurs du monde arabe, en particulier algériens et palestiniens, ont déjà évoqué « de l’intérieur » les dangers de l’intégrisme. Mais voilà : raconter ainsi Making of ne rend pas compte avec justesse de son contenu et de sa grande originalité. 

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Lavage de cerveau

Comme son titre l’indique, ce film se veut à la fois un récit classique sur un « lavage de cerveau » et un « making of » de l’œuvre. Autrement dit, un retour sur les aléas de sa réalisation. Trois longues séquences interrompent le déroulement linéaire des événements pour nous faire partager, comme dans un documentaire, les interrogations du réalisateur et de son talentueux acteur principal, Lofti Abdelli. Tous deux confessent face à la caméra une peur réelle. Pour le cinéaste, celle de ne pas réussir à faire passer son « message » sur la nécessité de défendre la laïcité et la liberté d’expression. Pour le comédien, celle de devoir incarner un individu qui se transforme en monstre, au risque, pense-t-il, de dévaloriser l’islam, ce qu’il veut à tout prix éviter.

Surprenantes et très réussies, ces scènes qui prennent la tournure d’un affrontement sans merci entre les deux protagonistes relancent à chaque fois l’intérêt du film. Nouri Bouzid confirme une fois de plus son habileté à aborder, à travers des sujets très divers et toujours délicats, les malaises de la société arabe contemporaine. Ses films, bien qu’inégaux, ne sont jamais mineurs. 

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