Photographie : au nom du père
En 1993, Bruno Boudjelal est parti à la rencontre de ses origines, en Algérie. Au même moment, il se lançait dans la photo. Il expose aujourd’hui sa quête personnelle.
La nuit et le silence s’invitent souvent dans les photos de Bruno Boudjelal. Des lueurs, des reflets, des impressions saisies au vol. Des instants fugitifs sous un ciel gris. Jusqu’au 14 novembre, le photographe expose son travail au Pavillon carré de Baudouin (Paris) sous l’intitulé « Jours intranquilles, chroniques algériennes d’un retour ».
Au départ, c’est une quête personnelle qui a entraîné Boudjelal en Algérie. En 1993, alors qu’il gagnait jusque-là sa vie comme guide en Birmanie, il décide de partir à la découverte du pays natal de son père. C’est un pas vers le néant : ses origines lui ont toujours été tues. En France, son père, Lemaouche, est devenu Jean-Claude – et parfois même Claudio pour faire croire à des racines italiennes. C’est aussi un pas vers le chaos : l’Algérie vit l’une des périodes les plus noires de son histoire.
Boudjelal choisit ce moment charnière de sa vie pour se lancer dans la photographie. Ni Leica ni Hasselblad en bandoulière. « Les appareils photo, je m’en fiche, confie le photographe représenté aujourd’hui par l’Agence VU’. En 1993, on ne pouvait pas photographier. Il était impossible de cadrer. Se balader avec un appareil amateur bon marché permettait de ne pas apparaître comme un professionnel et d’éviter les problèmes. Ce n’était pas un choix esthétique au départ, mais cela a généré une forme esthétique : je travaille aussi sur l’impossibilité de dire, sur les photos que j’aurais voulu prendre et que je ne ferai jamais. »
Les images prises lors des premiers voyages dans la famille de son père seront publiées dans le magazine Geo, laissant entrevoir sans ostentation ni impudeur l’évolution d’une démarche existentielle.
Secrets de famille
Au cours des années 1990, Bruno Boudjelal découvre qu’il est né Bruno Sombret, à Montreuil, qu’il a été placé pendant plus d’un an dans un « institut pour enfants illégitimes » avant d’être reconnu par son père. Et apprend que son oncle est mort torturé par les Français… Jean-Claude Boudjelal ne supporte pas ce retour vers le passé ; le père et le fils rompent. « Tous étaient opposés à ce que je retourne là-bas et que je fasse remonter à la surface des secrets de famille dont on ne devait plus entendre parler. » Aujourd’hui, la quête se poursuit, mais différemment. « Je ne sais pas si ce travail m’a apporté la sérénité, mais il m’a permis d’avancer et de me construire. »
À la fin des années 1990, il se sent enfin capable de sortir du cercle familial pour se confronter au pays. En 2002, en quelque trente minutes, juste avant qu’un jeune garçon vienne lui dire : « Il vous faut partir, la police arrive », il prend une quinzaine d’images à Bentalha, où plus de 400 personnes ont été massacrées dans la nuit du 22 au 23 septembre 1997. Une télévision allumée dans une pièce qui semble vide, deux chaussures d’enfant posées sur le carrelage et comme abandonnées : impossible de ne pas imaginer l’horreur. Et sur les quinze images, il y a un autoportrait. L’histoire de Bruno Boudjelal rejoint celle de l’Algérie. Maintenant, il va pouvoir traverser le pays d’est en ouest, à la rencontre du quotidien des Algériens. Et un peu plus tard, bientôt peut-être, il y emmènera ses deux filles.
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