Beac : l’heure des comptes
Un gouverneur qui refuse de démissionner, des inculpés qui circulent en liberté, des chefs d’État qui peinent à s’entendre. Décidément, le scandale révélé par Jeune Afrique n’a pas fini de faire des vagues.
Des bureaux et des couloirs presque vides. Le moral n’y est plus au 736, avenue Monseigneur-Vogt, à Yaoundé (Cameroun). L’imposante tour de la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) tourne à vide. Au propre comme au figuré. Depuis le début de l’année, les 2 400 salariés sont gagnés par un profond doute après les révélations sur les pertes de 25 millions d’euros liées à un placement toxique vendu à la direction de la banque par la Société générale fin 2007 et, surtout, sur les détournements évalués à 30 millions d’euros (19 milliards de F CFA) opérés depuis au moins cinq ans par le bureau parisien de la Beac. Le climat est délétère. « Presque plus personne ne travaille, tout le monde a peur et craint une chasse aux sorcières. Une véritable chape de plomb recouvre la Banque centrale », témoigne un cadre du siège.
Les six chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) ont pourtant décidé d’aller vite pour éteindre le feu qui embrase la Banque centrale de la région. Le 19 octobre dernier, Ali Bongo Ondimba (ABO), le nouveau président de la République du Gabon, a frappé fort au cours de son premier Conseil des ministres. Son pays est au cœur de la polémique. Il désigne par tradition l’un de ses ressortissants pour occuper le poste de gouverneur de la Beac, une proposition validée ensuite par les chefs d’État de la Cemac. Or le Gabonais Philibert Andzembé, en poste depuis l’été 2007, est sur un siège éjectable depuis des mois.
Soucieux d’appliquer ses promesses de campagne et de se démarquer de l’ancien système, ABO a souhaité faire rapidement le ménage chez lui et donner des gages à l’intention de ses partenaires de la Cemac et de la France, présente au conseil d’administration de la Banque centrale. « La vérité, toute la vérité », rappelle en continu Paris. Au préalable, le chef de l’État a pris la précaution de rencontrer ses homologues Denis Sassou Nguesso, Teodoro Obiang Nguema et François Bozizé en marge de sa prestation de serment à Libreville, le 16 octobre, pour s’assurer que le futur gouverneur de la Banque centrale demeurerait un Gabonais. Il lui reste à convaincre Paul Biya, au Cameroun, et à prouver qu’il sera intraitable dans la gestion du scandale.
Détermination gabonaise
Le communiqué du Conseil des ministres du 19 octobre traduit la détermination gabonaise. Libreville s’engage à « faciliter les enquêtes des cabinets d’audit mandatés par la Beac ainsi que les investigations de la brigade financière française auprès de laquelle la Beac a porté plainte », à « faire arrêter les fonctionnaires gabonais de l’institution présumés impliqués et résidant sur le territoire national » et à « rappeler le gouverneur de la Beac, Philibert Andzembé, en vue de son remplacement ».
Dans la foulée, l’annonce de l’interpellation à Libreville de deux protagonistes majeurs dans l’affaire de malversations, Armand Brice Ndzamba et Maurice Moutsinga, a confirmé la fermeté des autorités gabonaises. Comptable du bureau parisien de 1994 à mai 2009, le premier est considéré comme le cerveau des détournements. Il avait quitté discrètement Paris en janvier et s’était réfugié depuis en pleine forêt équatoriale chez les Pygmées pour soigner un mal contre lequel la médecine moderne s’est avérée impuissante. Le second, son oncle et son officier traitant à Yaoundé, a été le directeur de la comptabilité et du contrôle budgétaire au siège de la Banque, de 2000 à décembre 2007. Aujourd’hui à la retraite, il se cachait à Mouila, à environ 200 kilomètres à vol d’oiseau au sud de Libreville. Sauf que… Maurice Moutsinga a été aperçu par plusieurs témoins le 24 octobre lors de l’enterrement d’un ancien responsable du bureau de la Beac à Port-Gentil ! Et que l’arrestation effective d’Armand Brice Ndzamba reste à démontrer. « Le dossier est couvert par le secret de l’instruction », obtient-on comme toute réponse de la présidence gabonaise.
Autre source d’étonnement : le rappel du gouverneur Andzembé ne s’est pas encore traduit dans les faits. S’il a bien commencé à faire ses cartons le 20 octobre, il a depuis présidé officiellement plusieurs réunions et déjeuners. Et la rumeur d’enfler : Philibert Andzembé vivrait mal son rappel et serait entré en résistance. « Au regard du comportement de défiance affiché par M. Andzembé envers le gouvernement gabonais, il y a lieu d’agir vite », conclut une note de la présidence gabonaise du 26 octobre. Son successeur doit en théorie être désigné lors de la Conférence des chefs d’État de la Cemac, qui doit se tenir à Bangui (Centrafrique), à la fin du mois de novembre. Toutefois, pour remettre en marche la Banque centrale au plus vite et retrouver la confiance des marchés, le Cameroun et la Guinée équatoriale poussent pour qu’une conférence extraordinaire des chefs d’État précède la conférence ordinaire au cours de la première quinzaine de novembre. Mais les deux pays se disputent pour organiser l’événement de la passation des pouvoirs !
En parallèle à l’action du Gabon, le comité d’audit interne de la Beac poursuit son enquête « pour établir les premières responsabilités ». Composé de six membres et présidé par le directeur du budget équato-guinéen, Miguel Engonga Obiang, il s’est rendu par vol spécial de Yaoundé à Libreville le jeudi 21 octobre, un saut de puce d’une trentaine de minutes. Sur place, les auditeurs ont entendu, dans les bureaux gabonais de la Beac, Armand Brice Ndzamba, Maurice Moutsinga ainsi que Jean-Félix Mamalepot, 69 ans, l’emblématique gouverneur de la Beac, de 1990 à 2007. Dix-sept ans de présidence encensée hier, mais largement suspecte aujourd’hui. Nommé depuis président du conseil d’administration de l’assurance-maladie du Gabon, il figure parmi les personnes limogées le 19 octobre. Mais sans être davantage inquiété, pour l’instant, par la justice.
Selon des sources proches du comité d’audit, les deux hommes interrogés à Libreville ont livré « des tonnes d’informations » et mis en cause plusieurs hauts responsables financiers de la région. De retour à Yaoundé, le comité d’audit a entendu le 23 octobre dans les locaux de la Beac le ministre tchadien des Finances et du Budget, Gata Ngoulou. Éminence grise de Jean-Félix Mamalepot, il a été secrétaire général de la Beac de 1998 à 2008. Enfin, le comité a auditionné Jean-Marie Ogandaga-Ndinga, l’actuel délégué de la Beac à Paris, et le vice-gouverneur, le Congolais Rigobert Roger Andely.
Le FMI exige la transparence
Le comité d’audit a par ailleurs remis son rapport sur « les malversations du bureau extérieur de Paris » lors d’un conseil d’administration de la Beac, le 26 octobre à Douala, présidé par… Philibert Andzembé. Le document a également été scruté le 28 octobre, toujours à Douala, lors d’un comité ministériel. Selon l’exigence du FMI, le rapport doit être publié, sans doute fin novembre, après que les chefs d’État de la Cemac en auront pris connaissance. Pour expédier les affaires courantes, les deux organes de gouvernance de la Banque centrale ont instauré un système de double signature, celles du gouverneur et du vice-gouverneur. Deux hommes qui se détestent cordialement.
Jusqu’à quand ? Le nom du Gabonais Hugues-Alexandre Barro Chambrier circule avec insistance pour succéder à Philibert Andzembé. Ex-ministre de l’Économie et des Finances et ancien administrateur Afrique du FMI, il est aujourd’hui parlementaire. « Je ne suis au courant de rien. Je suis député et j’ai mes activités à Libreville », se contente de commenter l’intéressé. Sa candidature pourrait être appréciée au-delà du Gabon. Sa femme, Hélène Loemba, est en effet la nièce d’Antoinette Sassou Nguesso, la première dame du Congo. Reste que sous Omar Bongo la proposition gabonaise valait décision. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
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