Serge Bilé et Mathieu Méranville : têtes blondes et moutons noirs

Les enseignants français d’origine africaine et antillaise victimes de discriminations ? Dans un livre récent, deux confrères en font la démonstration.

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 12 novembre 2009 Lecture : 2 minutes.

Auteur de nombreux ouvrages consacrés aux Noirs, le journaliste Serge Bilé récidive en publiant avec son confrère Mathieu Méranville une enquête sur les discriminations dans l’Éducation nationale. Où l’on découvre que les enseignants antillais ou d’origine africaine sont loin d’être épargnés par le racisme latent de la société française. 

Jeune Afrique : Encore un livre sur les Noirs ! Ne craignez-vous pas d’être accusés d’exploiter un filon ?

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Serge Bilé : Le succès de mes précédents livres montre que les lecteurs sont curieux de mesurer l’ampleur des préjugés et des discriminations dans un pays qui interdit les statistiques ethniques. Et puis nous ne devons pas avoir honte de parler de notre histoire, qui a toujours été écrite par des Blancs.

Mathieu Méranville : D’autant qu’il y a en France un véritable tabou sur les discriminations. Le racisme est couvert par un discours égalitaire. Il est donc latent et très difficile à dénoncer. À la rigueur, on veut bien tenter d’en atténuer les effets, jamais de s’en prendre aux causes. 

L’Éducation nationale française n’est, selon vous, pas épargnée ?

S.B. : Non, notre livre brise l’image idéalisée que les Français se font de leur école républicaine. Mais lorsque nous avons commencé à enquêter, nous étions loin de soupçonner l’ampleur du malaise. Tous les professeurs noirs ou d’origine africaine que nous avons rencontrés – une centaine, au total – nous ont confié avoir été confrontés au problème.

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M.M. : Plus incroyable encore que les discriminations, il y a la volonté de l’administration de ne jamais faire de vagues. Malgré des preuves évidentes, comme dans le cas du Franco-Congolais Eugène Loubelo, au sujet duquel une inspectrice d’Académie a commandité un faux rapport de stage pour ne pas avoir à le titulariser ; malgré la mobilisation de professeurs scandalisés, on cherche toujours à étouffer les affaires de ce genre. 

Vous n’évoquez pas uniquement le racisme de la hiérarchie…

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M.M. : C’est vrai. De nombreux témoignages mettent en évidence le racisme de certains collègues, d’élèves et même de parents envers les professeurs noirs. Il y a aussi du racisme « intercommunautaire », notamment entre Africains et Antillais. Par ailleurs, certains enseignants décrivent le « racisme imaginaire » de certains élèves, ou encore le « complexe de colonisés » de jeunes convaincus que le savoir reste une affaire de Blancs. Enfin, beaucoup d’enseignants noirs ont le sentiment d’être prioritairement envoyés dans des « ghettos noirs » où, selon l’administration, ils seraient comme des « poissons dans l’eau » – ce qui est évidemment une aberration.

S.B. : Loin de nous toute idée de « victimisation ». Certains propos du livre sont même assez dérangeants pour la communauté afro-antillaise, qui n’est peut-être pas assez combative. En tout cas, elle ne lit pas assez. Il faut donc la faire réagir avec un livre au titre très provocateur ! 

Quelles solutions préconisez-vous ?

S.B. : En ce qui concerne le fameux « plafond de verre » [sorte de frontière invisible qui empêche les membres d’une minorité d’accéder aux plus hautes responsabilités professionnelles, NDLR], il faudrait pouvoir disposer de statistiques ethniques. Parce qu’il est indispensable de bien mesurer le problème avant d’essayer d’y remédier. On ne me fera pas croire que de telles statistiques représentent un péril pour la République !

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