Où va la Tunisie ?

Zine el-Abidine Ben Ali réélu, qu’attendre de son cinquième mandat ? Si l’ensemble des indicateurs économiques et sociaux sont au vert, le modèle tunisien donne des signes d’essoufflement et semble atteindre ses limites.

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Publié le 9 novembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Contempteurs acerbes contre thuriféraires zélés, vitupération contre flagornerie : quand on parle aujourd’hui de la Tunisie, il semble qu’il faille choisir son camp et qu’il n’y ait pas d’autres voies possibles. On l’attaque ou on la défend aveuglément, sans nuance. Bref, c’est l’enfer ou le paradis. La vérité ? Ni l’un ni l’autre, évidemment. La litanie de clichés et de caricatures qu’on nous inflige – pour louer ou condamner – devient lassante. Aux excès des uns répondent les dérapages des autres. La Tunisie, comme le Maroc et l’Algérie, suscite les passions, en particulier de l’autre côté de la Méditerranée. Surtout en période électorale…

Zine el-Abidine Ben Ali a donc été réélu, sans surprise, pour un cinquième et théoriquement dernier mandat, avec 89,62 % des voix, contre 94,49 % en 2004 et plus de 99 % lors des scrutins de 1999, 1994 et 1989. Taux de participation officiel : 89,45 %. Face au chef de l’État sortant, trois candidats, dont deux de la mouvance présidentielle, Mohamed Bouchiha (Parti de l’unité populaire, PUP, 5,01 % des voix) et Ahmed Inoubli (Union démocratique unioniste, UDU, 3,80 %). Ahmed Brahim, seul véritable opposant, du parti Ettajdid (Le Renouveau), ne recueille que 1,57 % des suffrages, légèrement mieux que son prédécesseur de 2004, Mohamed Ali Halouani (0,95 %). Une réélection dans un fauteuil donc, mais avec un score inférieur à ceux des précédentes présidentielles.

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Côté législatives, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD, au pouvoir) obtient 84,59 % des voix, remportant ainsi 75 % des sièges, soit 161 sur les 214 que compte la Chambre des députés. Les 25 % restants, 53 sièges, étant réservés par la loi aux autres partis. En dehors de la galaxie des partis affiliés à la mouvance présidentielle, seul Ettajdid sera représenté au Parlement, avec deux députés. Le Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL) de Mustapha Ben Jaafar n’obtient aucun siège. Le Parti démocratique progressiste (PDP) de Nejib Chebbi et Maya Jribi, lui, a préféré la voie du boycott. Voilà pour les résultats. 

Quel état de santé ?

Parmi les réactions diplomatiques, celles des deux principaux soutiens de la Tunisie, pas vraiment sur la même longueur d’onde. La France applaudit et félicite l’hôte du Palais de Carthage. L’administration américaine, elle, a préféré émettre des réserves. « À notre connaissance, aucune autorisation n’a été accordée à aucun observateur international crédible », a expliqué le porte-parole du département d’État, Ian Kelly, avant de préciser que les États-Unis étaient prêts à travailler avec les autorités tunisiennes et appelaient de leurs vœux des réformes politiques et un plus grand respect des droits de l’homme. Rien de très nouveau de ce côté non plus.

L’élection passée et les tensions retombées, quel diagnostic établir sur « l’état de santé » de la Tunisie ? Quelle direction emprunte le pays ? Que peut-on attendre du quinquennat qui s’ouvre ? L’enquête minutieuse – et débarrassée de tout élément subjectif – que nous vous proposons dans les pages qui suivent s’intéresse essentiellement à la sphère économique et sociale, pierre angulaire des réalisations du régime de Zine el-Abidine Ben Ali et bouclier généralement brandi par les défenseurs du pays face aux attaques répétées sur l’état des libertés. Elle livre plusieurs enseignements.

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Première leçon, la Tunisie se porte bien, résiste mieux que d’autres à la récession mondiale. Les fondamentaux sont solides, les acquis sociaux aussi. En revanche, et c’est là que le débat sur l’impérieuse ouverture démocratique prend tout son sens, l’économie donne des signes d’essoufflement. Ou plutôt, elle plafonne. Les points de croissance qui lui manquent pour devenir un champion méditerranéen et non plus seulement africain sont conditionnés par cette ouverture. Inutile de les chercher ailleurs, sauf à grappiller ici et là quelques décimales… Davantage de libertés, donc, mais aussi de transparence et de débats. Sinon, le risque est grand de voir la Tunisie condamnée à stagner, à un niveau très honorable, certes, envié par nombre d’autres pays africains – qui peinent d’ailleurs à comprendre les critiques formulées, la plupart du temps par les Occidentaux, à l’encontre d’un pays dans lequel ils aimeraient bien vivre –, mais loin de son potentiel présumé. Sans parler de la probabilité que les élites intellectuelles et économiques finissent par aller chercher sous d’autres cieux la possibilité de donner la pleine mesure de leurs talents.

La Tunisie va donc plutôt bien. Mais, pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir de Zine el-Abidine Ben Ali, les incertitudes semblent prendre le pas sur les motifs de satisfaction. Pour une raison simple : ce qui est fait n’est plus à faire. Éducation performante, santé pour tous, développement humain, éradication de la grande pauvreté, infrastructures, émergence d’une large classe moyenne, droits de la femme, stabilité : autant de véritables acquis, qu’il faut consolider certes, mais qui existent, sur le papier comme dans la réalité. Les sources d’inquiétude ? Le chômage des jeunes, les investissements en baisse, l’endettement des ménages… et l’avenir. Seule certitude, les promesses de Ben Ali : réduire le taux de chômage (14 %, d’après les chiffres officiels), augmenter de 40 % le revenu moyen des Tunisiens d’ici à 2014, garantir les libertés et accélérer l’émancipation des femmes à travers une politique de discrimination positive.

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Le chef de l’État devrait, dans les semaines à venir, impulser une nouvelle dynamique en injectant du sang neuf au sein du gouvernement, voire à la tête de ce dernier. L’inamovible Premier ministre Mohamed Ghannouchi, en poste depuis dix ans maintenant, pourrait être remplacé. Le profil et l’identité de son éventuel successeur devraient nous renseigner sur les orientations que compte donner Ben Ali à son cinquième mandat. Unique centre de décision et d’impulsion, le chef de l’État a toutes les cartes en main. Adepte de la méthode des petits pas et soucieux de préserver la stabilité, sera-t-il disposé à procéder à l’ouverture tant attendue et à « lâcher du lest » ? Si la Tunisie veut continuer sur sa lancée et rester le modèle de développement qu’elle incarne encore, elle n’a pas le choix. Non pas pour faire taire ses contempteurs, améliorer son image ou céder aux pressions extérieures, mais parce qu’il y va de son avenir. Tout simplement.

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