Dadis seul au monde… ou presque

Depuis le massacre du 28 septembre – au moins 150 morts dans un stade de Conakry –, la junte au pouvoir est mise à l’index par la quasi-totalité de la communauté internationale. Mais son chef ne veut rien entendre, conforté par les tâtonnements des uns et les ambiguïtés des autres.

Christophe Boisbouvier

Publié le 9 novembre 2009 Lecture : 4 minutes.

C’est la dernière anecdote qui court à Conakry. Le 24 octobre, le ministre de la Défense, Sékouba Konaté, rentre d’une tournée de plusieurs jours en Afrique. « La situation est mauvaise, confie-t-il à son chef, Moussa Dadis Camara. La Cour pénale internationale, la Cedeao, l’Union africaine, les Américains, les Européens… Tout le monde est contre nous. Il faut trouver une solution. » Dadis : « Oui, mais le peuple est avec nous. » Sékouba : « De quel peuple tu parles ? De celui sur lequel on a tiré ? »

Depuis le massacre du 28 septembre – au moins 150 morts dans un stade de Conakry –, la junte guinéenne est l’un des régimes les plus isolés au monde. À preuve, le duo Obama-Sarkozy, qui n’est pas toujours harmonieux, fonctionne parfaitement sur le cas Dadis. Jusqu’à présent, les présidents américain et français n’en ont pas parlé au téléphone, mais, dès le 5 octobre, Washington et Paris ont mis le chef de la junte sous pression.

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Ce jour-là, le sous-secrétaire d’État américain William Fitzgerald débarque à Conakry. Devant Dadis, il respire un grand coup et se lance : « Monsieur le Président, je suis porteur d’un message du président Obama. Hier, je me suis arrêté à Paris et j’en ai parlé avec mes amis français [NDLR : un proche de Nicolas Sarkozy à l’Élysée]. Ils sont sur la même longueur d’onde. Si vous choisissez une terre d’asile, nous garantirons votre sécurité. » Le sang de Dadis ne fait qu’un tour : « Mais pour qui vous prenez-vous ? Vous n’êtes pas venu à bout de Ben Laden, qui n’a pas de territoire, et moi, qui ai un territoire, vous croyez que je vais partir comme ça ! » 

Prudence, prudence…

Cinq jours plus tard, l’Américaine Hillary Clinton et le Français Bernard Kouchner enfoncent le clou. Lors d’une rencontre à Zurich, en Suisse, les deux chefs de la diplomatie réclament d’une même voix une commission d’enquête internationale. « Les meurtres au hasard et les viols par les forces gouvernementales, c’est infâme », ajoute la secrétaire d’État américaine, qui fait de la lutte contre les crimes sexuels l’une des priorités de son mandat. Commentaire d’un opposant guinéen : « Pour une fois, Sarkozy joue franc-jeu. Il ne faut pas le tancer tous les jours. Bon… Il est vrai que la France n’a pas beaucoup d’intérêts dans mon pays. »

Autre duo très influent dans le lobby anti-Dadis : le couple Yar’Adua-Ibn Chambas. D’habitude effacé, le chef de l’État nigérian tient des propos d’une grande fermeté : « On ne peut pas rester les bras croisés. Il faut une solution robuste. » Quant au président de la Commission de la Cedeao, il met en œuvre les sanctions. Le 29 octobre, à Abuja, il a convaincu les chefs d’État de l’Union africaine (UA) de mettre à l’index les putschistes guinéens (refus de visas, restrictions de voyages et gel des avoirs). L’Union européenne (UE) et les États-Unis en ont fait de même.

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La junte seule contre tous ? Pas si simple. Le colonel Kadhafi souffle le chaud et le froid. Un jour, il fait savoir discrètement à Dadis qu’il lui offre l’asile en Libye. Le lendemain, devant les comités populaires, il affirme, exemple guinéen à l’appui, que la démocratie est un cancer inoculé par les Occidentaux pour détruire l’Afrique… Surtout, dans la région, les voisins immédiats de la Guinée ne tiennent pas un discours aussi va-t-en guerre que le Nigeria. Lors du sommet de la Cedeao du 17 octobre, à Abuja, la Libérienne Ellen Johnson-Sirleaf, le Sierra-Léonais Ernest Bai Koroma et le Bissau-Guinéen Malam Bacaï Sanha ont plaidé en faveur d’une solution négociée. Leur hantise : une guerre civile guinéenne qui ferait tache d’huile dans leur pays. Quant au Malien Amadou Toumani Touré, il n’a pas pris la peine de se déplacer ni d’envoyer son ministre des Affaires étrangères. Prudence, prudence…

Le cas de la Côte d’Ivoire est encore plus éloquent. Pendant le conflit ivoirien, la Guinée de Lansana Conté penchait du côté de Laurent Gbagbo. C’est ainsi que quelques hélicoptères de l’armée ivoirienne ont été mis à l’abri à Conakry. Mais le 26 septembre, à Labé, le successeur de Conté a réservé une petite surprise à ses partisans réunis dans le stade de la ville. À la tribune, il a accueilli l’une des figures des Forces nouvelles, Sidiki Konaté, un proche de Guillaume Soro. Dadis joue-t-il au balancier entre Gbagbo et Soro ? En tout cas, le 17 octobre, le président Gbagbo a pris soin de ne pas indisposer son voisin guinéen. Il n’a envoyé personne à Abuja. Comme ATT, il ne s’est fait représenter que par son ambassadeur… 

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Impossible médiation

Comment être médiateur dans ces conditions ? Le Sénégalais Abdoulaye Wade s’y est essayé. Mais après la tragédie du 28 septembre, il a jeté l’éponge et s’est tourné vers Blaise Compaoré, lâchant d’un ton las : « Seul un militaire peut parler à un militaire. » Aujourd’hui, le chef de l’État burkinabè est devant un casse-tête : comment faire partir en douceur un homme qui n’entend que le langage de la force ? Il sait qu’à Washington, Paris et Abuja plusieurs scénarios militaires sont envisagés. Option maximale : le déploiement d’une force d’interposition, comme au Liberia entre 1990 et 1999. Au plus fort de la bataille, l’Ecomog comptait 20 000 hommes ! Option a minima : l’envoi d’une petite force d’observation, comme au Togo lors des législatives de 2007 – une centaine de soldats de la Cedeao. Entre les deux options, Blaise Compaoré a de la marge…

« Attention ! prévient un opposant guinéen. Dadis a recruté des miliciens parmi les anciens mouvements rebelles du Liberia et dans sa région forestière. Si on débarque en force, il y a risque de guerre civile. » Un décideur français ajoute : « L’idée, ce serait peut-être de saisir l’opportunité de la commission d’enquête de l’ONU. Quand elle arrivera à Conakry, il faudra bien qu’elle soit escortée, ne serait-ce que pour sécuriser les victimes qui témoigneront. » Bref, à Ouagadougou comme à Paris, on tâtonne. Et l’on rêve, sans trop y croire, d’un coup d’État interne qui ferait sauter le verrou Dadis.

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