Courrier des lecteurs

Publié le 20 octobre 2009 Lecture : 8 minutes.

À défaut des urnes…

– La tuerie de plus d’une centaine de manifestants à Conakry est d’une édifiante, quoique cruelle et cynique, banalité. La typologie et la topographie des conflits en Afrique démontrent bien que les pertes en vies humaines sont plus souvent dues à la répression et aux exactions internes qu’à des heurts transfrontaliers. Cela s’explique, en partie, par le rapport entretenu par maints gouvernants africains avec le pouvoir et, partant, avec leur peuple. Ce dernier est perçu comme un ennemi en projet, manipulable par les grands vizirs de l’opposition qui ne rêvent que d’être califes à la place du calife.

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C’est donc la déferlante populaire qu’il faut endiguer, réprimer, avant de cueillir les têtes pensantes de l’opposition. Sinon, comment comprendre le déploiement de l’armée et de la police dans les rues de nos villes à l’occasion de toutes les élections générales, qui ne sont pourtant que l’accomplissement par les citoyens d’un devoir républicain parmi tant d’autres, comme le paiement des impôts, voire le respect des feux de circulation ? Pourquoi diantre ne mobilise-t-on pas l’armée pour régler la circulation à des feux éteints depuis des lustres ?

Cela veut bien dire que les gouvernants, guinéens ou autres, ne craignent pas les cinq ou dix opposants déclarés (par ailleurs physiquement maîtrisables au saut du lit, à l’aide de simples menottes) mais bien leur propre peuple. Des peuples qui, en définitive, font et défont les gouvernants dans les rues. À défaut de pouvoir utiliser les urnes.

Cyprien Kibangou, Abidjan, Côte d’Ivoire

L’État sauvage

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– La une du J.A. n° 2543 a choqué plus d’une personne. Toutefois, la chronologie des événements relatés dans l’article ainsi que les témoignages des victimes dans les médias internationaux et sur les blogs indépendants montrent la justesse de cette couverture.

En effet, si les exactions, les violences et les viols sont monnaie courante en Afrique, le cas guinéen est troublant et révoltant. Les exactions ont été jusque-là l’apanage de groupes armés sans réel but ni projet social, dont le seul dessein était d’accéder au pouvoir par de grands raccourcis. Je veux parler des nombreux groupes et autres mouvements rebelles qui fleurissent sur le continent. Mais qu’une armée nationale dite « républicaine », blanchie et entretenue aux frais de la population, se mette à tuer, violenter et violer le peuple qu’elle est censée protéger – sans être confrontée à une situation de belligérance –, c’est à n’y rien comprendre.

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Toutefois, si je peux me permettre, j’aurais préféré voir à la une « Guinée : l’armée sauvage ». Car, à mon sens, « l’État sauvage » englobe le peuple guinéen alors qu’il est et reste un peuple digne, brave, travailleur et courageux, dont le seul tort est d’avoir eu depuis un demi-siècle â¨les plus piètres « dirigeants » du continent africain.

Luo Matundu Goya, Paris, France

NDLR : Loin de nous l’idée de confondre le peuple guinéen et les responsables de la tuerie du 28 septembre. Simplement, selon tous les témoignages, ces derniers appartiennent à la junte au pouvoir. Ils représentent donc, par métonymie, l’État.

Mystères judéo-africains

– Je suis un fidèle lecteur de Jeune Afrique et je suis souvent content des éclaircissements effectués dans des articles rédigés par des journalistes compétents. J’ai notamment été ravi de lire un article sur les juifs noirs, intitulé « Juifs, Noirs et Africains » (J.A. n° 2539). La présence de juifs en Afrique est aujourd’hui devenue une sorte de fierté pour certains jeunes, surtout au Rwanda, et je ne sais pas pourquoi. Des jeunes ne manquent pas de se donner des accolades en disant, par exemple, « Salut juif ! », ou « Lui, c’est un vrai juif ! » Sans doute une façon de se démarquer… Quoi qu’il en soit, je vous remercie d’avoir osé parler de cette question qui reste un peu mystérieuse et fascinante. Grand Merci !

Makara Hegel, Kigali, Rwanda

Maroc, justice aux ordres ?

– Dans le dossier consacré à la justice au Maroc (J.A. n° 2543), tout a été dit sur les maux dont souffre la justice marocaine : moyens dérisoires, lenteur, incompétence, corruption, etc. Mais, à mon sens, l’essentiel a été omis. C’est le côté politique du problème. En effet, et personne ne l’ignore, la justice marocaine souffre d’un problème fondamental. Elle manque d’un principe de base nécessaire à toute justice digne de ce nom : son indépendance par rapport au pouvoir. Au Maroc, la justice n’est pas un pouvoir, comme c’est le cas dans les pays démocratiques. Elle est inféodée à l’exécutif. Les jugements sont rendus au nom du roi, qui coiffe le gouvernement dans le cadre d’une monarchie exécutive.

Si 90 % des Marocains ne font pas confiance à leur justice, ce n’est pas pour rien. Tout le monde sait qu’il est impossible d’avoir gain de cause dans une quelconque affaire qui opposerait un simple citoyen au gouvernement ou à ses proches. Dans le monde des affaires, gagner un procès contre les grands groupes économiques et financiers relève de l’imaginaire. Leurs liaisons notoires avec les sphères du pouvoir dissuadent aussi bien le justiciable que le juge lui-même d’aller jusqu’au bout des procédures. Dans les conflits sociaux, les tribunaux déclarent parfois forfait devant l’entêtement d’un patron à ne pas faire exécuter un jugement en faveur d’un ouvrier.

Le phénomène de la corruption est un corollaire du pouvoir d’influence politique ou de celui de l’argent et de l’abus qui en découle. On peut dire la même chose de l’impunité au Maroc. Tout cela pour dire que ce n’est pas de la démagogie si les forces démocratiques du pays continuent à appeler à une réforme de la Constitution pour que le peuple soit à la source de tous les pouvoirs. Une réforme qui garantirait la séparation des pouvoirs et érigerait la justice en véritable pouvoir totalement indépendant de l’exécutif…

Abderrahmane Ben Hida, Kenitra, Maroc

Réponse : Comme l’indique le titre de l’article en question – « La justice en chantier » –, nous avons fait le choix de nous concentrer sur les aspects les plus techniques de la réforme judiciaire. Son aspect politique, dont vous pointez à juste titre l’importance, n’était pas au cœur de l’article et nécessiterait un dossier à lui tout seul. Mais nous suivons attentivement ce sujet, et ne manquerons pas de l’aborder dans un prochain numéro.

Leïla Slimani

Écologie et tourisme de masse

– Le tourisme de masse, panacée pour pays en voie de développement ? Un documentaire diffusé en juin sur France 5 (Maroc, le nouvel eldorado ?) m’a interpellé. L’ambition affichée par le Maroc serait de devenir le premier pays touristique d’Afrique avec 10 millions de visiteurs à l’horizon 2010. Six stations balnéaires sont planifiées, la première (Marina Saïdia) ayant été en partie terminée en juin 2009. Mais ce qui devait être le fer de lance d’un projet ambitieux et la vitrine de l’ingénierie et du savoir-faire des entreprises s’est révélé en dessous des objectifs affichés, notamment en matière de respect de l’environnement.

Une méconnaissance des courants marins et une digue construite à l’envers ont eu pour conséquences l’ensablement de la marina et l’impossibilité pour les bateaux de plaisance d’accoster. Dévastées, etleur flore protectrice saccagée, les dunes avancent sous l’effet du vent à l’intérieur des terres et le sable envahit les habitations des villages alentour… Les côtes ainsi « bétonnées » pour le tourisme de masse ne manquent pas sur le pourtour méditerranéen et sont connues pour leurs problèmes écologiques et humains. Décriées, elles sont de plus en plus délaissées par les touristes pour d’autres destinations à « échelle humaine » où l’environnement et le respect de la nature sont au cœur des préoccupations. À l’heure du changement climatique, l’économie « verte » doit-elle rester l’apanage des seuls pays occidentaux ?

Ali Darhlal, Talence, France

J.A. à destination des jeunes

– Les informations sur le Tchad parues dans J.A. et dans les guides Ecofinance m’ont permis de faire un choix important dans ma vie. J’avais à choisir entre travailler dans le BTP ou dans le domaine de l’hydraulique. En lisant J.A., je me suis tout de suite rendu compte que mon pays aurait davantage besoin de moi au niveau des travaux publics. Cela montre que la jeunesse a besoin de votre hebdomadaire pour s’orienter dans la bonne direction.

Dans beaucoup de pays africains, la jeunesse pense que J.A. est uniquement destiné aux riches ou aux grands intellectuels ; or c’est justement à elle que J.A. s’adresse le plus souvent. Je lance du fond du cœur un appel à toutes les ONG voulant aider la jeunesse africaine, ou toute autre personne de bonne volonté, pour que celles-ci facilitent l’accès des jeunes africains à J.A. Car c’est une bonne chose de vouloir aider les réfugiés du Darfour, offrir des soins aux malades du sida, mais une jeunesse sans savoir est une maladie qui peut être pire que tout. Si nous nous connaissons mieux, nous saurons quoi faire de notre avenir.

Adolphe Djasrabaye, Bamako, Mali

Armée de Damoclès

– Je suis un fidèle lecteur de Jeune Afrique depuis une vingtaine d’années. Je ne vous ai encore jamais envoyé une correspondance en guise de remarque ou de protestations (et Dieu sait si j’en avais envie). Mais à chaque fois que l’idée m’en effleurait l’esprit, je ne tardais pas à m’incliner devant la rigueur d’analyse et le sens du métier qui vous caractérisent. Si j’ai tenu cette fois à vous écrire, c’est pour attirer votre attention sur l’article intitulé « Une armée républicaine ? » (J.A. n° 4541), dont le contenu incite implicitement l’armée du Niger à faire « quelque chose » – si vous voyez ce que je veux dire – au sujet de l’entêtement, invraisemblable il est vrai, de Tandja à rester au pouvoir. Je peux me tromper, mais c’est l’impression que j’ai eue en le lisant. De toute façon, inciter une armée ou un peuple à prendre le pouvoir par la force, quelle qu’en soit la raison, apparaît indigne d’un journal comme Jeune Afrique.

Abdoullahi Oumarou, Bruxelles, Belgique

Réponse : À aucun moment dans l’article il n’a été question de suggérer à l’armée nigérienne d’intervenir dans le débat politique. Mais les interventions de ce type constituent – hélas – une réalité de notre continent. La rappeler n’est pas une forme d’encouragement et encore moins une bénédiction.

Cherif Ouazani

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