La double trahison
En 1957, le chef d’une armée nationaliste algérienne passa une alliance avec la France. Leur objectif commun : éradiquer le FLN.
À part les historiens du Maghreb, peu nombreux sont ceux qui ont entendu parler de l’affaire Bellounis. Les Algériens comme les Français, pour des raisons différentes, ont préféré oublier cet épisode étonnant de la guerre d’Algérie. En 1957 et 1958, Mohammed Bellounis, chef de l’Armée nationale du peuple algérien (Anpa), une armée nationaliste opposée au Front de libération nationale (FLN), a régné sur un territoire grand comme la Belgique et les Pays-Bas. À la tête de 4 000 combattants, soit près du cinquième des effectifs militaires actifs sur le terrain de l’Armée de libération nationale (ALN), la branche armée du FLN, il contrôlait cette vaste région aux confins du Sahara. Mais aussi les accès stratégiques aux gisements de pétrole récemment découverts par les géologues français.
C’est l’histoire de l’ascension et de la chute de ce « général » autoproclamé que raconte, avec luxe de détails et à l’aide de nombreux documents et témoignages inédits, l’ancien collaborateur de Jeune Afrique Philippe Gaillard dans L’Alliance. Un livre d’histoire des plus sérieux, qui peut presque se lire comme un polar. L’alliance en question, c’est celle que Bellounis passa avec l’armée française en mai 1957. Au nom d’un improbable objectif commun : éradiquer le FLN.
Troisième force
Depuis 1955, Bellounis était le responsable des maquis nationalistes du Mouvement national algérien (MNA) de Messali Hadj, l’ancien chef des indépendantistes, avant que le lancement de la lutte armée, le 1er novembre 1954, par des activistes dissidents de son parti, ne lui fasse perdre son leadership. Il voulait prendre sa revanche sur le FLN, qui avait mis en déroute en 1956 ses combattants en Kabylie, l’obligeant à se replier vers le Sahara. Bellounis était un partisan de l’émancipation politique de l’Algérie sous la forme d’une autonomie dans l’inter-dépendance avec la métropole. Et il pensait pouvoir devenir l’interlocuteur du colonisateur pour mettre fin aux hostilités, une fois qu’il aurait pris l’ascendant sur l’ALN. Quant aux Français, toujours à la recherche d’une introuvable troisième force pour ne pas avoir à négocier uniquement avec la direction intransigeante du FLN, ils trouvaient de bonnes raisons militaires et politiques de soutenir un tel homme, en lui livrant des armes et en montant avec lui des opérations pour éliminer l’adversaire commun.
Chacun, évidemment, pensait ainsi pouvoir manipuler l’autre. Le résultat d’un tel jeu de dupes sera évidemment catastrophique pour les protagonistes directs de « l’alliance ». Les Français n’ayant en fin de compte guère envie d’accorder un quelconque rôle politique à un homme comme Bellounis, et ce dernier refusant d’être un simple supplétif de l’armée coloniale, aucun des deux ne pouvait atteindre ses objectifs. Pis, tous deux réussiront à se faire détester des civils. Car les ambitions déraisonnables de Bellounis – on pourrait presque parler de mégalomanie – vont vite l’amener avec ses troupes à se conduire de façon plus que brutale vis-à-vis de la population algérienne, victime de rackets et d’exactions à répétition.
Jusqu’à ce que tout finisse mal, très mal : lâché par les Français, affaibli par des dissensions au sein de l’état-major de l’Anpa, donnant lieu à de sanglants et cruels règlements de compte, Bellounis sera finalement éliminé physiquement par ses ex-« alliés » le 14 juillet 1958. Traître aux yeux du FLN comme à ceux du colonisateur, séparé de Messali Hadj, il était alors déjà mort politiquement et militairement depuis plusieurs mois. Sa triste « épopée », pourtant instructive pour avoir fait apparaître la complexité de l’histoire réelle de la guerre d’Algérie, était dès lors vouée à l’oubli. On ne célèbre pas plus les coups tordus que les collusions avec l’ennemi.
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