Oublier Tintin
Des voix s’élèvent régulièrement pour demander l’interdiction de Tintin au Congo, jugé raciste. Et passent sous silence une création contemporaine foisonnante. J.A. a donc décidé de consacrer huit pages à la BD qui se crée en Afrique et parle du continent. Bonne lecture !
Bande dessinée: oublier Tintin
Chaque année ou presque, il se trouve une bibliothèque, un journal ou un centre culturel pour clouer au pilori un personnage de bande dessinée – en l’occurrence le reporter Tintin – auquel son créateur a eu le tort d’attribuer, en son temps, une pensée raciste. Cette vindicte médiatique a deux inconvénients. Le premier, qui est le moins grave, c’est de faire oublier que le dessinateur belge Hergé a fait amende honorable en opposant à Tintin au Congo l’album Coke en stock, où il prenait position contre l’esclavage moderne. Le second est plus ennuyeux : se focaliser sur Tintin, c’est aussi ne pas parler de la bande dessinée contemporaine. De celle qui se crée en Afrique, de celle qui a pour thème l’Afrique.
Depuis de nombreuses années, plus personne ne s’aventure à dire que la BD est un domaine réservé aux enfants. C’est même, parfois, un territoire à leur déconseiller. Née vers 1830, multiforme, elle recouvre plusieurs genres : le roman graphique, les planches humoristiques, les albums, les bandes de quelques cases… La richesse des styles graphiques est infinie (mangas japonais, comics américains ou albums traditionnels européens). Les créateurs peuvent jongler avec les codes et jouer avec la narration. Les best-sellers sont légion en Occident et, mieux, le 9e art est désormais reconnu comme tel. Des galeries et musées exposent les œuvres des dessinateurs. Lesquelles sont même vendues aux enchères par de grandes maisons spécialisées. Les dessins des Hergé, Franquin et autres Bilal atteignent parfois des sommes faramineuses. Une gouache d’Hergé, cet affreux raciste, a dépassé 700 000 euros en 2008…
Super-héros
Qu’en est-il en Afrique ? La bande dessinée est très présente dans la presse. Exemple souvent cité, l’hebdomadaire ivoirien Gbich ! tiré à quelque 40 000 exemplaires et ce depuis plus de 500 numéros. Et à travers tout le continent, rares sont les journaux qui n’ont pas leur strip (bande de quelques cases) humoristique quotidien. Il existe aussi nombre d’albums à visée pédagogique (lutte contre le sida, conseils sur l’utilisation de l’eau, etc.), souvent financés par des ONG ou des organismes d’aide au développement.
En dépit des difficultés inhérentes au monde de l’édition (manque de fonds, de structures de distribution, etc.), plusieurs pays font montre d’une intense créativité, et les artistes parviennent à publier tant bien que mal des journaux illustrés ou, plus difficilement, des albums. Au Nigeria, les créateurs de super-héros « à l’américaine » rêvent que Nollywood adapte au cinéma leurs intrigues comme Hollywood puise dans le répertoire des comics (Spiderman, Superman, Hulk…). En RD Congo, ancienne colonie belge, on ne compte plus les héritiers de la « ligne claire » d’un certain Hergé, qui s’expriment dans plusieurs publications et festivals. En Afrique du Sud, l’un des créateurs de la revue Bitterkomix, Conrad Botes, est régulièrement exposé comme artiste par la galerie Michael Stevenson, au Cap. Le Maghreb, avec des difficultés économiques similaires, n’est pas en reste. Une nouvelle génération de dessinateurs, vifs et incisifs, cherche à s’imposer. Et doit faire face à un défi bien particulier : comment retranscrire le parler de la rue et adapter l’écriture arabe aux contraintes des bulles ? Quant au regard que pose aujourd’hui l’Occident sur l’Afrique, il est aussi éloigné de l’angélisme que du racisme. Comme en témoigne le comics américain Unknown Soldier, qui met le lecteur face à une cruelle réalité politique, les exactions de l’Armée de résistance du Seigneur en Ouganda. Voici une sélection d’escales pour oublier Tintin.
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