Déficit de top managers et d’ingénieurs

Les grandes écoles et universités ne produisent pas assez de profils techniques et de haut management pour coller aux besoins du marché de l’emploi.

Publié le 27 octobre 2009 Lecture : 5 minutes.

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Emploi et formation: mention assez bien, persévérez…

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Le 15 octobre dernier, Sage, numéro trois mondial de l’informatique de gestion, a lancé à Ouagadougou son programme pédagogique « Graine de gestionnaire » destiné à former 12 enseignants et 1 300 jeunes étudiants – futurs gestionnaires d’entreprises – à l’utilisation de ses logiciels de gestion commerciale, de comptabilité et de fiches de paie. En présence de Joseph Paré, ministre des Enseignements secondaire, supérieur et de la Recherche scientifique, l’événement a notamment été ponctué par la présentation des trois grandes écoles locales concernées, l’Institut supérieur privé polytechnique (ISPP), l’Institut supérieur d’informatique de gestion (Isig) et l’Institut supérieur de technologie (IST). « Il s’agit pour les cadres de notre partenaire-revendeur burkinabè Djago de délivrer une formation complète durant plusieurs semaines aux enseignants qui transmettront ensuite à leurs étudiants leur maîtrise de nos logiciels », précise Fabien Poggi, directeur export de Sage France. Le groupe reconduit en fait au Burkina le même programme pédagogique installé avec succès au Sénégal, en décembre 2008. « “Graine de gestionnaire” a permis à plus de 1 000 étudiants sénégalais et à 18 professeurs de trois écoles dakaroises, l’IST, Sup de Co et l’IAM, d’être aguerris à nos logiciels de référence », poursuit le dirigeant. Au Burkina, « chaque établissement inclura à sa guise notre module technique de gestion optionnel dans son cursus respectif pour de futurs jeunes cadres, dirigeants, chefs d’entreprise dotés d’une formation certifiée Sage », souligne-t-il. Le groupe donne ainsi aux jeunes diplômés un rôle de prescripteurs de sa marque tout en augmentant leurs chances de trouver un emploi. Fort de son succès, Sage compte semer en 2010 sa “Graine de gestionnaire” en Côte d’Ivoire et à Madagascar. « Nous avions déjà scellé un premier partenariat similaire entre 2004 et 2007 avec Cisco, le groupe mondial de l’équipement de réseaux », glisse Isidore Kini, fondateur de l’Isig.

Entreprises impliquées

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À l’image de Sage et de Cisco, de plus en plus d’entreprises privées de divers secteurs d’activités s’impliquent ainsi dans les cursus des écoles d’ingénieurs d’Afrique subsaharienne francophone. Sogea-Satom (Vinci Construction), spécialisée en Afrique dans les infrastructures routières, le génie civil, les activités hydrauliques et le bâtiment a mis en place une formation de bout en bout au sein de l’Institut 2iE (Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement) de Ouagadougou. « Le français Areva essaie de faire de même au Niger, et l’opérateur sénégalais de téléphonie Sonatel (Orange) développe ce type de coopération avec des écoles locales », expose Joël-Éric Missainhoun, associé gérant d’AfricSearch, cabinet parisien de conseils en gestion de ressources humaines sur l’Afrique. Pour cet expert, « il n’y a guère d’autres solutions que l’implication du secteur privé dans le système éducatif pour pallier le réel manque de formation d’ingénieurs et de profils techniques en Afrique subsaharienne ».

L’Afrique noire francophone pâtit en effet d’un déficit flagrant de formations initiales techniques, au point que, « dans certains secteurs comme les télécommunications, qui ont un réel besoin de compétences de ce type, les directeurs techniques sont souvent étrangers ou bien africains mais formés ailleurs que sur le continent », selon Joël-Éric Missainhoun. « Le Sénégal, par exemple, produit beaucoup plus de sociologues que d’ingénieurs », renchérit Jean-Luc Ricci, directeur du développement en Afrique d’HEC Paris. Ingénieurs, mais aussi techniciens dans de nombreux métiers comme la mécanique, le soudage, la logistique, l’énergie, l’hôtellerie… se font rares en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. Manque de volonté politique et de financement ? « On assiste à un certain désengagement de l’État et donc de moyens donnés dans la plupart des pays », estime Joël-Éric Missainhoun. « D’autant que la formation initiale est considérée comme une infrastructure coûteuse », poursuit Jean-Luc Ricci. Du coup, l’Afrique subsaharienne compte trop peu d’écoles d’ingénieurs pour répondre aux besoins actuels et surtout futurs. Les quelques établissements disséminés çà et là comme l’Esiac, la grande école d’ingénierie informatique du Cameroun, l’École supérieure multinationale des télécommunications (ESMT) de Dakar, l’École polytechnique du Sénégal, le complexe universitaire de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, ou l’Institut 2iE de Ouagadougou au Burkina sont ainsi obligés de jouer le rôle de hubs sous-régionaux pour absorber une forte population de jeunes étudiants provenant des pays limitrophes. Pour la plupart, ces derniers complètent leur formation à l’étranger pour, au final, y trouver un emploi.

Situation favorable en Tunisie

Si la situation de la formation technique est plus favorable en Tunisie, elle reste préoccupante au Maroc, en décalage avec la demande du marché du travail. Malgré un nombre important d’établissements de bon niveau, le royaume chérifien ne produit pas assez d’ingénieurs pour répondre aux besoins des grands projets et enjeux industriels de demain.

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« En règle générale, l’Afrique vit une époque charnière où les jeunes ingénieurs peinent à compléter leur profil technique par une formation en management », résume Paul Mercier, DG de Michael Page Africa, cabinet de conseil en recrutement sur le continent. Outre la pénurie de profils techniques, l’Afrique, en effet, manque également de managers de haut niveau. Certes, les grandes écoles de gestion, de commerce et de management sont pléthore au Maroc, en Algérie, en Tunisie, au Sénégal, et en Côte d’Ivoire, voire au Gabon et au Cameroun. Mais en dépit d’une bonne qualité d’enseignement, elles nécessitent un « renforcement ou un perfectionnement du niveau de compétences de leurs jeunes diplômes », précise Jean-Luc Ricci. « Les grands groupes privés ont à ce stade un rôle fondamental à jouer pour pallier les lacunes en bout de cycle des systèmes éducatifs, afin de développer les compétences en management de leurs jeunes employés », tient à souligner Paul Mercier.

Explosion des écoles

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Pourtant, la plupart des « business schools » africaines à l’image de l’IAM, l’ISM et le Cesag de Dakar, l’EMI de Rabat, l’Esaa d’Alger, l’IHEC de Tunis ou l’Esca d’Abidjan multiplient les partenariats avec leurs homologues françaises (HEC Paris, Sciences-Po Paris, l’ESCP-EAP…), américaines (Harvard) et canadiennes (Université de Québec). Objectif : profiter de la qualité de l’enseignement étranger pour relever le niveau de leur formation et accroître ainsi leur notoriété. Reste que « l’explosion et le développement anarchique en Afrique des écoles privées de management, parfois peu fiables, demandent une remise à plat de l’ensemble du système éducatif africain pour faire le tri et dégager les meilleurs établissements et enseignements », préconise Joël-Éric Missainhoun. Le Conseil français des investisseurs en Afrique (Cian) s’en charge déjà. Cette organisation patronale, qui rassemble des entreprises industrielles et de services employant plus de 80 000 personnes dans 49 pays africains, a entamé une étude d’évaluation de l’enseignement privé sur le continent. « L’idée est de mesurer le déphasage entre les besoins des entreprises et les formations dispensées pour identifier au bout du compte les centres de formation que l’on pourrait renforcer et les nouvelles filières à développer », explique Didier Acouetey, président de la commission Formation et éducation du Cian. Les résultats de la première étape de l’étude qui a consisté, entre novembre 2008 et août 2009, à sonder les entreprises sur la pénurie de compétences recherchées sont en cours de traitement. La deuxième, portant sur l’évaluation des structures de formation, démarrera en janvier 2010. Le verdict du Cian sur les solutions à apporter ne tombera qu’au deuxième semestre de 2010.

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