Jean-Claude Masangu Mulongo : « Nous avons réalisé des choses qui paraissaient impossibles »

Explications sur les dessous du contrat avec les Chinois, la faible utilisation du franc congolais… Et ce qu’il faut faire pour attirer les investisseurs.

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Publié le 29 octobre 2009 Lecture : 6 minutes.

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RD Congo: Désirs d’avenir

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Jeune Afrique : Vous venez de publier un livre – Pourquoi je crois au progrès de l’Afrique. Le banquier serait-il devenu auteur ?

Jean-Claude Masangu MUlongo : Je voulais écrire ce livre depuis 1997, juste après ma nomination. J’étais un peu déçu de la fonction de gouverneur de la Banque centrale. J’avais été confronté à tellement de difficultés au départ que je me disais : « Ce n’est pas possible, les gens ne connaissent pas les défis auxquels nous sommes confrontés. » Généralement, ils disent : « Il gagne beaucoup d’argent, il ne fait que signer… » Non. Nous avons la responsabilité de 60 millions de personnes, et c’est une lourde responsabilité. Par ailleurs, nous avons réalisé des choses qui paraissaient impossibles. Par exemple, la décision de faire flotter la monnaie nationale, le franc congolais, par rapport à la devise américaine, parce que nous étions dans un régime de change fixe. Il y avait beaucoup de réticences, mais nous avons fait preuve de courage et le résultat est que nous sommes parvenus à assurer la stabilité pendant sept ou huit ans de suite, avec des taux de dépréciation de seulement 10 % par an en moyenne.

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Douze ans après avoir pris vos fonctions, êtes-vous satisfait d’avoir créé cette nouvelle monnaie, malgré son actuelle dépréciation ?

Oui ! Avant le lancement du franc congolais, notre monnaie, le zaïre, se dépréciait d’environ 80 % par an et était extrêmement instable. Ensuite, compte tenu de la crise politique, nous avons eu plusieurs zones monétaires, et, dans certaines provinces, des coupures pourtant émises par la Banque nationale étaient rejetées par la population. Il est extrêmement important que nous soyons parvenus à réunifier les choses et que tout le monde ait accepté la nouvelle monnaie, devenue le symbole de l’unité des Congolais.

N’êtes-vous pas gêné de constater que le dollar américain est plus utilisé que le franc congolais ?

À ce stade-ci, ce n’est pas gênant. Avant que le franc congolais ne soit créé, les gens utilisaient déjà les devises étrangères. Certes, pendant un temps, les décideurs ont pensé qu’en prenant un décret interdisant l’utilisation du dollar on pourrait supprimer ce phénomène… Mais cela ne se décrète pas. En revanche, il faut prendre des mesures de stabilisation pour que les investisseurs et les ménages aient confiance. Le jour où nous aurons une monnaie stable sur une longue période et que seront introduits d’autres moyens de paiement – comme le chèque, que l’on n’utilise plus en RD Congo, les cartes de crédit ou de débit –, nous pourrons alors faire en sorte que les gens acceptent davantage le franc congolais que les devises étrangères. Pour exemple, nous sommes en train de travailler sur une réforme du système national de paiement et une décision importante doit être prise : allons-nous utiliser uniquement le franc congolais ou permettre que les devises étrangères soient acceptées concomitamment ? Au niveau de la Banque, nous avons été très pragmatiques. Nous avons regardé le niveau des dépôts et nous nous sommes rendu compte que 80 % à 90 % de ceux-ci sont en monnaies étrangères… Instaurer un système censé durer longtemps, mais qui ne prendrait en compte que 10 % ou 20 % des dépôts, n’aurait donc pas de sens.

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Quelle a été votre réaction face aux problèmes posés par la signature, il y a quelques mois, du fameux contrat chinois ?

D’abord, je n’avais pas pris part aux négociations. J’ai été appelé à y contribuer un peu tard lorsque le blocage a commencé. Ensuite, compte tenu des problèmes exposés par le Fonds monétaire international (FMI), nous avons été obligés, au niveau de la Banque centrale, d’examiner ce contrat de beaucoup plus près, afin de voir comment rapprocher les deux positions. Il est vrai que nous avons besoin de la communauté internationale – entendez par là le FMI et la Banque mondiale – pour l’annulation de notre dette, qui est un fardeau. Mais il nous faut aussi développer le pays. Et cela passe par les infrastructures. L’Afrique souffre d’un manque d’infrastructures, qui la rend moins compétitive par rapport à d’autres continents. Si, pour transporter des marchandises, vous n’avez pas d’autre choix que d’utiliser l’avion, cela coûte cher. Si vous avez l’énergie et qu’elle coûte cher, vous ne serez pas compétitif. Si, dans le domaine des télécoms, vous n’avez pas le haut débit, vous mettez beaucoup plus de temps pour communiquer et, là encore, cela vous coûte plus cher et, donc, vous n’êtes pas compétitif. Il faut que l’on puisse régler ce genre de problèmes et rendre l’Afrique compétitive.

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Ce contrat n’équivaut-il pas à brader les ressources minières du pays ?

Les gens parlent de bradage. Bon, allez, prononçons le mot : c’est un troc de minerais contre des infrastructures. Des modèles économiques, mathématiques, peuvent en effet démontrer que, au-delà d’un certain seuil, le projet ou le contrat n’est plus « gagnant-gagnant ». Et le FMI a essayé de donner à cet égard – lorsque vous avez dépassé un certain seuil, lorsque vous avez un taux d’intérêt trop élevé, lorsque vous n’avez pas assez de concessionnalité dans les projets – des pistes de solutions pour négocier et établir un bon contrat. En l’occurrence, nous avons réussi à obtenir un compromis où toutes les parties, Congolais, Chinois et FMI, trouvent leur compte. Et nous, RD Congo, nous aurons des infrastructures de base qui vont permettre à notre économie de se développer. Notre pays représente un marché de 60 millions d’habitants, avec des ressources minières, forestières et énergétiques incroyables. Il faut mettre tout cela en valeur.

Est-ce pour une question de monopole que les Occidentaux n’ont pas apprécié le contrat ?

Ils ont aidé le pays dans le processus de pacification, de transition et de démocratisation, ils étaient là, et nous leur devons de l’argent. Ils pouvaient donc, en effet, ne pas apprécier l’arrivée d’un « intrus ». Nous avons cependant trouvé un compromis qui a abouti à un préaccord avec le FMI. Il manque l’avenant au contrat chinois pour signer un accord formel.

La RDC arrive à l’avant-dernier rang (182e sur 183) dans le classement « Doing Business » des pays attrayants pour les investisseurs, publié en septembre par la Banque mondiale. Comment inverser la tendance ?

Il faut travailler sur plusieurs fronts à la fois. Il faut un cadre pour avoir la bonne gouvernance et que les lois ou les contrats soient respectés pour inspirer confiance. Et, en cas de problème, il faut un système qui permette d’aller en arbitrage et au sein duquel la justice puisse dire le droit. Nous venons ainsi de changer plus de 100 magistrats [96 ont été révoqués, 19 démis d’office et 50 mis à la retraite en juillet dernier, NDLR] afin que le droit puisse être dit pour tout le monde de la même manière. Nous avons par ailleurs entamé notre adhésion à l’Ohada, l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. Dans mon domaine, par exemple, nous essayons de raccourcir les délais imposés pour la création d’une banque commerciale ou d’affaires. La procédure actuelle est trop longue : la Banque centrale doit d’abord donner son accord de principe, le dossier est alors présenté au ministère de l’Économie, puis à la Commission économico-financière et, si cette dernière est d’accord, en Conseil des ministres et jusqu’au niveau du chef de l’État. C’est ce genre de choses qui fait que nous nous retrouvons en queue de classement.

Il y a aussi la corruption…

Beaucoup de prétendues taxes sont en fait utilisées par les gens qui ne s’estiment pas suffisamment payés pour gagner un peu plus. Ils cherchent à avoir des compléments de salaire à leur façon… comme cela existe dans beaucoup d’autres pays. C’est, évidemment, un fléau qu’il faut combattre.

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