Michelle Obama, un destin américain
Le New York Times publie les résultats d’une enquête généalogique sur les ancêtres maternels de l’épouse de Barack Obama. Où l’on découvre que rien n’est jamais ni tout noir ni tout blanc…
Six générations pour une incroyable ascension. Entre la naissance de l’esclave Melvinia (1844), analphabète et fille-mère, et celle de la rayonnante Michelle (1964), diplômée de Harvard et première dame des États-Unis, un peu plus d’un siècle s’est écoulé. Cent vingt ans durant lesquels les Shields – c’est-à-dire la branche maternelle de la famille de Mrs Obama – ont triomphé de souffrances quotidiennes et de préjugés tenaces pour s’élever par le mérite, le travail et les études. Partis des États du Sud profond (Caroline du Sud, Géorgie et Alabama) ruraux et ségrégationnistes, installés dans les années 1920 à Chicago, la grande cité industrielle du Nord, auraient-ils pu imaginer une seconde, aux âges farouches de l’esclavagisme et à l’époque pas si lointaine du déni des droits civiques, que leur descendante vivrait, un jour, sous les stucs et les ors de la Maison Blanche ?
Résurrection
Grâce aux récits des siens, mais aussi aux enquêtes journalistiques réalisées durant la campagne présidentielle de son mari, Michelle Obama connaissait l’histoire de ses ancêtres paternels, les Robinson. Elle vient de découvrir celle de ses aïeux maternels en lisant le New York Times. Le quotidien, qui a fait appel à une généalogiste chevronnée, Megan Smolenyak, a publié les résultats de ses investigations le 8 octobre, arbre généalogique à l’appui (visible sur le site global.nytimes.com/us).
Smolenyak a exhumé l’histoire de plusieurs dizaines de membres de la famille Shields. Mais, très vite, cette passionnée s’est enthousiasmée pour le destin de la quadrisaïeule de Michelle. Au point qu’elle a cru entendre la voix de Melvinia la supplier, depuis l’au-delà, de la sortir du tombeau de l’oubli. Une résurrection, en somme !
Tout commence en 1850, quand un propriétaire terrien de Caroline du Sud, sentant la mort venir, couche ses dernières volontés sur son testament. Parmi les « biens » et les « choses » (vieux napperons, vaisselle, mobilier et bétail) que David Patterson partage entre ses héritiers, figurent vingt et un esclaves. Et, parmi eux, une « fille noire » de 6 ans prénommée Melvinia. Deux ans plus tard, à la mort de son maître, l’enfant est arrachée à sa terre et à ses proches (il semble toutefois qu’elle ait ignoré jusqu’au nom de ses parents). Elle échoit à la fille Patterson, Christianne, et au mari de celle-ci, Henry Shields. Le couple, qui vit en Géorgie, n’a que trois esclaves pour s’occuper de sa propriété. Le travail est harassant. Il faut planter et récolter du blé, du maïs, du coton, des patates douces et prendre soin des animaux : trois chevaux, cinq vaches, dix-sept cochons et vingt moutons, selon un recensement de 1860.
Vers l’âge de 15 ans, Melvinia tombe enceinte. Est-ce d’Henry Shields, qui approche de la cinquantaine ? De l’un de ses quatre fils, âgés de 19 à 24 ans ? D’un visiteur de passage ? Une chose est sûre : le géniteur est blanc. Une rumeur familiale persistante, que Michelle Obama a maintes fois entendue, se trouve ainsi confirmée pour la première fois.
Alors que, pendant la campagne présidentielle de 2008, certains Africains-Américains avaient critiqué les origines à leur goût « trop blanches » ou « trop africaines » de Barack Obama, les opposant à celles de Michelle, « authentique héritière de la mémoire des esclaves », voilà l’équilibre un peu rétabli ! Rien n’est tout blanc ni tout noir, ironise Edward Ball, historien et auteur de Slaves in the Family (« Des esclaves dans la famille »), qui s’est lui-même découvert de lointains ancêtres noirs. « En Amérique, il n’y a pas les Latinos, les Noirs et les Blancs. Nous nous sommes tous mélangés, depuis des générations. »
Dolphus, le premier fils de Melvinia (et trisaïeul de Michelle), voit le jour en 1859. Sur les registres d’état civil, il est qualifié de « mulâtre », comme le seront plus tard deux de ses cadets. Et il porte le nom de Shields. Est-ce une preuve de sa filiation ? Ce n’est pas certain : à l’époque, il n’est pas rare que les esclaves portent le patronyme de leur propriétaire.
Désormais mère de quatre enfants, Melvinia est enfin affranchie. Mais elle reste illettrée et pauvre. Sans doute parce qu’elle a souffert d’avoir été arrachée, très jeune, à la Caroline du Sud, elle a du mal à rompre avec le passé et ne parvient pas à s’éloigner de ses anciens maîtres : elle travaille comme ouvrière agricole sur des terres jouxtant la propriété de Charles Shields, l’un des fils d’Henry. De même, elle se rapproche des Easley, une famille d’anciens esclaves avec qui elle a vécu en Caroline du Sud. Dolphus épouse d’ailleurs une des leurs, Alice.
Austérité et entregent
Le jeune couple quitte la Géorgie rurale pour Birmingham, Alabama. Dotée d’une voie ferrée, de mines et d’aciéries, la ville attire les anciens esclaves, qui forment un nouveau prolétariat. Dolphus, lui, est charpentier. Il sait lire et écrire, et il est ambitieux. À 30 ans, il est propriétaire de sa maison. Dix ans plus tard, en 1911, il se met à son compte et ouvre une menuiserie. La clientèle blanche afflue et apprécie de discuter avec cet homme dont la peau très claire plaide en sa faveur. Très apprécié pour son sérieux et son entregent, il servira d’intermédiaire entre les communautés noire et blanche, qui vivent à l’écart l’une de l’autre, jusqu’à sa mort, en 1950.
Dolphus n’est pas du genre facétieux. Austère cofondateur de l’Église baptiste (qui jouera un rôle important dans le mouvement des droits civiques), le doyen des diacres de la ville ne badine pas avec futilités et colifichets. Pas question de fumer ou de mâcher du chewing-gum en sa présence. Les femmes de la famille n’ont pas le droit de porter des pantalons ou du rouge à lèvres : il les a en sainte horreur. Interdit, aussi, d’écouter du blues à la radio. Seuls les cantiques sont autorisés. Les Shields assistent à la messe tous les soirs. Ce qui n’empêchera pas Dolphus de se séparer de son épouse Alice, bonne et couturière de son état, et de se remarier trois fois.
De Robert Lee Shields, fils de Dolphus et d’Alice – et bisaïeul de Michelle Obama –, on ne sait pas grand-chose. Né en 1885, il sera peintre en bâtiment, puis porteur de bagages dans une gare. Il disparaît des archives à l’âge de 32 ans, sans que l’on sache s’il est mort à cette date ou s’il a déménagé. Ce qui est cependant établi c’est que son épouse, Annie Lawson, quitte l’Alabama pour Chicago au début des années 1920 avec son fils Purnell Nathaniel Shields. Celui-ci, le grand-père maternel de Michelle Obama, est peintre comme son père. Dans les années 1930, il est employé dans une usine de sirop.
L’un de ses huit enfants, Marian Lois Shields, née à Chicago en 1937, épouse Frazer Robinson, un employé municipal. Mère au foyer, elle se consacre à l’éducation de ses enfants : Michelle, la future Mrs Obama, et Craig, le futur basketteur. Veuve depuis 1991, elle vit aujourd’hui à la Maison Blanche. Sa mission ? Veiller sur Malia et Sasha, ses petites-filles.
Qu’est-il advenu de Dolphus Shields, la figure la plus marquante de la famille ? Il est enterré à Birmingham, dans un cimetière « pour Noirs » à l’abandon, au milieu d’herbes folles et de stèles ébréchées. Bobbie Holt, une infirmière de 73 ans à la retraite qu’il a élevée avec sa quatrième épouse et qui a toujours cultivé son souvenir avec ferveur, vient d’apprendre grâce à l’enquête du New York Times que son père adoptif n’est autre que le trisaïeul de Michelle Obama. « Je l’ai toujours admiré, s’exclame-t-elle, stupéfaite. Mais je n’aurais jamais imaginé une chose pareille ! Grâce à Dieu, nous avons parcouru un sacré chemin ! »
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