Ce que les Arabes doivent retenir du miracle chinois
Quiconque a surfé sur le Web, regardé la télévision ou lu les journaux ces dernières semaines n’a pu manquer d’être impressionné par les festivités grandioses qui ont marqué le 60e anniversaire de la République populaire de Chine, le 1er octobre. Rarement dans l’histoire moderne la naissance d’un État aura été célébrée avec autant de faste et de fierté. « La Chine s’est réveillée ! » avait lancé le leader communiste Mao Zedong après être venu à bout de ses adversaires nationalistes. Une formule triomphale qui fera le tour du monde. Aujourd’hui, après soixante ans de pouvoir communiste, les dirigeants du Parti sont fondés à dire mieux et à clamer avec fierté : « La Chine peut marcher la tête haute ! »
Quelle leçon du « miracle chinois » doit retenir le monde arabe ? Peut-être que le succès le plus extraordinaire de la Chine a été de limiter sa population à quelque 1,3 milliard d’habitants en imposant une sévère politique de l’enfant unique. Seul un État fort capable de faire respecter une stricte discipline à ses citoyens peut mettre en application une telle politique. Le contraste avec la surpopulation du monde arabe est frappant. En 1952, lorsque Gamal Abdel Nasser et les « officiers libres » prirent le pouvoir en Égypte, leurs concitoyens étaient 18 millions. Ils sont aujourd’hui 80 millions. Il suffit de visiter Le Caire pour mesurer le poids de la pression démographique. Conséquence : le pays est aujourd’hui obligé d’importer 50 % de ses besoins en céréales.
L’Égypte n’est pas la seule à se débattre face au fléau de la surpopulation. L’Algérie, la Syrie, le Yémen et, en fait, la plupart des pays arabes sont logés à la même enseigne.
La Chine n’est pas une démocratie telle qu’on l’entend en Occident. Elle est dirigée d’une main de fer par un parti unique. Le président Hu Jintao, qui est à la tête de l’exécutif, est le secrétaire général du Parti communiste et le commandant en chef des forces armées. Mais la Chine n’en est plus pour autant un État communiste dans quelque sens que ce soit. Elle a embrassé le capitalisme à la fin des années 1970, autorisant ses ressortissants à travailler où ils veulent, à voyager, à accéder à la propriété, à monter des affaires, à commercer et à faire de l’argent par tous les moyens – et à le dépenser comme bon leur semble. Pour la première fois, elle est devenue cette année le plus grand marché mondial de l’automobile, devant les États-Unis. On a souvent dit que la Chine moderne n’avait pas d’idéologie. En réalité, elle en a une : le nationalisme.
En quoi le monde arabe est-il comparable à la République populaire ? Comme en Chine, de nombreux pays arabes sont dominés par un seul parti politique. Mais les talents et les énergies ont-ils été libérés pour autant ? Ce n’est manifestement guère le cas. Au contraire, ils sont même le plus souvent étouffés par des réglementations étriquées, des bureaucrates incompétents ou corrompus et un « capitalisme de copinage » qui ne profite qu’aux cercles proches du pouvoir, tandis que la population lutte pour survivre. La plus grande réalisation de la Chine moderne est sans conteste d’avoir, en l’espace d’une génération, sorti de la pauvreté 400 millions de personnes. C’est là que résident la preuve de la loyauté du Parti communiste à l’égard du peuple et sa principale source de légitimité.
C’est au lendemain de la mort de Mao Zedong, en 1976, que Deng Xiaoping libéra les formidables potentialités du pays en allégeant la mainmise de l’État sur l’économie. Dans une tribune publiée par l’International Herald Tribune du 1er octobre, Zhang Wei-Wei, qui fut l’interprète de Deng au milieu des années 1980, affirme que la priorité donnée par les autorités à l’éradication de la pauvreté est à l’origine du succès de la Chine. De tous les droits de l’homme, poursuit-il, c’est le plus fondamental, plus que ne peuvent l’être les droits civiques et politiques sur lesquels l’Occident a tendance à se focaliser. Dans le monde arabe, les dirigeants ignorent trop souvent les droits politiques et civiques, mais négligent tout autant – hélas ! – l’éradication de la pauvreté. Bien qu’autoritaire, voire dictatorial, le PC chinois a donné à son pays une gouvernance compétente, stable et efficace. Une batterie de mesures stimulantes ont permis à la Chine de surmonter la crise économique et financière internationale actuelle. Alors qu’une grande partie du reste du monde patauge, la Chine affiche cette année un taux de croissance de 8 % – après une moyenne de 10 % durant les deux dernières décennies. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec 2 100 milliards de dollars, le pays détient les premières réserves de change dans le monde. Ses principales sociétés parcourent le monde – Venezuela, Russie, Kazakhstan, Iran, Irak, Angola, Nigeria – à la recherche de matières premières et de sources d’énergie. Mieux : ayant de longue date développé l’enseignement supérieur et embrassé la révolution des technologies de l’information, la Chine est aujourd’hui à la pointe de la recherche en matière de source d’énergie renouvelable, comme le solaire. Elle est d’ailleurs le premier producteur mondial de panneaux solaires.
L’année prochaine, la Chine devrait distancer le Japon pour devenir la deuxième économie mondiale derrière les États-Unis. Et semble bien partie, détrônant ce même Japon, pour devenir le premier producteur automobile mondial. Un constructeur chinois, BYD, leader mondial des véhicules électriques, envisage de commercialiser des berlines 100 % électriques aux États-Unis dès l’année prochaine.
Sur le plan économique, la Chine pourrait distancer les États-Unis eux-mêmes d’ici à une dizaine d’années. La crise actuelle a déjà eu pour effet de déplacer la puissance économique de l’Ouest vers l’Asie. Les schémas habituels de la géopolitique sont en train de changer sous nos yeux.
Bien sûr, tout n’est pas rose dans ce vaste pays qu’est la Chine. On ignore si la croissance de son économie sera durable ou si, à mesure que les postes d’exportations se tariront, elle ne débouchera pas sur une dangereuse surcapacité d’acier, de ciment et de produits chimiques. Des millions d’ouvriers ont perdu leur emploi et ont dû retourner dans les campagnes. L’appareil hypertrophié du PC n’est en aucune façon préservé de la corruption et du trafic d’influence.
L’été dernier, des manifestations dans la province occidentale du Xinjiang ont écorné l’image d’harmonie culturelle que les autorités cherchent à répandre. Amers, les Ouïgours, un groupe ethnique turkmène, estiment qu’ils ne profitent pas des ressources de leur province et que l’immigration massive des Hans durant les dernières décennies les a relégués au rang de citoyens de seconde zone sur leur propre terre.
Hormis ces points noirs, les Arabes ont beaucoup de choses à retenir de l’expérience chinoise, en particulier la priorité accordée à l’éradication de la pauvreté. Mais ce n’est pas le seul aspect digne d’admiration du miracle chinois. La discipline, l’éducation, le travail, l’unité, la fierté d’appartenir à une civilisation ancienne, l’engouement pour les technologies modernes, la bonne gouvernance et, surtout, le nationalisme, voilà des vertus et des valeurs que les Arabes feraient bien d’adopter.
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