Hakim el-Karoui
Cofondateur du Forum des jeunes leaders méditerranéens.
Jeune Afrique : Depuis votre premier forum, en octobre 2008, il y a eu la crise financière, la guerre de Gaza, et l’Union pour la Méditerranée (UPM) n’a pas réussi à émerger. « L’utopie Euro-Maghreb », qui est le thème de votre second forum [du 5 au 7 novembre à Séville], n’est-elle pas plus utopique que jamais ?
Hakim el-Karoui : Il y a plusieurs utopies en Méditerranée. La première c’est l’UPM, car il n’existe, ni au Nord, ni au Sud, de volonté politique de créer une union. La deuxième, c’est la Méditerranée elle-même. Certes, elle existe géographiquement et elle a existé historiquement, mais on a tort de croire que cela suffit à créer un projet politique. Enfin, le Maghreb lui-même est une utopie, l’intégration entre les trois pays étant quasi inexistante. Il faut en prendre acte et ne pas se contenter de le déplorer. Il y a une dynamique euro-méditerranéenne sur laquelle nous devons nous reposer pour créer des réseaux et faire travailler ensemble les leaders de demain.
Qui sont ces leaders ?
Ce ne sont pas des leaders politiques, mais des membres de la société civile. Beaucoup appartiennent au monde de l’entreprise ou de la culture. Dans les pays du Nord, ils sont originaires du Maghreb, ou font partie de ceux qui pensent que les relations monde arabe-Occident sont cruciales pour l’avenir. Il était important pour nous de nous reposer sur des jeunes qui entretiennent souvent avec l’Europe une relation plus décomplexée et moins passionnelle que leurs parents.
L’année dernière, votre forum s’est déroulé dans votre pays, en Tunisie. Pourquoi avoir choisi Séville cette année ?
En 2008, nous nous sommes rendu compte que nous étions trop franco-maghrébins et avons voulu aller en Espagne pour trouver de nouveaux interlocuteurs. Ça n’a pas été facile. Le sujet de la Méditerranée est beaucoup plus construit en France qu’en Espagne, où les réseaux sont très institutionnels et très régionaux.
On ne peut construire la Méditerranée qu’en contournant le politique ?
Oui, car le politique est complètement bloqué. Non, dans la mesure où on sait que ce n’est pas la société civile qui construira la Méditerranée. Il faut essayer d’influencer le politique par des projets concrets, des réseaux.
Concrètement, que veut dire « construire la Méditerranée » ?
Cela signifie mettre des éléments de souveraineté en commun. C’est aujourd’hui possible dans le domaine de la gestion des migrations, où il y a des intérêts communs. Les personnes âgées du Nord ont besoin d’aller au Sud et les jeunes diplômés du Sud ont besoin de fuir le chômage et d’aller au Nord. Or rien n’est concerté puisque c’est le Nord qui impose sa loi.
Ce n’est pas un peu utopique ?
Ce qui n’est pas utopique, c’est que les trois pays ont les mêmes besoins. S’ils faisaient cause commune, ils auraient des chances d’obtenir quelque chose. On peut imaginer des solutions ambitieuses et pragmatiques.
À court terme, quels sont les projets concrets que vous allez lancer ?
Nous avons trois projets. Le premier consiste à créer un think-tank sur le Maghreb pour mieux penser la place de cette région dans le monde et chercher des pistes pour une meilleure intégration. Le second a pour ambition de former en commun les élites qui sont restées au Maghreb. Nous sommes actuellement en discussion avec plusieurs grandes écoles en Europe pour créer un mastère financé par des entreprises du Sud, avec un engagement de retour des élèves. Enfin, nous voulons agir dans le domaine culturel. Au Maghreb, les artistes souffrent du manque de circuits de diffusion ou de distribution et sont souvent contraints à l’exil. C’est pourquoi nous voulons créer une sorte d’académie maghrébine des arts qui permettrait aux artistes des trois pays de se rencontrer et de trouver des solutions ensemble.
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