Cameroun : fin de partie pour John Fru Ndi
Personne dans l’opposition camerounaise n’avait jamais suscité un tel enthousiasme. Pourtant, le leader du SDF n’a pas réussi à transformer l’essai. En vingt ans, il est passé du statut de challengeur de Paul Biya à celui de faire-valoir du pouvoir.
Officiellement, John Fru Ndi n’a pas quitté la politique. Pourtant, la politique, elle, semble l’avoir quitté. Absent des grands rendez-vous, le leader du Social Democratic Front (SDF), qui avait su pendant des années incarner le changement, ne semble même plus s’intéresser à l’actualité de son pays. Lors du dernier remaniement ministériel avec nomination d’un nouveau Premier ministre, en juin, alors qu’un journaliste l’appelle pour recueillir sa réaction, il tombe des nues : « Je ne suis pas au courant », avoue John Fru Ndi.
En juillet, pourtant, il semble reprendre l’offensive et annonce qu’il va « déclarer ses biens » et rendre public son patrimoine. Une promesse de transparence qui intervient quelques jours après la publication du rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD), qui accuse son rival de vingt ans, le président Paul Biya, d’avoir acquis des biens, notamment immobiliers, à l’étranger.
Vendu au pouvoir ?
Pour l’exemple, Fru Ndi entendait donc ouvrir grandes les portes d’une vie privée bien protégée jusque-là, se soumettant sans sommation au fameux article 66 de la Constitution camerounaise, que l’élite administrative et politique ne semble pas se hâter d’appliquer. Ce faisant, il n’était en rien concerné. Il n’avait nulle obligation de déclarer son patrimoine, n’ayant jamais assumé aucune charge publique ni le moindre mandat électif. Il faut croire qu’il a fini par s’en apercevoir puisque, fin septembre, avec un incroyable aplomb, il revient sur sa promesse, s’attirant les critiques de la presse.
Et voilà rouverte la polémique entre pro- et anti-Fru Ndi, ces derniers voyant dans cette reculade la preuve que le chef du SDF a bien des choses à cacher. Ce qui revient à leurs yeux à accréditer la thèse qui veut que, depuis bien longtemps, le pouvoir de Yaoundé aurait « acheté » l’opposant radical.
Ceux qu’il avait habitués à ses diatribes enflammées, professées le poing levé et le doigt accusateur pointant le « régime corrompu », critiquent désormais ses grands silences. Dans les rangs de ses anciens compagnons, on raille l’ancien libraire qui s’est « embourgeoisé » et a pris goût au pouvoir que lui confère son statut de chef de l’opposition. « Nous n’avons plus rien à voir avec lui », grince Adamou Ndam Njoya, le patron de l’Union démocratique du Cameroun (UDC), deuxième parti de l’opposition parlementaire.
De plus en plus nombreux, ses détracteurs insinuent que le chantre du « Power to the People » n’a plus rien de ce leader charismatique et populiste qui déclencha une lame de fond électorale si dévastatrice qu’elle faillit emporter le régime lors de la présidentielle de 1992. Avec 35,9 % des suffrages, contre 39,9 % pour Paul Biya, John Fru Ndi était parvenu aux portes du palais d’Etoudi. Au regard des résultats aussi serrés, quelques déçus soutiennent même que l’opposant l’avait emporté.
Dans ce scénario, le « Chairman » aurait manqué d’audace et de pugnacité. Aujourd’hui encore, les plus radicaux n’ont pas pardonné à l’opposant de s’être laissé enfermer dans sa résidence de Ntarikon (Nord-Ouest) par une escouade de gendarmes et de s’être résigné trop vite. Pourtant, il ne s’agissait que « d’intimidation », selon l’aveu d’un membre du gouvernement de l’époque, qui poursuit : « Nous étions divisés et n’avions plus d’autre carte en main. » Une occasion manquée ? Ce ne sera pas la dernière.
Occasions manquées
Autre erreur politique majeure : la malheureuse décision de boycotter les législatives organisées en 1992, alors que son parti n’avait jamais été aussi fort au sein de la majorité francophone du pays. Encore une fois, l’agitateur, le tribun de talent laisse passer sa chance.
D’élection en élection, le parti s’étiole. De 42 députés obtenus à l’issue des législatives de 1997, il passe à 21 en 2002, avant de tomber à 15 députés en 2007. Jean Marc Soboth, un chroniqueur politique qui suit le parcours de cet ovni tombé en politique en 1990, dénonce une « entreprise de destruction » orchestrée par une élite conservatrice et la presse, qui ne lui a rien épargné. « Certains en sont aujourd’hui à regretter d’avoir failli lui confier le destin du pays », déplore-t-il. Le journaliste n’est pas le seul à trouver injustes les procès intentés à ce libraire sans histoire que la classe politique, diplômée et éduquée à l’occidentale, a toujours regardé de haut. On aime détester ce provincial qui a toujours refusé de troquer son boubou couleur mosaïque des Grassfields contre le costume sombre de rigueur dans les allées du pouvoir et la haute administration de Yaoundé. Lui dont le parcours politique atypique a toujours buté sur le soupçon.
Avant les accusations de connivence avec le parti au pouvoir, il dut affronter un premier procès en incompétence. On lui reproche de n’avoir pas effectué d’études supérieures et de n’avoir pour dernier diplôme qu’une qualification de libraire obtenue en Angleterre. Pour les dizaines d’universitaires et autres hauts commis de l’État qui piaffent d’impatience dans les instances du parti, il est considéré comme une anomalie qu’il faut corriger pour parvenir au pouvoir. L’illettrisme supposé du patron explique la multiplication des tentatives d’éviction au sein même du SFD.
Politique de purge
Pour assurer son maintien aux commandes, Fru Ndi a donc purgé le parti des plus menaçantes ambitions. Pour diverses raisons, l’ancien bâtonnier de l’ordre des avocats Bernard Muna, l’ancien juge de la Cour suprême Nyo Wakaï, l’universitaire Carlson Anyangwé, l’ancien vice-président Saïdou Maïdadi et l’ancien secrétaire général Tazoacha Asonganyi ont été boutés hors du SDF.
Quand les sécessionnistes anglophones du Southern Cameroons National Council (SCNC) avaient proclamé l’indépendance du Southern Cameroons le 30 décembre 1999, le leader anglophone avait été soupçonné d’accointances avec eux. La majorité francophone l’avait alors pressé de donner des gages de son attachement à l’unité du pays. Il est vrai que plusieurs cadres du SDF ont été très proches des séparatistes. Mais cela n’explique pas la férocité de la purge qu’il orchestre le 6 mai 2000 : Nfor Ngala Nfor, son conseiller juridique, Albert Mukong, une figure de la décolonisation, Martin Ngeka Luma, vice-président du parti, notamment, sont éjectés. La brouille est consommée avec le SCNC.
Il est comme ça. Harcelé dans une arène politique qui ne lui fait pas de cadeau, l’opposant trouve toujours le moyen de tirer avantage des situations difficiles. Poursuivi par la justice dans le cadre de l’affaire Grégoire Diboulé – un militant tué en 2006 lors d’une rixe entre deux factions rivales du SDF –, Fru Ndi a intenté un procès en diffamation à Marafa Hamidou Yaya, ministre d’État chargé de l’Administration territoriale, lui reprochant d’avoir insinué que lui, John Fru Ndi, était l’instigateur des émeutes meurtrières de février 2008.
Au fond, le Cameroun a-t-il jamais été prêt à élire un anglophone à la présidence de la République ? La coterie bien-pensante, issue de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), a décidé que non. Les sécessionnistes, dont l’activisme ne faiblit pas à l’étranger, n’y croient pas non plus. L’opposant devenu accommodant est donc un moindre mal pour le pouvoir de Yaoundé, qui s’appuie sur lui pour garder le pays anglophone dans la communauté nationale. S’il n’a jamais rencontré Paul Biya, des hommes comme l’ancien de la préfectorale Adrien Kouambo, l’homme d’affaires Baba Ahmadou Danpulo ou le député Joseph Mba Ndam ont souvent joué les porteurs de message. Le parti est sous contrôle, le chef peut s’occuper de son exploitation agricole. Loin, de plus en plus loin de la politique.
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