Côte d’Ivoire : drôles de dames

Elles sont aussi, voire plus populaires que leur mari et jouent, chacune à sa façon, un rôle dans la campagne présidentielle. Portraits croisés de trois femmes hors du commun.

Publié le 19 octobre 2009 Lecture : 10 minutes.

La presse ivoirienne les a affublées de surnoms désuets, « la Blanche Colombe », « Maman Henriette » ou la « Clinton des Tropiques ». Pourtant les trois dames les plus en vue en Côte d’Ivoire sont loin, bien loin, d’être les gentilles potiches de la République. Si derrière chaque grand homme il y a une femme, à Abidjan, elles sont rarement derrière, le plus souvent à côté, et parfois même devant.

Madame Gbagbo en particulier. Si Dominique Ouattara et Henriette Bédié accompagnent leur mari en tournée, Simone, elle, précède le sien. Alors que Laurent Gbagbo entretenait un inutile suspense, que le parti tergiversait autour de l’organisation du jour J, celui de l’annonce officielle de la candidature, la première dame a lâché le morceau. Pas de flonflons, pas de décorum ni de trémolos, elle a choisi une série de réunions publiques le 7 octobre, à Anyama, dans la périphérie d’Abidjan, pour venir porter la nouvelle aux Ivoiriens. « Il m’a envoyé vous dire… », a assuré la première dame, qui semble pourtant n’avoir été envoyée par personne.

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Des trois, Simone est la plus politique, la seule qui aurait fait carrière dans cette difficile arène, avec ou sans son époux. Elle était militante de la gauche chrétienne quand elle l’a rencontré, elle est vice-présidente du parti et, surtout, elle est élue – députée de la commune d’Abobo –, ce qui lui donne une légitimité. Et elle est convaincue que la mission qu’elle exécute lui a été confiée par Dieu.

À la résidence officielle, à Cocody, elle a constitué son cabinet, fort d’une cinquantaine de conseillers, dont la plupart sont des amis de longue date à l’image de son directeur de cabinet, Blaise Gbotta Tayoro. Levée aux aurores, contrairement à son époux, qui dort souvent en matinée, « elle travaille ses dossiers, enchaîne les rendez-vous et les manifestations officielles avec une énergie déconcertante, et le soir elle continue avec les visites privées », rapporte un journaliste qui la suit régulièrement.

Il y a du monde autour du chef de l’État. Pléthore de comités et mouvements de soutien qu’elle s’est donné pour mission de fédérer au sein d’un Congrès national de la résistance pour la démocratie (le CNRD). Elle concentre également ses efforts de campagne sur les relais d’opinion : religieux, chefs traditionnels, associations de jeunes ou de femmes. Pendant la campagne, elle est aussi chargée du débauchage, et souvent approche elle-même les personnalités de l’opposition qu’elle voudrait convertir à la cause de son époux.

Simone Gbagbo est toujours prête à monter au créneau, à dire ce qu’elle pense quitte à passer pour une extrémiste. Quand le président du Front populaire ivoirien (FPI), à l’époque Premier ministre, Pascal Affi Nguessan, signe les accords de Marcoussis, elle sort de ses gonds. Et publiquement dénonce ces accords qu’elle juge indignes. Il y a encore quelques mois, alors que le sud et le nord du pays étaient dans un processus délicat de rapprochement, elle se rend en zone rebelle et attaque de front les commandants de zone qu’elle somme de rentrer dans le rang. 

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En duo ou électron libre ?

Dit-elle tout fort ce que Gbagbo pense tout bas ? Joue-t-elle le rôle de leader de l’aile dure dans un scénario concocté en duo, ou agit-elle en électron libre ? Un peu tout à la fois, selon les circonstances.

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Au fil des ans, son image a changé. Égérie d’un socialisme à l’ivoirienne, la femme de caractère, déterminée et engagée, passe aujourd’hui pour être autoritaire et intransigeante. Elle a été accusée par l’opposition d’être l’instigatrice des « escadrons de la mort », de piloter une des mouvances patriotes, et la justice française la soupçonne d’avoir joué un rôle dans la disparition de Guy-André Kieffer, journaliste et spécialiste des marchés du café et du cacao. Face à ces accusations, elle dénonce les « araignées de l’ombre », qui, de la presse internationale aux ONG en passant par la France et l’ONU, manigancent et complotent contre son époux. Le pouvoir est pour le couple le combat de toute une vie. Après la présidentielle « calamiteuse » de 2000, elle espère une légitimation qu’elle estime due autant à son mari qu’à elle-même. Elle ne ménagera aucun effort pour remporter cette ultime bataille. Et certains lui prêtent des ambitions personnelles. 

Un sacré caractère

Pas moins déterminée, Dominique Ouattara. La Blanche Colombe n’est pas une femme politique ; cela ne l’empêche pas d’être aussi un stratège et, dans son domaine, une femme à poigne. Elle partage avec la première dame une certaine idée de l’indépendance. Au moins financière. Côté portefeuille, Dominique Ouattara ne dépend pas de son mari. Veuve à 30 ans, alors qu’elle vit depuis quelques années en Côte d’Ivoire, mère de deux enfants, elle fait fortune dans l’immobilier. Une rencontre avec Houphouët-Boigny, qui lui confie la gestion de son patrimoine immobilier, est déterminante, pour ses affaires mais aussi pour sa vie privée. C’est par l’intermédiaire du chef de l’État qu’elle fait la connaissance de celui qui deviendra son époux, dernier et seul Premier ministre d’Houphouët. Son agence, l’AICI, s’ouvre à l’international, elle gère des biens à Paris, Cannes, Libreville et Ouagadougou. Elle diversifie ses activités aux États-Unis où elle obtient les franchises de douze salons de coiffure Dessange. Elle est également gestionnaire d’une douzaine de fréquences de Radio Nostalgie, dont celle qui opère en Côte d’Ivoire.

« Nous ne dépendons pas l’un de l’autre, et chacun met du sien quand arrivent les échéances. […] Nous consacrons chacun une partie de nos avoirs à la politique », explique Dominique Ouattara. Elle partage avec son mari un côté mondain et, comme lui, n’est pas une professionnelle des bains de foule. Pourtant, elle se plie à l’exercice et ne s’en sort pas si mal. Elle a su adapter le pagne à des coupes haute couture, un style africain en touche discrète, et a vaincu sa réserve naturelle pour aller saluer, serrer des mains, esquisser quand il le faut quelques pas de danse. Bref, perdre un peu de sa raideur bourgeoise, même si elle ne sort jamais sans un maquillage et une coiffure soignée quelles que soient les conditions du voyage.

Depuis des mois, entre deux séjours à Paris ou dans la résidence de Mougins sur la Côte d’Azur, elle parcourt la Côte d’Ivoire aux côtés de son mari. « Il m’écoute et il tient compte de ce que je dis, mais il prend ses décisions seul », confie-t-elle. Dominique Ouattara n’est pas une militante, et son engagement politique se limite à soutenir son mari, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des idées et des combats, comme celui de la réforme du service de santé. 

Familles recomposées

Henriette Bédié n’a pas non plus été une militante, et finalement n’aime pas parler politique. Des trois épouses de présidentiables, elle est certainement la plus nature. Spontanée, espiègle et gaie, cette femme aurait été certainement plus épanouie en épouse de grand commis de l’État ou de capitaine d’industrie. Une position qui lui aurait offert un peu plus de liberté de mouvement. Henriette est à l’étroit dans le costume de première dame, et la perspective de reprendre le rôle qu’elle a tenu de 1993 à 1999 l’angoisse. Finalement, elle n’a jamais été aussi heureuse que lorsque son époux était en poste à l’ambassade à Washington ou quand elle peut se promener à Paris sans garde du corps.

Mais Henri Konan Bédié veut reprendre le fauteuil qu’on lui a brusquement confisqué en 1999. En épouse fidèle, elle le secondera. Et même si les palais présidentiels ne la font plus rêver, elle se bat à ses côtés. Et l’accompagne sur les routes poussiéreuses, toujours souriante, enchaînant les meetings, les dîners, les audiences sur un rythme effréné. « Son énergie m’impressionne. Je l’admire beaucoup », dit-elle de son mari, 75 ans, qui pourrait lui retourner le compliment.

Simone, Dominique et Henriette ont aussi en commun une vie privée étalée sur la place publique. Trois femmes, trois couples et trois familles recomposées. Simone Gbagbo a déjà deux enfants, des jumelles, quand elle rencontre Laurent. Lui-même a eu Michel avec une Française, et Léa, d’un autre lit. Ensemble, ils auront des jumelles.

Dominique Ouattara, qui a eu Loïc et Nathalie avec son premier mari, et Alassane, père de Fanta et de Dramane, n’ont pas d’enfant ensemble. La famille Bédié, a quatre enfants, dont Isabelle, qui n’est pas la fille d’Henriette. « Je l’ai élevée comme ma propre fille », confie-t-elle sans en dire plus.

Et puis il y a toutes les rumeurs et secrets d’alcôves. Dominique en a particulièrement pâti. « On a dit que j’avais fait avec Alassane un mariage arrangé. C’était un beau parti, et j’ai suscité pas mal de jalousie », raconte-t-elle. Jalousies et commérages qui ont mis bien des années à s’atténuer. Aujourd’hui, le couple se montre très soudé, visiblement amoureux.

Si Simone et Henriette ont été plus épargnées par les ragots, leurs maris, en revanche, réputés séducteurs, ont alimenté la chronique. Laurent finira d’ailleurs par officialiser sa liaison avec la jeune Nadiana Bamba, dont il a un enfant. Là aussi, les commentaires sont allés bon train. Un voyage de la presse « dans les caleçons » du président, comme il l’a dit lui-même.

Depuis l’arrivée au pouvoir du couple Gbagbo, le ton des journaux a tout de même un peu changé, comme le souligne Dominique Ouattara. « Les attaques, dit-elle, ne sont plus au-dessous de la ceinture. » La presse, très partisane, essaie de rester dans un registre plus politique.

Fraternité Matin, le quotidien gouvernemental, a rassemblé en juin pour un concert les quatre « dames de cœur » et « mère de paix », Mesdames Bédié, Gbagbo, Ouattara auxquelles est venue se joindre Marie-Thérèse Houphouët-Boigny. Une cérémonie pour la galerie. Les épouses des candidats ne se fréquentent pas ou si peu. Dominique a du respect pour Henriette, dont elle apprécie le naturel, la franchise et l’humour. Madame Bédié apprécie aussi Mme Ouattara. Mais interrogées chacune sur leurs relations avec Simone Gbagbo, elles ont la même réponse lapidaire : « Je ne la connais pas. » 

Rôle social et médiatique

Le rôle des épouses est aussi d’occuper l’espace médiatique. Pour Henriette et Dominique, il s’agit essentiellement des activités de leurs fondations respectives, Servir et Children of Africa. Quand Alassane se rend en province pour un meeting, Dominique et son staff organisent des remises de dons aux populations. La frontière entre l’objectif humanitaire et les calculs électoraux est ici très mince. Cela assure aussi à leurs époux une visibilité, même si elle reste limitée face à l’omniprésence du couple présidentiel dans les médias d’État.

Dans une élection où l’équilibre ethnique va jouer un rôle important, l’origine de l’épouse n’a rien d’anodin. Gbagbo, lui, joue sur deux tableaux : Simone est du Sud, de l’ethnie abourée, un groupe akan, Nadiana Bamba est du Nord. Henriette, en revanche, joue dans la même cour ou presque que son mari : ils sont tous deux akans, lui de Daoukro, elle de Koukourandoumi, près de la frontière ghanéenne. Reste Dominique, la Blanche, l’épouse « importée », qui fascine autant qu’elle dérange dans la frange la plus traditionnelle et nationaliste de l’électorat.

Quels que soient leurs origines et leur passé, il y a chez ces trois femmes une volonté farouche d’aller jusqu’au bout avec leur mari. Quoi qu’il en coûte. Car la politique ne les a pas épargnées. Simone est certainement celle qui a payé le tribut le plus lourd pour son engagement. Arrêtée, tabassée en 1992, elle sera maltraitée en prison. Discrète sur les sévices dont elle a été victime, elle en sort traumatisée. À l’époque, le Premier ministre était Alassane Ouattara. Et même si sa responsabilité directe n’est pas établie, elle lui a longtemps voué une haine sans limite. Dans son autobiographie, elle assure avoir pardonné. Autre drame, cette fois en 1996, quand, avec son époux, elle est victime d’un accident de voiture qui a failli lui coûter la vie. Elle s’en sortira plus forte, convaincue qu’on a voulu les assassiner, et persuadée qu’elle doit la vie sauve à Dieu.

Dominique Ouattara aura aussi eu droit à un déferlement de haine, cette fois par journaux interposés. Jamais personne n’aura été attaquée et traînée dans la boue comme elle l’a été, à la fin des années 1990, quand la presse proche de Bédié se déchaînait quasi quotidiennement contre elle. « J’ai été profondément marquée par cet acharnement », se souvient-elle. Et puis il y a eu ce jour de 2002, quand des hommes en armes ont assailli sa villa de Cocody. « Ils venaient de tuer Gueï et toute sa famille, des femmes, des enfants, et on savait qu’ils arrivaient chez nous », raconte-t-elle. Avec son époux, elle passera le mur qui sépare la maison de la résidence de l’ambassadeur d’Allemagne, avant qu’ils soient tous deux évacués par l’ambassadeur de France.

Quant à Henriette, elle a aussi connu la fuite, par la lagune, le stress des combats dont on ignore l’issue, et l’exil en France. L’impression d’avoir été lâchée, des certitudes qui flanchent, un monde qui bascule. Une période difficile, pendant laquelle elle fait une « petite dépression », concède-t-elle. 

Dieu pour toutes

Dans les moments pénibles, à chacune sa méthode. Simone Gbagbo, très pieuse, passée du catholicisme aux Églises évangéliques, très proche de la culture sioniste et d’Israël, où elle se rend souvent, se réfugie dans la prière. Henriette Bédié, elle, pratique un catholicisme discret. Dans le couple Ouattara, monsieur est musulman, madame catholique, avec des origines juives, mais la religion chez eux est confinée à la sphère privée. On évite surtout d’en faire un sujet de campagne.

Chacune avec son style et ses convictions, elles sont en ordre de bataille. Et sont prêtes, parfois même avant leur mari, à entrer dans l’arène pour ce nouveau combat, certainement le plus palpitant de l’histoire électorale du pays. 

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