« Lorsqu’on s’appelle Sarkozy, les choses sont parfois plus difficiles »
Jean Sarkozy, conseiller général des Hauts-de-Seine
Il traverse la scène politique française comme une météorite. À tout juste 23 ans, Jean Sarkozy est déjà conseiller général des Hauts-de-Seine et patron du groupe majoritaire (UMP-Nouveau Centre) au sein de l’assemblée départementale. Le 4 décembre, il prendra sans doute la présidence de l’Établissement public pour l’aménagement de la Défense (Epad), l’organisme qui gère l’un des premiers quartiers d’affaires européens (150 000 salariés, 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires, 3 millions de m2 de bureaux). En 2011, si tout va bien, il devrait présider aux destinées du département le plus riche de France. Ensuite… tout dépendra de l’éventuelle réélection de son père à la présidence de la République. À l’époque où il s’occupait d’affaires africaines à l’Élysée, Jean-Christophe Mitterrand était surnommé « Papa m’a dit ». Jean Sarkozy, c’est carrément « Papa m’a fait ».
Car il va de soi que le deuxième fils du chef de l’État, né d’un premier mariage avec la très catholique et très corse Marie-Dominique Culioli, ne serait rien sans son géniteur. Redevenu anonyme, poursuivrait-il ses études de droit avec plus d’assiduité – et de réussite – qu’il ne le fait aujourd’hui ?
La droite conservatrice s’effarouche de ces pratiques, à la vérité désinvoltes. Ses représentants à l’Assemblée nationale craignent – quand ils ne l’appellent pas de leurs vœux – une réaction de rejet de leurs électeurs : une pétition de protestation circule, mais tout devrait rentrer bientôt dans l’ordre. De gauche ou du centre, les adversaires habituels du chef de l’État dénoncent le « népotisme » dont cette hâtive mise sur orbite leur paraît témoigner : ils sont dans leur rôle. Les médias anglo-saxons bafoueraient les traditions les mieux établies s’ils n’ironisaient sur les mœurs de « république bananière » (The Times) qui prévalent, selon eux, à « Sarkoland ». Leurs collègues chinois, la chaîne CCTV notamment, manqueraient du plus élémentaire sens politique s’ils ne dénonçaient vertueusement ce qu’ils jugent naturel dans leur pays, chez les membres de la nomenklatura communiste. Mais Sarkozy Jr. demande à être jugé non sur son nom, mais sur ses actes et sur ses résultats. Après tout, pourquoi pas ?
L’importance du poste auquel il postule doit d’ailleurs être relativisée. Car le vrai patron de l’Epad, c’est le directeur général. En l’occurrence, le sous-préfet Philippe Chaix, un ancien secrétaire général de la préfecture des Hauts-de-Seine. Le président n’a qu’un rôle – non rémunéré – de représentation et de lobbying auprès des investisseurs. Dans cette perspective, le nom de Sarkozy n’est sûrement pas un handicap.
On peut juger politiquement inopportune et maladroite cette intronisation à la hussarde, alors que, du procès Clearstream à la polémique autour de Frédéric Mitterrand, les affaires embarrassantes ont tendance à se multiplier. Mais Sarkozy-le-stratège a souvent un coup d’avance sur ses adversaires. Au-delà de ces contingences, ce qu’il a en vue, c’est le « Grand Paris », un vaste projet de développement de la région Île-de-France, qui, à l’horizon 2025, devrait se traduire par la mise en place de plusieurs pôles d’activité stratégiques, reliés par un réseau de transports considérablement étendu et renforcé. Or le quartier de la Défense est évidemment l’un d’eux – et non le moindre. Dès février 2010, un projet d’extension va d’ailleurs être lancé. Très vite, du côté de Puteaux et de Courbevoie, de nouvelles tours vont sortir de terre. Dans l’ensemble politiquement très hétérogène du futur Grand Paris, le président a besoin d’un ferme point d’appui, d’une base inexpugnable commandée par un autre lui-même. Jean Sarkozy de Nagy-Bocsa n’est sans doute pas le moins bien placé.
L’opération a été montée avec soin. Patrick Devedjian, l’actuel président de l’Epad, étant opportunément atteint par la limite d’âge (65 ans), le Premier ministre François Fillon avait envisagé de prolonger son mandat, mais le décret concocté à cette fin a été promptement enterré. Parallèlement, la quasi-totalité des hauts fonctionnaires siégeant au conseil d’administration ont été remplacés, leur fidélité n’étant apparemment pas à toute épreuve. Encore fallait-il qu’un poste d’élu se libère rapidement pour faire place à Sarkozy Jr. Hervé Marseille, le maire et conseiller général de Meudon, a donc été invité à démissionner en échange d’une place au Conseil économique et social et, peut-être, d’un siège de sénateur en 2011…
Jean a le timbre de voix, le phrasé haché et la gestuelle un rien saccadée de Nicolas. En a-t-il le mérite ? On verra. Il fut élève du collège Sainte-Croix, puis du lycée Pasteur à Neuilly-sur-Seine, le fief paternel. C’est dans ce dernier établissement que, à l’âge de 16 ans, il fit la connaissance de Jessica Sebaoun, sa future épouse, aujourd’hui enceinte de cinq mois. La jeune Mme Sarkozy n’est pas, comme on l’a écrit, l’héritière du groupe de distribution Darty, celui-ci ayant été vendu, il y a quelques années, à des Anglo-Saxons. Et son mari, même s’il prend des cours d’hébreu, n’a nulle intention de se convertir au judaïsme, comme on l’en a injustement soupçonné.
S’il manifeste pour les études un goût qui n’a rien d’immodéré, le « prince Jean », comme il déteste qu’on le surnomme, est un politique prometteur, intelligent, beau parleur et plein d’entregent. « Il m’impressionne par sa ténacité, se réjouit son père dans une interview au Figaro. Il travaille énormément et fait face avec beaucoup de courage à la dureté et à la brutalité des attaques. » Lors des dernières municipales à Neuilly, son cynique lâchage du pauvre David Martinon, l’ancien porte-parole de l’Élysée, qu’il avait d’abord soutenu bec et ongles, témoigne d’intéressantes dispositions pour son nouveau métier. Couvé par les proches collaborateurs de son père – de Brice Hortefeux, son parrain, à Claude Guéant, le secrétaire général de l’Élysée, en passant par Pierre Charron, la commère, pardon, le conseiller du président –, il dispose dans les Hauts-de-Seine du soutien indéfectible de Patrick Balkany, le très influent maire de Levallois, qui le juge « encore plus talentueux que Nicolas au même âge », d’Isabelle, sa pétulante épouse, mais aussi des réseaux de Charles Pasqua, à qui son père souffla naguère (en 1983) la mairie de Neuilly et qu’on imaginait plus rancunier.
« J’ai compris que, lorsqu’on s’appelle Sarkozy, les choses sont parfois plus difficiles », explique le jeune ambitieux. Précisons : beaucoup plus faciles au début ; et assurément plus compliquées ensuite. Mais c’est la règle du jeu, non ?
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