Les Nobel sont-ils mérités ?

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Publié le 19 octobre 2009 Lecture : 5 minutes.

La saison des Nobel est finie. Mais il est encore temps, me semble-t-il, de commenter l’attribution du prix Nobel de la paix 2009 à Barack Obama. Et, plus largement, de formuler quelques observations sur les lauréats de cette suprême distinction internationale que sont les prix Nobel de la paix, de littérature ou « scientifiques ».

Quand, dans la matinée du vendredi 9 octobre, j’ai appris que le prix Nobel de la paix venait d’être décerné à Oslo (par le comité désigné à cet effet par le Parlement norvégien) à Barack Obama, j’ai été stupéfait comme tout le monde – et comme l’intéressé lui-même.

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Je suis vite passé de la stupéfaction à la désapprobation, puis à la déception : « Voilà encore des gens que nous tenions en très haute estime, me suis-je dit en pensant au Comité d’attribution des Nobel, qui ne résistent pas à l’obamania ambiante et cèdent à la facilité… »

Mais, dès que j’ai lu les attendus qui justifient le choix de Barack Obama et relu la charte qui réglemente l’attribution de ce prix, j’ai changé d’avis. Parce que le prix Nobel de la paix 2009 a été attribué à un homme d’État à l’aube de son action, beaucoup ont jugé le choix du comité « hâtif et prématuré ou bien subjectif ». Mais, en vérité, il a de bonnes chances de se révéler plus juste et plus justifié que ceux attribués à Kissinger et Le Duc Thô (après le retour de la paix au Vietnam) ou à Arafat, Pérès et Rabin (après la signature des accords d’Oslo entre Israël et l’Autorité palestinienne).

Le Nobel de la paix récompense « la personne ayant le plus et le mieux contribué dans l’année au rapprochement des peuples, à la suppression ou à la réduction des armées permanentes, à la réunion ou à la propagation des progrès pour la paix ».

Cette phrase, extraite de la charte du comité d’attribution, est l’exacte description de ce qu’a entrepris Barack Obama depuis son premier jour à la Maison Blanche. Tel a été, très précisément, l’axe de ses discours et de son action.

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Et en huit mois, il a changé le climat international (chauffé à blanc par son prédécesseur) et a mis à l’honneur les concepts de respect mutuel entre les nations.

Le prix le renforcera et l’obligera à garder le cap. Les espoirs qu’il a suscités, les promesses qu’il a faites n’en auront que plus de chances de se réaliser.

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Cela dit, j’en viens aux observations que j’ai annoncées plus haut sur les lauréats des autres Nobel.

Les prix Nobel existent depuis plus d’un siècle et l’on a relevé, non sans acrimonie, que la plupart des « élus » sont des hommes et des Occidentaux.

Même si elle a régressé, la France reste le pays le plus distingué s’agissant des Nobel de littérature – quatorze fois, contre onze pour les États-Unis, qui sont deuxièmes. Les Nobel de médecine et « scientifiques », eux, sont monopolisés par les Américains, qui ont obtenu, de surcroît, le plus grand nombre de prix Nobel de la paix : vingt-trois, en comptant celui de Barack Obama.

L’Académie suédoise et le Parlement norvégien, qui décernent les prix, méritent-ils pour autant le reproche d’être de parti pris ? Pour ma part, je ne le crois pas : le monde du XXe siècle était dominé par les hommes et par les Blancs, qui ont trusté l’éducation, l’argent et la puissance. On retrouve, tout naturellement, cette domination dans la nomenklatura des Nobel, où les femmes, même blanches, et les hommes et femmes du Sud sont très sous-représentés…

Allons plus loin, fût-ce pour l’anecdote, et voyons comment les grandes religions et les grands ensembles sont représentés dans la liste des prix Nobel : tout au long du XXe siècle et jusqu’à ce jour, la très grande majorité des prix – en dehors de celui de la paix – est allée à… des hommes blancs (chrétiens ou juifs).

À ce jour, un seul musulman, le Pakistanais Abdus Salam, a partagé, en 1979, un prix scientifique (de physique) avec deux autres savants (américains) ; deux écrivains musulmans, l’Égyptien Naguib Mahfouz en 1988 et le Turc Orhan Pamuk en 2006, ont été distingués en littérature.â©D’une manière plus générale, le Tiers Monde – les trois quarts de l’humanité – n’a été (quelque peu) distingué que pour la littérature ou la paix.

Européocentrisme ? Peut-être. Plus sûrement, à mon avis, l’effet de l’éducation : les plus et les mieux éduqués étaient (et sont encore pour un temps) en Europe et aux États-Unis. Ils sont donc, jusqu’à nouvel ordre, mieux armés pour concourir pour les Nobel, et se trouvent plus souvent primés que les autres.

Si vous voulez une illustration encore plus spectaculaire de « l’effet éducation », vous la trouverez dans la présence parmi les Prix Nobel d’une proportion particulièrement élevée de chercheurs et savants juifs.

À mon avis, elle n’est due ni à l’action d’un lobby, ni à un parti pris des comités qui décernent les prix. Elle résulte de l’extraordinaire propagation de l’éducation parmi les 13 ou 14 millions de Juifs, dans leur ensemble.

Il y a soixante ans, il y avait beaucoup d’analphabètes parmi les Juifs vivant en Europe de l’Est, au Moyen-Orient ou au Maghreb. Leur départ des pays du Tiers Monde et de l’Europe de l’Est après la guerre de 1939-1945 et la création de l’État d’Israël ont permis aux Juifs d’éradiquer les poches d’analphabétisme : tous les Israélites nés après 1940 ou 1950 sont éduqués, et une proportion très élevée parmi eux s’est hissée au niveau le plus haut des sciences et de la recherche.

Le résultat a été décrit le 13 octobre, il y a donc une semaine, dans Haaretz par Aaron Ciechanover, Juif, Prix Nobel de chimie (2004).

Commentant l’attribution du Nobel 2009 de chimie décerné, pour la première fois, à une femme (israélienne : la professeure Ada Yonath). M. Ciechanover a écrit :

« Près du quart des Prix Nobel sont juifs. C’est un extraordinaire accomplissement, car les Juifs, qui sont moins de 0,25 % de la population mondiale, ont cent fois plus de Nobel que leur quote-part normale. »

« Mais la part des Juifs israéliens, qui représentent la moitié des Juifs du monde, dans ce résultat est cinq fois inférieure à celle des Juifs de la diaspora. »

M. Ciechanover a cherché l’explication de ce double phénomène et l’a trouvée dans la poursuite acharnée du savoir et la généralisation, parmi les Juifs, d’activités fondées sur le savoir.

Elles sont communes aux Juifs, mais mieux reçues et pratiquées par ceux de la diaspora.

Les hommes et les femmes qui décernent les Nobel sont des êtres humains comme vous et moi, exposés à l’erreur et non exempts de tout préjugé.

Mais si leurs prix décernés chaque année depuis plus d’un siècle conservent une telle aura, c’est qu’ils ont su s’élever au-dessus des passions communes et des calculs subalternes. Et ils ont même réussi à se libérer (presque complètement) des œillères de leur communauté.

Nous ne pouvons pas tous être d’accord avec chacune de leurs décisions annuelles. Mais rendons-leur justice : ils cherchent beaucoup, avec le maximum d’impartialité.

Et ils trouvent souvent, dans chacune des disciplines dont ils ont choisi de s’occuper et parmi les centaines de lauréats possibles, la ou les personnes les plus méritantes.

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