Femmes: le pari de l’émancipation
A l’aune du statut juridique des Tunisiennes, le pays est en avance. Même par rapport à l’Europe.
Tunisie, du bon usage de la modernité
« C’est Bourguiba qui a inventé le divorce par consentement mutuel. Et nous, nous avons attendu 1975 pour l’avoir », a coutume de rappeler l’avocate franco-tunisienne Gisèle Halimi. En effet, si le code du statut personnel, entré en vigueur en 1957, interdit la répudiation et instaure le divorce, il a fallu attendre les années 1980 pour que la plupart des pays européens accordent aux femmes le droit de divorcer. Idem pour la signature de la Convention de Copenhague (1985) sur « l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes », que de nombreux pays n’ont pas encore ratifiée, au nom du « droit à la différence », alors que la Tunisie fut l’un des premiers signataires.
Un besoin d’air pur
En Espagne, jusqu’à la fin du régime franquiste, en 1975, les femmes ne pouvaient pas avoir de passeport ou de permis de conduire sans l’autorisation de leur mari. Les mouvements féministes espagnols n’ont réussi qu’en 1978 à faire adopter une Constitution consacrant l’égalité des hommes et des femmes. Vingt ans plus tôt (en 1959), la Tunisie inscrivait dans sa charte fondamentale l’égalité des devoirs et des droits entre les sexes. Pendant ce temps, et jusqu’en 1977, les Allemandes étaient encore sous la tutelle de leur époux de par la loi sur le mariage.
Sur le plan des violences faites aux femmes, de nombreuses lois protègent les Tunisiennes contre les agressions physiques conjugales, le viol et le harcèlement. Dans certains pays d’Amérique latine comme le Venezuela, le code pénal considère la violence domestique à l’égard des femmes comme un phénomène privé, se refusant donc à porter les faits devant la justice.
Permis en Tunisie depuis plus d’un demi-siècle, l’avortement n’est pas encore toléré au cœur même de l’Europe : dans certains pays, l’interruption volontaire de grossesse est parfois tributaire d’autorisations préalables ; en Italie, même s’il se pratique, l’avortement n’est pas encore libéralisé ; dans des pays comme la Roumanie, la femme doit prendre en charge elle-même les frais de l’intervention, ou disposer du consentement du mari, comme en Turquie.
Alors que Habib Bourguiba mettait un terme à la polygamie en 1957, la plupart des pays arabes tolèrent encore cette pratique. D’anciennes provinces de l’ex-URSS comme l’Ingouchie et l’Ossétie du Nord l’ont légalisée de nouveau en… 1999. Enfin, quel responsable politique musulman ose, aujourd’hui, s’attaquer au port du voile ? En 1960 déjà, Bourguiba s’élevait contre « cet épouvantable chiffon qui n’a rien à voir avec la religion ». Et il ajoutait : « Je vous en prie, allégez ce fardeau. Ce n’est plus de mise. Le visage de la femme a plutôt besoin de l’air pur. »
La Tunisie a parfois édicté des lois en avance par rapport aux traditions, et ses avancées ont fléchi devant des mentalités rétrogrades. Certains voient dans le repli religieux actuel une sorte de retour du bâton. D’autres estiment que la Tunisie a eu la chance de promulguer le code de statut personnel dans l’euphorie de l’après-indépendance, chose impossible aujourd’hui avec la déferlante intégriste. Pourtant, les laïcs se disent inquiets devant l’écart entre l’orientation moderniste de la justice et le recul affiché des mentalités. Interviewé le 13 août dernier, à l’occasion de la Journée de la femme, chômée et payée pour tous les Tunisiens en commémoration du code du statut personnel, Arbia Ben Ammar, militante des droits de l’homme, déclarait au journal Le Temps : « Les acquis ne sont jamais irréversibles. La femme tunisienne est appelée à être plus vigilante devant l’agression quasi constante du discours obscurantiste et rétrograde des nostalgiques qui prônent le retour en arrière. »
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