Etats-Unis : quelqu’un a vu Hillary ?
La secrétaire d’État est transparente. Si elle sillonne le monde en tous sens, elle ne pèse manifestement d’aucun poids dans l’élaboration de la diplomatie américaine. Le vrai patron, c’est Obama !
Hillary Rodham Clinton voyage beaucoup. Du 9 au 15 octobre, elle se rend tour à tour au Royaume-Uni, en Irlande et en Russie. Elle a déjà à son actif l’Irak, le Liban, l’Inde et, une première fois, la Russie. Au mois d’août, elle avait visité sept pays africains en onze jours. Déplacements obligés, normaux, pour un chef de la diplomatie américaine. D’où vient dès lors cette impression de vaine agitation que laissent ses neuf premiers mois au secrétariat d’État ?
Après son ralliement à Barack Obama dans la course à la présidence, sa nomination était attendue. Elle n’en a pas moins fait sensation, le 21 janvier dernier. Ex-First Lady et sénatrice de New York, la pugnace candidate à la candidature du Parti démocrate est un monstre sacré de la politique américaine : pour le nouveau président, la « prise » était belle. Mais pas forcément sans danger. Car une question ne pouvait pas ne pas se poser : qui allait manger qui ? La forte personnalité d’Hillary céderait-elle devant le charisme d’Obama ? La première avait voté la guerre en Irak, le second l’avait dénoncée. Pouvaient-ils travailler en bonne intelligence ?
Que ceux qui redoutaient l’établissement d’une sorte de dyarchie à la tête de la diplomatie américaine se rassurent : le patron est, sans conteste, Obama. C’est lui qui, dans ses messages au monde musulman (au Caire) ou à l’Afrique subsaharienne (à Accra), a fixé la doctrine et le cap. Lui aussi qui a mis fin au projet de bouclier antimissile qui exaspérait tant la Russie. Lui encore qui a fait quelque pas – prudents – en direction des Iraniens pour tenter de les dissuader en douceur de se doter de l’arme nucléaire.
Mrs Clinton se contente de ressasser dans des articles de presse des arguments archiconnus. D’abord, bien sûr, la nécessité de se démarquer de l’ère Bush : « Nous avons hérité de tellement de problèmes ! » se lamente-t-elle. Oui, bien sûr, et alors ? Viennent ensuite les traditionnelles admonestations aux États peu recommandables comme la Corée du Nord, qualifiée par elle d’« adolescent turbulent » qui provoque ses parents pour attirer leur attention, mais aussi aux Africains, fermement invités à en finir avec la corruption. Et puis, pour finir, une touche plus personnelle sur la nécessaire protection des femmes dans les guerres civiles. Et c’est à peu près tout.
A droite de l’échiquier
Parfois, elle fait entendre sa différence et démontre qu’elle se situe plus à droite que le président sur l’échiquier politique. Elle s’est par exemple opposée au général Scott Gration, l’envoyé spécial américain pour le Soudan, qui avait envisagé un possible assouplissement des sanctions contre le régime de Khartoum, que Mrs Clinton juge pour sa part « corrompu et cruel ».
Il est vraisemblable que, sur les dossiers des « États voyous » (Iran, Corée du Nord, Soudan), elle se range plutôt dans le camp des « faucons » démocrates opposés à la « naïveté » qu’ils croient déceler dans les ouvertures diplomatiques d’Obama.
Mais son point de vue ne pèse apparemment pas très lourd. Même si elle affirme voir le président au moins une fois par semaine, on ne sent guère sa marque dans les décisions prises. Quand elle affirme haut et fort que « la paix au Proche-Orient n’est pas seulement une mission dévolue à [son] ministère, mais un engagement personnel », les conséquences de cette forte conviction sont loin d’être évidentes. De même, quand le président s’est rendu pour la première fois en Russie, elle est restée à Washington – il est vrai qu’elle s’était cassé le bras peu de temps avant.
À sa décharge, Hillary Clinton se trouve flanquée – faut-il dire surveillée ? – d’une kyrielle d’émissaires spéciaux dépêchés par Obama dans les zones à risques. Et ces derniers réduisent son aire de compétence. Quand ils ne rendent pas son discours sur ces questions inaudible : George Mitchell pour le Proche-Orient, Stephen Bosworth pour la Corée du Nord, Richard Holbrooke pour le Pakistan et l’Afghanistan, Scott Gration pour le Soudan… Sans oublier Joe Biden, le vice-président, qui ne se prive pas de piétiner ses plates-bandes, un peu partout. Et notamment dans les Balkans.
Et puis, il y a Bill, son mari, dont la notoriété et l’activisme de jeune retraité lui font de l’ombre. Passe encore qu’il ait été nommé, au printemps, envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU en Haïti. Après tout, ses appels à faire du tourisme dans cette île déshéritée ne mangent pas de pain. Mais qu’il ait eu le culot, le 4 août à Pyongyang, de rencontrer le maître de la Corée du Nord et d’obtenir de lui la libération de deux journalistes américaines a, dit-on, exaspéré son épouse. À preuve, le même jour à Kinshasa, Hillary a sèchement rétorqué à un étudiant qui l’interrogeait sur ce que Bill pensait de la présence chinoise en Afrique : « Ce n’est pas mon mari qui est secrétaire d’État, c’est moi ! »
Au bout du compte, on découvre une Hillary inattendue : toute disposée à se contenter des honneurs, pourvu qu’ils lui soient rendus, et à laisser à d’autres les affres de la stratégie. Le prouve son ravissement, le 30 septembre, lorsque Alain Joyandet, le secrétaire d’État français à la Coopération, lui a donné du « madame la présidente » alors qu’elle dirigeait les débats du Conseil de sécurité de l’ONU lors d’une séance consacrée aux violences sexuelles infligées aux femmes dans les conflits armés. « J’adore quand vous m’appelez comme ça, a-t-elle minaudé. Cette réunion pourrait donc durer plus longtemps que prévu ! »
Une présidence minuscule, mais une présidence tout de même.
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