Iran : la sainte trouille des Arabes

Les voisins de la République islamique, en particulier les pétromonarchies du Golfe, paniquent à l’idée de la voir devenir une puissance nucléaire. Mais ils craignent tout autant un conflit militaire destiné à empêcher une telle issue. Tôt ou tard, ils devront pourtant choisir.

Publié le 13 octobre 2009 Lecture : 7 minutes.

« Les Arabes sont à cran, titrait récemment l’International Herald Tribune (du 2 octobre). Les Arabes en question sont les dirigeants du Moyen-Orient et singulièrement ceux des pétromonarchies du Golfe. Les derniers développements du « dossier iranien » font souffler sur la région un vent de panique. Quel qu’en soit l’aboutissement, le dialogue engagé entre le groupe des 5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne) et la République islamique n’a rien de rassurant. Ils savent, ces Arabes, que ce qui se passe à leur porte les concerne très directement, mais ils y assistent en spectateurs et n’ont pas leur mot à dire. Du coup, les sentiments sous-jacents, les opinions indicibles se font jour. On se lâche…

Mais avant le désarroi, la surprise. Les mollahs ont véritablement bluffé leurs voisins. Après la crise qui a suivi la présidentielle iranienne du 12 juin, les Arabes ont eu tendance à enterrer un régime qui fait peur depuis trente ans. Les manifestations des réformateurs et la répression féroce avaient été amplement couvertes par les journaux et les télévisions satellitaires. Les jours de la République islamique seraient comptés. Elle serait même menacée d’implosion, à l’instar de l’URSS de Gorbatchev. Une chose est sûre en tout cas, elle n’est pas au meilleur de sa forme.

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Et voilà qu’elle administre à une opinion médusée une démonstration de force à la fois militaire et diplomatique : essai de missiles de longue portée, révélation d’un nouveau site d’enrichissement de l’uranium à Qom, reprise du dialogue avec les États-Unis, pratiquement aux conditions de Téhéran. Bien sûr, rien n’est joué dans les négociations engagées à Genève, mais c’est le savoir-faire, la maestria des Iraniens qui frappe l’opinion arabe.

Des voix belliqueuses

Le moment de surprise passé, c’est le principe de réalité qui l’emporte. Pour les Arabes, l’affaire est entendue : l’Iran sera à terme une puissance nucléaire. On ne l’imagine pas arrêter l’enrichissement de son uranium et on ne croit guère à ses proclamations pacifiques. La détermination occidentale ne réussira pas à réduire le péril. Hossam Zaki, un diplomate égyptien, est formel : « Si l’Occident exerce des pressions croissantes, et quels que soient les moyens qu’il emploie, les Iraniens ne vont pas rester les bras croisés attendant que la foudre leur tombe sur la tête. » Et il va sans dire que l’environnement arabe serait parmi les cibles privilégiées de leurs représailles.

Comment éviter, dans ces conditions, une course aux armements ? Les États fragiles du Golfe, comme Bahreïn, se voient encouragés à inviter une grande puissance nucléaire à installer, à titre de dissuasion, des armes sur son territoire. Déjà, les États-Unis entretiennent une base à Manama, la capitale de Bahreïn. Les mêmes États ne tablent pas uniquement sur l’Occident pour se protéger. Ils se démènent auprès de la Russie et de la Chine pour les convaincre de cesser leur aide à l’Iran. L’Arabie saoudite fait savoir qu’elle est disposée à conclure avec la Russie des contrats d’armement de 2 milliards de dollars si celle-ci renonce à vendre à Téhéran un système de défense antimissile sophistiqué. Curieusement, il semble que le fameux voyage secret du Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à Moscou, en septembre, avait le même objectif : empêcher la livraison de ce matériel à la République islamique. S’agissant de la Chine, les États du Golfe lui offrent de concert un million de visas pour ses ressortissants appelés à travailler pour ses sociétés dans la région.

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La résignation n’est pas la seule réaction devant la perspective d’un Iran puissance nucléaire. On entend désormais – et c’est nouveau – des voix belliqueuses. Le patron d’un important centre de recherche à Dubaï confie à l’International Herald Tribune son impatience d’en finir. « Il vaut mieux que l’Occident – ou Israël – monte des frappes militaires contre l’Iran plutôt que de le laisser s’imposer comme une puissance nucléaire. » Abdelaziz Sager, un ancien diplomate saoudien reconverti dans le business et qui anime le Centre de recherche du Golfe, livre tranquillement ces réflexions : « Israël peut commencer l’attaque, mais ne peut la poursuivre. Tout compte fait, il vaut mieux pour la région qu’elle affronte les représailles limitées de l’Iran plutôt que de se retrouver sous l’empire de la dissuasion nucléaire permanente du même Iran. Je préfère que le job soit fait maintenant plutôt que de vivre le restant de mes jours sous l’hégémonie nucléaire iranienne. »

Le « péril chiite »

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La « bombe » potentielle, programmée, n’est pas la seule source d’angoisse pour les voisins arabes de la République islamique. Il en est une autre, immédiate et qui ne manquera pas de se développer en cas de conflit ouvert : la subversion, pièce maîtresse dans le catalogue des représailles préparé de longue date. Outre le soutien multiforme que le pays de Khomeiny apporte à ses alliés, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien, Téhéran est soupçonné, entre autres, d’entretenir la rébellion chiite au Yémen, d’exacerber les conflits entre chiites et sunnites en Arabie saoudite, à Bahreïn et au Koweït. Au regard des disparités confessionnelles, les États du Golfe sont particulièrement vulnérables. Deux exemples édifiants : Bahreïn est une monarchie sunnite qui règne sur une population à 70 % chiite. La population chiite d’Arabie saoudite ne dépasse pas 10 %, mais elle est concentrée dans l’est de la péninsule, là où se trouve l’essentiel des réserves en hydrocarbures.

Face au péril chiite (et perse), les Arabes sont en proie à ce qu’on peut appeler la tentation israélienne. Hier inconcevable, taboue, l’alliance avec l’État juif apparaît comme une option commandée par la nécessité. Elle est déjà présente dans les calculs, les stratégies et, à l’occasion, dans les discours solennels. La veille de la guerre de l’été 2006 déclenchée par Israël contre le Hezbollah, les Saoudiens n’ont pas hésité à dénoncer, en pleine réunion de la Ligue arabe, l’« aventurisme » de l’organisation chiite. L’anathème prononcé contre l’obédience chiite, apparue à la mort du Prophète et respectée par 15 % des musulmans dans le monde, redevient d’actualité. On a entendu l’année dernière Cheikh Youssef al-Qaradawi, téléprédicateur vedette d’Al-Jazira, lancer : « Les chiites sont des hérétiques et représentent un danger parce qu’ils tentent d’envahir la société sunnite. »

De là à substituer le conflit sunnite-chiite au conflit judéo-arabe, il n’y a qu’un pas. Vali Reza Nasr, un politologue américain d’origine iranienne, diagnostique la « marginalisation du conflit israélo-arabe ». La plupart des pays arabes ont davantage intérêt à contenir l’Iran qu’Israël. « Nous pensions jadis, poursuit-il, que le règlement du conflit israélo-arabe était la clé qui permettrait de résoudre tous les problèmes de la région, à savoir le terrorisme, Al-Qaïda, l’Iran et l’Irak. Je pense que c’est désormais le Golfe arabo-persique qui permettra de résoudre le conflit israélo-arabe. Toutes les puissances qui comptent – l’Iran, l’Arabie saoudite et même les bons élèves de la région comme Dubaï ou Abou Dhabi – se trouvent dans le Golfe. Et tous les conflits importants pour nous – l’Irak, l’Afghanistan et l’Iran – se trouvent dans le Golfe. »

Pas d’interlocuteur à Tel-Aviv

Shimon Pérès partage ce jugement : « Pour la première fois, la majorité du monde arabe pense que le véritable danger, c’est l’Iran et non Israël. » Mais dans quelle mesure le président israélien ne prend-il pas ses désirs pour la réalité ? À supposer que les Arabes se décident à résoudre tous leurs différends avec Israël pour se consacrer à la menace iranienne, trouveront-ils pour autant un interlocuteur valable à Tel-Aviv ?

En vérité, la tentation de l’alliance avec Israël n’est qu’un fantasme, comme on peut s’en rendre compte chaque jour depuis l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche. Ses efforts pour faire avancer la cause de la paix sont en effet systématiquement combattus par Netanyahou. C’est d’ailleurs l’absence de partenaire israélien qui accroît le désarroi arabe.

Les dirigeants arabes ont tout faux : ils ont tout offert à Israël (la reconnaissance par tous les États arabes et musulmans contre la fin de l’occupation) sans rien obtenir en retour. Ils ont jeté leur dévolu sur l’alliance avec les États-Unis et l’Occident et, de Bush à Obama, ne sont guère entendus à Washington, Paris ou Londres. Et ils ont beau contrôler et contraindre, ils ne peuvent ignorer que leurs peuples ont l’esprit et le cœur ailleurs. Car la fameuse « rue arabe » vibre avec la République islamique.

Voici ce qu’écrivait récemment Abdel Bari Atwan dans Al-Qods al-Arabi, qui paraît à Londres : « On peut affirmer que l’Iran est devenu la grande puissance régionale. C’est lui qui assiège tout le monde, qui déjoue les calculs de l’Occident, en particulier des États-Unis, et qui constitue une menace existentielle pour Israël. Et tout cela grâce à son savoir-faire tactique, au développement de sa puissance militaire, à ses ambitions nucléaires et à un leadership qui cultive le défi, la confrontation et l’art de la surprise. » Le journaliste, très respecté pour sa lucidité et son indépendance, estime que si le dialogue engagé à Genève tourne court, « les régimes arabes, en particulier ceux du Golfe, risquent d’être embarqués dans une nouvelle alliance contre l’Iran, côte à côte avec Israël ». Les Arabes seront absents de la partie qui se joue aujourd’hui. Tout au plus seront-ils convoqués le moment venu comme de « faux témoins ». Titre de l’article : « Missiles iraniens et pions arabes ».

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