Les limites du modèle botswanais

Le président Ian Khama, critiqué pour son autoritarisme, devrait être confirmé dans ses fonctions par un Parlement largement dominé depuis 1966 par le même parti.

Publié le 13 octobre 2009 Lecture : 5 minutes.

Aux abords d’un arrêt de taxis-minibus à Tsogang, dans la banlieue de Gaborone, une poignée de représentants du Botswana Congress Party (BCP) tentent d’attirer l’attention des passants. Au micro, un militant de ce petit parti d’opposition appelle à la gratuité de l’enseignement secondaire. Adossé à sa voiture, Gaborutwe Thekiso, candidat aux législatives du 16 octobre, ne s’étonne pas du peu d’intérêt des riverains et des passants : « Peu de gens s’arrêtent. Vous ne verrez aucun fonctionnaire s’attarder à nos meetings. Ils ont trop peur d’être dénoncés. »

Le Botswana ne serait donc pas le modèle démocratique vanté par la communauté internationale ? En tout cas, phénomène nouveau dans ce pays réputé si paisible, des opposants et des intellectuels s’inquiètent pour leur démocratie, et dénoncent même une dérive autocratique. Le nouveau chef de l’État, Ian Khama, 56 ans, fils du premier président du pays, aurait des méthodes particulièrement autoritaires.

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Difficile pour l’opposition d’attaquer le gouvernement sur son bilan économique. Le Botswana, premier producteur mondial de diamants de qualité, a prouvé qu’il avait les reins solides. En octobre 2008, au plus fort de la crise économique mondiale, l’employeur principal, la multinationale du diamant De Beers, a fermé trois de ses quatre mines pendant six mois. Le gouvernement a alors puisé dans les réserves de devises de l’État pour lancer deux grands programmes, l’un de travaux publics, l’autre agricole.

En juin dernier, pour combler un déficit budgétaire qui était déjà prévu, la Banque africaine de développement (BAD) a accordé au Botswana un emprunt de 1,5 milliard de dollars. Ainsi, selon le porte-parole du gouvernement, Jeffress Ramsay, le pays a atteint une croissance économique, hors minéraux, de 6 % sur les douze derniers mois. Assez en principe pour garantir, ce mois-ci, une dixième victoire électorale successive au BDP, Botswana Democratic Party, au pouvoir depuis l’indépendance, en 1966. 

De Beers, le vrai pouvoir ?

Le pays peut se targuer d’avoir une tradition de bonne gouvernance et d’avoir connu une certaine forme d’alternance. Depuis le départ des Britanniques, un an avant la découverte du diamant, le Botswana a eu quatre présidents, dont trois ont démissionné de leur propre gré en faveur de leurs vice-présidents dix-huit mois avant les élections législatives. C’est ainsi que Festus Mogae a passé le relais à Ian Khama en avril 2008. Ce dernier n’attend que les législatives du 16 octobre pour être confirmé dans ses fonctions pour cinq ans – mandat renouvelable une fois – par les députés. Le Parlement actuel, composé de 57 députés, est dominé par le BDP avec 44 sièges, contre 12 détenus par le Botswana National Front (BNF) et un seul pour le BCP.

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Le diamant, exploité par Debswana, société mixte, De Beers-État botswanais, représente 35 % du produit national brut. Si l’économie s’est un peu diversifiée avec l’exploitation de la filière bovine, le tourisme et quelques industries (pharmacie, usine de montage de voitures), la croissance reste tirée par le commerce des gemmes.

« Parfois, on se demande qui dirige le Botswana – notre propre gouvernement ou De Beers, ou encore les puissances occidentales, s’insurge Moeti Mohwasa, porte-parole du BNF. À 20 km de Gaborone, des gens ont faim. Le BDP contrôle les chefs traditionnels, donc le vote rural, mais néglige les populations. Nous demandons un robinet pour chaque Botswanais. Nous ne voulons plus de cette élite qui garde jalousement le pouvoir depuis quarante-trois ans », poursuit-il.

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Il n’empêche, le bilan du BDP est loin d’être mauvais. Le Botswana a même parfois fait preuve d’une certaine clairvoyance, notamment sur la question du sida. Alors que le pays est l’un des plus touchés au monde, la pandémie a été abordée sans tabou et avec efficacité, avec un partenaire du privé… encore et toujours De Beers. Le pays s’est aussi distingué en critiquant ouvertement Robert Mugabe quand il était encore un héros pour certains et jouissait du soutien de l’Afrique du Sud.

Le Botswana est parfois nommé la Suisse de l’Afrique. Une comparaison exagérée, même si par contraste avec les autres États du continent le pays prend des airs helvétiques. Ainsi, Gaborone, la petite capitale (250 000 habitants), fonctionne avec une efficacité presque intimidante. On trouve un goudron impeccable, des tours brillantes à l’image du diamant-roi, des galeries commerçantes d’inspiration sud-africaine, des rues propres, avec même des places de parking réservées aux handicapés. Les automobilistes font preuve d’une discipline exemplaire face à des contrôles de radar fréquents, effectués par des policiers réputés incorruptibles. 

Dérive autocratique

Autre ambiance à 40 km de la capitale, dans la petite ville de Moshudi : chemins en terre battue, supermarchés bas de gamme et voitures déglinguées. Quand le parti au pouvoir fait campagne, la population accourt pour ses tee-shirts rouges et ses casquettes gratuites. À son arrivée, le candidat de la circonscription, Gilbert Shimane Mangole, se dirige vers le siège du gouvernement tribal. À l’ouverture de son meeting, des dames âgées, vêtues de rouge, s’agenouillent devant lui. On n’est plus en Suisse.

Dans la capitale, il existe tout de même matière à contestations, notamment concernant des atteintes récentes à la liberté de la presse et une tendance de Ian Khama à agir sans en référer au Parlement. L’année dernière, il a tenté d’interdire par décret l’importation d’alcool au nom de la lutte contre l’alcoolisme. Fin septembre, un haut fonctionnaire, Moses Lekaukau, a été renvoyé et jeté manu militari hors de son bureau, après s’être exprimé en faveur d’une aile dissidente du parti au pouvoir. Dans ce pays fier de l’indépendance et de la probité de ses fonctionnaires, le départ de Lekaukau a pris un aspect dramatique.

Inquiétude aussi ce mois-ci après la suspension pour dissension du secrétaire général du BDP, Gomolemo Motswaledi. Il est accusé d’avoir pris des décisions unilatérales et surtout de ne pas avoir tenu compte des desiderata de Ian Khama dans des affaires de promotions internes du parti.

En mai dernier, l’influente Law Society of South Africa (LSSA) – garde-fou du système judiciaire dans la région – a dénoncé le comportement de l’armée botswanaise, qui aurait torturé puis tué douze suspects impliqués dans des affaires criminelles. La LSSA reprend aussi les critiques de l’opposition, qui reproche au chef de l’état, ancien militaire, de régler des conflits à travers le Directorate of Intelligence and Security (DIS) – un groupe de militaires proche de lui.

Les journalistes aussi s’inquiètent. Le gouvernement prépare en effet la mise en place d’un Conseil de surveillance des médias, auquel ni la télévision ni la radio étatiques ne seraient assujetties. Pour Aubrey Lute, rédactrice en chef du Botswana Gazette, « la loi vise uniquement à limiter la liberté d’expression des médias indépendants ».

Le gouvernement use sans limites ou presque de la liberté d’action que sa majorité lui confère. L’opposition, divisée, est en partie responsable de sa faiblesse. Malgré une nouvelle tentative, elle n’a encore une fois pas réussi à faire front commun contre le BDP.

Avant même le scrutin, Gaborutwe Thekiso, du BCP, va continuer à arpenter les quartiers de Gaborone mais ne se fait pas d’illusion, son parti n’a aucune chance d’inquiéter le tout-puissant BDP. « Nous avons devant nous un travail de longue haleine. Il nous faut une alliance. Notre fierté en tant que nation est de n’avoir jamais connu de coup d’État, de guerre, ni de violences civiles. Si le BDP abuse de sa position, le peuple saura réagir », déclare Thekiso. Il semble qu’il y ait encore bien loin avant que le vent de révolte souffle sur le Kalahari.

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