Bédié a-t-il changé ?

Un peu de nouchi, le langage de la rue, une verve retrouvée et une campagne offensive… Pour son dernier combat politique, l’ancien président tente de séduire les jeunes. La bataille n’est pas facile.

Publié le 13 octobre 2009 Lecture : 4 minutes.

Si, à 75 ans, Henri Konan Bédié est le plus âgé des candidats déclarés à la présidentielle, il ne se ménage pas pour autant. « Il faut se lever de bonne heure pour mener une bonne campagne », explique l’ancien chef de l’État, renversé il y a bientôt dix ans, entré dans la bataille électorale avant ses deux principaux adversaires, Laurent Gbagbo, l’actuel chef de l’État, et Alassane Ouattara, le leader du Rassemblement des républicains (RDR).

Toujours traumatisé par le coup d’État de décembre 1999, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) aurait, selon ses proches, pris conscience de ses erreurs passées. Au pouvoir, le président vivait dans une bulle dorée, totalement coupé des réalités. À la première alerte, son pouvoir n’a pas résisté. Son obstination et certainement son erreur d’appréciation de la situation ont assuré la transformation en quelques heures d’une mutinerie militaire, avec des revendications catégorielles précises, en un coup d’État.

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Le « nouveau » Henri Konan Bédié se veut plus à l’écoute. Auparavant méprisant, austère et presque inaccessible, il se montre plus ouvert et plus réceptif. « Il a vraiment changé, il fréquente tous ses collaborateurs », confie un membre de la direction du parti. D’abord divisé sur l’opportunité de faire revenir le « Bélier de Daoukro » au premier rang, le PDCI a fini par serrer les rangs derrière son candidat. La vieille garde – composée du professeur Alphonse Djédjé Mady, le directeur de campagne, du général de gendarmerie Gaston Ouassénan Koné, de la pharmacienne Hortense Aka Anghui, du juriste Noël Nemin – cohabite avec la nouvelle génération de cadres comme les ministres Patrick Achi, Banzio Dagobert, Allah Kouadio Remy… Certains barons comme l’ex-Premier ministre Charles Konan Banny, l’ancien ministre de l’Intérieur Émile Constant Bombet ou le député Jérôme Kablan Brou, qui manifestaient des velléités de candidature, ont rejoint la maison vert et blanc du parti. Tous ces signes montrent une cohésion retrouvée, après quelques défections de taille, dont celle d’une figure historique du PDCI, Laurent Dona Fologo, ou celle de l’ancienne ministre de la Communication Danielle Boni Claverie.

Pour le moment, le programme de gouvernement n’a pas été dévoilé. En attendant, Henri Konan Bédié réchauffe le slogan de campagne de 1995, « le progrès pour tous, le bonheur pour chacun ».

« Nos thèmes de campagne seront axés autour de la paix, de la sagesse et de l’expérience. Il faut que les Ivoiriens sachent ce que chaque parti a fait pour le pays. Ce sera bilan contre bilan », déclare Ahoua N’Doli, rapporteur général de l’équipe de campagne. « Les Ivoiriens doivent se mobiliser autour du PDCI, qui a libéré la Côte d’Ivoire du joug colonial, qui l’a transformée dans le sens du bien, qui lui a assuré un développement remarquable. Les Ivoiriens doivent se souvenir de cette belle époque que nous ambitionnons de rééditer », confie Henri Konan Bédié. Un discours fondé sur la nostalgie, qui aura peut-être du mal à toucher le cœur de cible, les moins de 40 ans. 

« Régime de jouisseurs »

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Sur le terrain, au fil des meetings, toujours accompagné de son épouse, Henriette Konan Bédié, le ton a changé. Il est nettement plus virulent, comme si en opposant il trouvait une verve et une virulence qu’il n’avait pas en tant que président. Il dénonce le « régime des jouisseurs égoïstes » au pouvoir, qualifiant les dirigeants actuels « d’imbéciles heureux ».

La publication d’un sondage, effectué par la Sofres, qui note une large préférence des jeunes pour Laurent Gbagbo, a profondément influencé la tactique des candidats, à commencer par Bédié. Ainsi, l’arrivée du nouchi, l’argot populaire, dans ses discours. Petit florilège : « Comme de vrais bramôgô [“brave”], bandons nos muscles pour téguê [“battre”] ces refondateurs, ils vont fraya [“s’enfuir”]. Nous n’avons rien à faire avec les flôkô [“mensonges”] et les VI [“vendeurs d’illusion”]. Au soir du 29 novembre 2009, ils vont behou [“disparaître”]. » Comme on dit en nouchi, Bédié tente un parler de « vieux père », façon conseiller et complice des jeunes. 

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Du neuf avec du vieux

Il s’est expliqué sur ce changement de ton. « Nous parlons à la jeunesse de Côte d’Ivoire, il faut un langage approprié à cette frange de la population. D’ailleurs, nous n’avons pas besoin de draguer cette jeunesse, elle nous est déjà acquise », répond, avec assurance, Henri Konan Bédié.

Malgré toutes les opérations de charme du candidat du « vieux » parti, il ne revient pas sur les racines de la crise et, notamment, l’« ivoirité », un concept développé par les intellectuels du PDCI qui catégorisait les Ivoiriens en Ivoiriens de souche ou Ivoiriens de circonstance. « Les Ivoiriens ne sont pas dupes, le père de l’ivoirité veut se donner une nouvelle virginité politique, mais cela passera difficilement. Les cœurs sont encore meurtris », avance un observateur de la vie politique.

Pour sa nouvelle stratégie de communication, le PDCI a choisi McCann Erickson, la filiale locale de McCann Worldgroup, pour peaufiner l’image de son candidat. Une décision qui arrive après que les deux adversaires ont choisi leur conseiller en communication : Euro RSCG pour Laurent Gbagbo et Voodoo Communication pour Alassane Ouattara. « McCann vient en appui à nos actions. Nous envisageons d’investir la Toile, des pages sont déjà ouvertes sur Facebook, nous avons en projet la création de deux Web TV pour notre candidat, » explique un membre du comité communication du PDCI. Attention aux mirages cependant, les nouveaux médias ne suffisent pas toujours à faire du neuf avec vieux.

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