Sénégal : Tanor-Niasse, le combat des chefs

Les deux leaders de l’opposition sont d’accord sur un point : il faudrait un candidat unique pour l’élection présidentielle de 2012. L’entente s’arrête là. Pour le moment, aucun des deux ne semble disposé à s’effacer au profit de l’autre.

Publié le 13 octobre 2009 Lecture : 5 minutes.

Même si Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng font tous les deux des efforts pour sauver les apparences et ont pris sur eux de se retrouver pour assurer la victoire de l’opposition aux élections locales du 22 mars dernier, leur passé commun, fait d’adversité et de méfiance, alors qu’ils étaient tous deux des proches collaborateurs de l’ex-président Abdou Diouf, remonte toujours à la surface. De sorte que le moindre incident dégénère en escalade entre leurs camps respectifs.

Dernier exemple en date : la polémique suscitée par la sortie de Barthélémy Dias. Il a suffi d’une phrase du leader des jeunes du Parti socialiste (PS) pour mettre le feu aux poudres. « Le candidat unique de Benno Siggil Sénégal (BSS, la coalition de l’opposition), ce sera Tanor Dieng et personne d’autre », avait-il proféré. Immédiatement, Mbaye Dione, patron des jeunes de l’Alliance des forces de progrès (AFP) de Moustapha Niasse, a dénoncé des « manœuvres politiciennes de bas niveau, des complots sordides pour imposer à la coalition Benno Siggil Sénégal son candidat ou, à défaut, la diviser ».

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La querelle de leadership au sein de BSS est le fruit d’un choc entre deux légitimités. Fort de ses cinquante ans de militantisme, de sa longue expérience gouvernementale, et de sa grande connaissance de l’État, Moustapha Niasse, qui jouit également du droit d’aînesse, est convaincu d’être le porte-étendard naturel de l’opposition. En face, Tanor, qui est arrivé, avec 13,56 % des suffrages, en troisième position à l’élection présidentielle de février 2007 (derrière Abdoulaye Wade et Idrissa Seck), est convaincu d’avoir plus de légitimité populaire pour prétendre défendre les couleurs de l’union de l’opposition. 

Bataille pour la mairie

Ce ne sont pas que ces ambitions contradictoires qui éloignent les deux hommes. Ils ont aussi des tempéraments fort différents. Si le leader de l’AFP a une grande capacité de conceptualisation en bon produit de Léopold Sédar Senghor, son alter ego du PS est plus sobre et moins expansif. Alors que le premier est un concepteur de la vieille école, le second a le profil d’un technocrate froid.

Ils se livrent une guerre sournoise. Les épisodes de ce bras de fer sont nombreux. Au lendemain des élections locales du 22 mars, remportées par BSS dans toutes les grandes villes, le problème du choix du maire de Dakar s’est posé. Alors que beaucoup de partis de la coalition commençaient à lorgner le fauteuil, Niasse a usé de toute son influence pour imposer Khalifa Sall du PS. Son calcul est simple : fort de l’un des postes les plus stratégiques du pays, un homme de l’envergure de Sall était parti pour contrebalancer l’influence de Tanor au sein de son propre parti. Le vieil animal politique ne s’est pas trompé : le maire de Dakar est aujourd’hui une grosse épine au pied du patron du PS. Barthélémy Dias aurait même confié à son entourage : « Si je me suis empressé de déclarer Tanor candidat unique de BSS, c’est surtout pour contrecarrer les manœuvres de Khalifa Sall, qui travaille en coulisses à imposer l’ex-Premier ministre Mamadou Lamine Loum ou le patron de l’athlétisme mondial Abdoulaye Diack comme candidats de notre parti à la future présidentielle. »

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Grandes manœuvres et guerre de tranchées… Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng ne se font aucun cadeau. Au sein de BSS, chacun d’entre eux s’est arrangé pour avoir son propre camp. Niasse s’appuie sur Amath Dansokho, secrétaire général du Parti de l’indépendance et du travail (PIT) et sur d’autres leaders de petites formations. Tanor s’est rapproché d’Abdoulaye Bathily, patron de la Ligue démocratique-Mouvement pour le parti du travail (LD-MPT) et de quelques autres. 

Macky Sall, arbitre ?

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Fraîchement arrivé dans l’opposition après sa démission du parti présidentiel, l’ancien Premier ministre Macky Sall, leader de l’Alliance pour la République (APR), fait office d’arbitre entre ces deux blocs qui se neutralisent mutuellement. De sorte que Niasse et Tanor s’activent chacun pour l’avoir de son côté. Plus politique, le premier travaille à former une alliance entre l’AFP et l’APR afin d’isoler son rival.

L’argent est l’autre question sur laquelle la rivalité fait rage. Chaque fois que BSS doit financer un meeting, une marche ou une activité quelconque, Niasse est le dernier à cotiser. Il attend toujours de connaître le montant de la participation de Tanor pour le doubler, convaincu que « qui paie plus commande plus ».

Cette rivalité tous azimuts plonge ses racines dans le passé. Moustapha Niasse et Ousmane Tanor Dieng se combattent au moins depuis ce « congrès sans débat » de mars 1996 au cours duquel Abdou Diouf, alors aux commandes de l’État et du Parti socialiste, a imposé Ousmane Tanor Dieng, militant de fraîche date, au poste de premier secrétaire. Au détriment d’historiques du parti comme Moustapha Niasse, qui a préféré bouder le congrès. Il se trouvait à ce moment-là en Suisse officiellement pour raison de santé.

La suite est connue. Arrivé en troisième position au premier tour de l’élection présidentielle de 2000, avec plus de 16 % des suffrages, Niasse soutient au second tour Abdoulaye Wade, qui bat Abdou Diouf. Nommé Premier ministre, puis limogé par Wade en mars 2001, le leader de l’AFP retrouve dans l’opposition celui qui a hérité du PS après la défaite de Diouf. Mais leurs divergences demeurent et empêchent une candidature unique de l’opposition à l’occasion de la présidentielle de 2007. Tanor fait cavalier seul, Niasse se retrouve avec Dansokho au sein de la Coalition alternance 2007.

Aujourd’hui encore, alors que Wade a d’ores et déjà déclaré sa candidature à l’élection de 2012, et que ses proches lui suggèrent de réviser la Constitution pour instaurer un système majoritaire à un seul tour, point d’union de l’opposition en vue.

Conscient qu’il joue sa dernière carte en 2012 – il aura 73 ans à cette date –, Niasse n’entend céder la place à personne. De neuf ans son cadet, Tanor a un peu plus de marge. Mais il ne songe pas à s’effacer au profit de qui que ce soit. Comme il l’a confié récemment à un autre leader de premier plan de l’opposition : « Je ne peux pas introduire un vide dans l’histoire du PS, longue de 60 ans, en décidant qu’il sera absent à un rendez-vous aussi important qu’une élection présidentielle. » Et le même leader de commenter : « Pourtant, ces deux hommes sont complémentaires et auraient pu former un beau duo. Niasse est expérimenté et jouit d’une réelle capacité de conception. Tanor a démontré qu’il savait bien piloter un cabinet présidentiel et faire fonctionner à plein régime la machine administrative. »

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