A quand le « rattrapage » ?
« Grâce à notre action énergique et coordonnée, des millions d’emplois ont été sauvegardés ou créés, la baisse de la production a été stoppée, les marchés financiers ont retrouvé vie, et nous avons empêché que la crise ne se propage dans le monde en développement. »
L’auteur de ce diagnostic optimiste ? Barack Obama, le charismatique président des États-Unis, à Pittsburgh, le 25 septembre, à l’issue du dernier G20.
La plupart des dirigeants politiques des grands pays, qu’ils soient développés ou émergents, partagent son optimisme et se décernent le même satisfecit.
Mais le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, le directeur général du Fonds monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, et les plus grands économistes qu’ils ont consultés émettent des réserves et appellent à la prudence : en début de convalescence, l’économie mondiale n’est pas encore à l’abri d’une rechute.
De leur côté, le président de la Banque africaine de développement (BAD), Donald Kaberuka, et les responsables des autres banques continentales disent tout naturellement : « Attention, chacune des grandes régions du monde a ses propres données, vit la crise de façon différente. »
Il y a cependant un consensus : personne ne doute que la crise a été maîtrisée et que l’économie mondiale a touché le fond ; elle va connaître « une croissance anémique et inégale », et il se confirme qu’il revient aux pays émergents de tirer nos économies vers le haut, les pays développés ayant le plus grand mal à renouer avec la croissance.
Les graphiques ci-dessous (établis sur la base des chiffres et des prévisions du FMI et de la Banque mondiale) montrent où nous en sommes et comment va évoluer l’économie mondiale.
Les graphiques mettent en évidence un phénomène de première importance dont je voudrais vous entretenir : le fameux rattrapage.
Il avait débuté à la fin du XXe siècle et poursuivait son petit bonhomme de chemin depuis une vingtaine d’années.
Tout d’un coup, il y a deux ans, surgit la crise, qui imprime aussitôt une accélération spectaculaire à ce rattrapage (économique, mais pas seulement) : les grands pays émergents se sont mis à rattraper, à pas beaucoup plus rapides, le retard qu’ils avaient sur les pays développés ; au rythme qu’il a pris, ce rattrapage est en train de devenir l’événement dominant de ce début de XXIe siècle.
Et de nouveau, avec encore plus d’acuité, on se pose la question à 1 milliard de dollars : qui dominera le XXIe siècle ? Où sera le centre du monde ?
Les États-Unis et l’Europe conserveront-ils leur prééminence ou, plutôt, quand devront-ils passer la main ?â©Ici, les analystes se divisent en deux camps.
1. Il y a ceux qui observent que le déclin de l’Amérique (et avec elle de ce que l’on appelle l’Occident), s’il est bien réel, est très lent. « Il est, de surcroît, tout relatif », ajoutent-ils, avant de préciser : « La progression de la Chine, de l’Inde et des autres pays émergents n’est pas à l’abri d’un possible accident.
« Il ne suffit donc pas de tracer une ligne droite à partir de leurs taux de croissance respectifs – 8 % à 10 % par an pour les émergents et 2 % à 3 % pour les développés – pour en conclure que le rattrapage se fera dans les vingt à trente ans qui viennent.
« On ne peut pas raisonnablement postuler que les pays émergents vont avancer sans entraves, ne connaîtront ni récessions, ni faillites bancaires, ni crises politiques, ni insurrections sociales susceptibles d’interrompre le développement.
« Étant donné le gigantisme de l’expérience chinoise, qui tente de marier communisme et capitalisme, la force d’inertie de la bureaucratie et de la corruption profondément ancrées en Inde, il est plus que probable que les trajectoires de croissance de ces deux pays connaîtront une évolution en dents de scie.
« Quant au système américain, il fonctionne globalement, et s’il lui arrive de tomber en panne, il est capable de se relancer très vite. En outre, l’Amérique a un atout majeur et exceptionnel : ce pays est le lieu où convergent, d’une part, des entrepreneurs brillants, avides de succès, et, d’autre part, des investisseurs disposant de liquidités illimitées et à l’affût des moindres opportunités. »
Conclusion des tenants de cette thèse : « Les États-Unis d’Amérique domineront l’économie mondiale sinon pendant tout le XXIe siècle, du moins pendant la majeure partie de cette période. Cette domination ne sera pas totale comme elle l’a été au tournant du millénaire. Mais l’Amérique maintiendra son avance jusqu’à ce que les autres pays réussissent à développer un système économique et social qui fonctionne aussi bien. »
2. L’accélération du rattrapage signalée plus haut donne de nouveaux arguments, très forts, aux tenants de la thèse opposée : ceux-ci soutiennent que, ajoutant leur poids à celui du Japon, la Chine, l’Inde, la Corée, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour et le Vietnam sont bien partis pour faire transférer le centre de gravité du monde en Asie, plus vite qu’on ne le pensait, dans les vingt ans qui viennent.
Des pays aussi importants que la Russie, le Brésil, l’Afrique du Sud, et quelques autres comme la Turquie ou l’Iran peuvent, à leur tour, faire une percée.
« Dans les années 2030, nous aurons déjà un monde très différent de celui d’aujourd’hui », nous disent les auteurs de cette thèse.
Ils ajoutent : « Avec moins de 1 milliard d’habitants sur les 8 milliards que comptera alors la planète, ayant perdu les avantages acquis au cours des XIXe et XXe siècles, les États-Unis et l’Europe seront, bien plus tôt qu’on ne le pense, ramenés à leur dimension démographique.
« De leur côté, les Asiatiques, dont on a pu dire au siècle dernier qu’ils étaient “innombrables et misérables”, réoccuperont dans le monde le poids que leur donne la démographie. »
On a tendance à l’oublier, mais, en 2009, les Asiatiques représentent (déjà) beaucoup plus que la moitié de l’humanité : 4,120 milliards, contre 2,697 milliards pour tous les autres*…
Dès lors que d’un continent à l’autre les hommes et les femmes auront la même valeur et pèseront le même poids, ou à peu près, la prééminence reviendra nécessairement à l’Asie.
Je ne peux, pour ma part, que me réjouir de la perspective de voir que les êtres humains seront enfin devenus moins inégaux.
*Afrique : 1 milliard ; Amérique : 932 millions ; Europe : 730 millions ; reste du monde : 35 millions.
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