La burqa de la discorde
Qu’il scandalise ou amuse les musulmans de France, en majorité laïcs et sans fichus, le grand paradoxe français en matière d’islam n’est pas près d’arrêter de faire des vagues. Le pays européen qui a le mieux structuré sa composante musulmane (Conseil français du culte musulman, lieux de prières, formation des imams) reste en effet celui qui a le plus maille à partir avec les signes visibles de l’islam. En Belgique, par exemple, le ministère de la Justice a récemment encouragé ses agents à porter le foulard… Dans l’Hexagone, on débat sur l’interdiction du voile intégral.
Bien sûr, la burqa – ou le niqab – est au voile classique ce que le string est à la culotte moderne : sa version exagérée. Et il y a fort à parier que le foulard se banalisera si la burqa continue à faire débat ; bref, que le hidjab finira par devenir acceptable par rapport à l’inacceptable niqab. Quoi qu’il en soit, les travaux de la mission d’information parlementaire, mise en place depuis juillet pour éclairer les députés français sur ce sujet polémique, commencent à montrer les limites d’une quelconque action législative.
Si la préservation de l’école a servi d’argument essentiel pour interdire le foulard en milieu scolaire, en 2004, que faut-il désormais invoquer pour prohiber une burqa portée dans la rue par des femmes majeures et éduquées ? Un refus d’émancipation par manque de discernement ? Une remise en question de l’égalité des sexes ? Une atteinte à la liberté des femmes ? Non, rétorquent les intéressées, qui déclarent assumer leur choix et vivre à leur guise. Elles assurent que le musulman macho n’existe pas. À leurs yeux, la dignité équivaut à la décence. Et les plus érudites affirment que, dans le temps, seules les esclaves et les femmes de petite condition étaient autorisées à ne pas se voiler, jamais les femmes « dignes ».
Les « emburqanées », comme on pourrait les appeler, ont également réponse à l’accusation de « trouble à l’ordre public » : en quoi le voile pourrait-il générer le désordre alors qu’elles se veulent l’exemple même du respect de la « morale » ? On peut leur rétorquer que la burqa attire plus l’attention qu’elle ne dissimule. Elles vous répliquent que les passants n’ont qu’à baisser les yeux. Et que la diversité culturelle défendue par la France ne devrait pas être qu’une vue de l’esprit… La diversité culturelle, ça vous habille une femme, et de la tête aux pieds s’il le faut !
Il reste bien le terrain religieux, le plus glissant pour étayer une interdiction. Mais est-ce à la République française de se substituer aux ulémas ? Bien sûr que non… En définitive, il n’y a qu’une seule solution : poursuivre l’approche typiquement paradoxale de la France, recourir clairement aux mots « assimilation républicaine » et prêcher un « féminisme à la française »…
Il y a cependant un argument de poids que les « envoilées » ne peuvent contester : la sécurité. On ne sait jamais qui se cache sous une burqa. Mais si on interdit cette dernière, comment punir les récalcitrantes ? Verbaliser ? Organiser des rafles ? Les enfermer chez elles ? Les mettre dans des charters à destination des pays musulmans ? Voilà la vraie galère dans laquelle le législateur français risque de se retrouver, s’il cède à sa manie de légiférer à tout prix.
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