La symphonie islamique

Du 6 octobre au 14 mars, l’Institut du monde arabe à Paris présente une partie de l’extraordinaire collection d’objets d’art islamique du richissime homme d’affaires iranien Nasser David Khalili. Cinq cents œuvres créées entre le VIIe et le XXe siècle et issues de l’ensemble des pays musulmans.

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Publié le 7 octobre 2009 Lecture : 6 minutes.

« Contrairement à ce que l’on croit trop souvent, l’art dit islamique est à 90 % profane. Ma collection – et cette exposition – montre à la fois les aspects profanes et religieux. » Ainsi s’exprime Nasser David Khalili, qui prête, du 6 octobre 2009 au 14 mars 2010, quelque 500 œuvres d’art issues de sa collection personnelle à l’Institut du monde arabe (IMA), à Paris.

Juif iranien né en 1945 à Ispahan, fils de marchands d’art, Khalili a amassé une fortune colossale dans l’immobilier et la grande distribution, au Royaume-Uni. Ce qui lui a permis de dépenser « plusieurs centaines de millions de livres » – on n’en saura pas plus – pour acquérir une collection d’art islamique qui fait aujourd’hui référence. Mais lui qui se considère comme un « bâtisseur de ponts » entre les cultures s’intéresse aussi à l’art japonais de la période Meiji (1868 – 1912), aux textiles suédois, à la ferronnerie damasquinée espagnole (1850 – 1900) et aux émaux. Au total, il a acheté plus de 25 000 objets parmi lesquels bon nombre de chefs-d’œuvre qu’il n’hésite pas à prêter et faire connaître. Et qu’il cherche à exposer de façon permanente dans trois lieux (à trouver) dans le monde.

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En France, il n’est guère fréquent que les musées ou les institutions accueillent entre leurs murs les œuvres récoltées par un collectionneur privé toujours en activité. Et quand ils le font, cela suscite immanquablement des interrogations plus ou moins malveillantes. Méfiance vis-à-vis de l’argent, suspicion quant à l’origine des pièces : en général, les commissaires d’exposition préfèrent multiplier les prêteurs ou se contenter de piocher dans les réserves des musées. 

Emerveiller le public

Mais voilà, en matière d’art islamique, la collection particulière de Khalili est « la plus complète du monde ». Elle couvre la production artistique de l’ensemble des pays musulmans du VIIe au XXe siècle, et elle a fait l’objet de nombreuses publications, dont la Timeline History of Islamic Art and Architecture, de Khalili lui-même. L’IMA se devait d’être la première institution à l’accueillir en Europe, après l’Australie et les Émirats arabes unis.

Les deux commissaires en charge de l’exposition, Éric Delpont et Aurélie Clemente-Ruiz, balaient d’entrée de jeu tous les soupçons que l’on pourrait avoir quant aux intentions de Khalili : « Exposer cette collection n’est pas payant pour l’IMA. Khalili n’exige aucune compensation financière. Ce n’est pas pour lui une activité commerciale. Nous nous chargeons seulement des frais d’organisation. » Et si l’homme d’affaires et les spécialistes qui l’entourent ont eux-mêmes sélectionné les œuvres, les commissaires français ont eu tout loisir d’organiser la scénographie comme bon leur semblait. Ce que ces spécialistes de la création islamique avouent avoir fait « avec le cœur plus qu’avec la raison ». Pour eux, « le but du jeu, c’est que les gens soient émerveillés ».

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Il y a de quoi l’être. Les visiteurs qui arpentent les salles de l’IMA peuvent se faire une idée très concrète de la richesse de la création dite « islamique ». Manuscrits, bijoux, tapis, céramiques, verres, métaux, tentures sont présentés le long d’un parcours organisé en trois étapes où se répondent des œuvres de différentes époques et de différentes origines. Le classement typologique et chronologique a été abandonné au profit d’une scénographie thématique. Les commissaires ont préféré éviter la présentation muséologique classique, qui associe histoire et géographie (« Cette œuvre a été créée à tel endroit à tel moment ») pour mieux « expliquer au public ce qu’est l’art islamique ». 

Tentures de la Kaaba

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La première étape, « Foi, sagesse et destinée », est dédiée au sacré. « On a voulu donner une dimension humaine à cet aspect, explique Aurélie Clemente-Ruiz. Il n’y a pas que des Corans très abstraits. Les lieux saints aussi sont représentés, notamment par des œuvres monumentales que les « isnfidèles » n’auront jamais l’occasion de voir ! » Éric Delpont surenchérit : « En entrant dans l’exposition les visiteurs pourront découvrir les tentures de la Kaaba cousues de fil d’or et d’argent et qui ne sont jamais exposées dans les collections occidentales. Cela va notamment toucher les musulmans qui n’ont pas encore fait le hadj. » Outre les ouvrages théologiques et le mobilier des mosquées, seront aussi présentés des certificats de pèlerinage et des « guides » des lieux saints (Médine, La Mecque, Jérusalem) à l’usage des pèlerins. Enfin, au bout de cette première étape, la science s’immisce dans le sacré. Ou plutôt, le sacré débouche sur la science. « Pour les besoins de la pratique religieuse, il a fallu connaître précisément le mois du ramadan et l’heure des prières : cela a été un élément de développement de la science, affirme Éric Delpont. Rappelons-le, au VIIIe siècle, l’Islam c’est la modernité ! » 

Parure du prince

La deuxième étape, « L’atelier des mécènes : califes, émirs, khans et sultans », s’éloigne un brin du religieux pour évoquer les œuvres créées pour les hommes de pouvoir ou à leur initiative. Il s’agit des objets relatifs à la parure du prince (bijoux, épées, vêtements) ou à sa monture (selles, mors, étriers), des trésors des palais ou de certains manuscrits enluminés comme Le Livre des rois, en persan, de Firdawsi.

Plus générale, la troisième et dernière étape, intitulée « Un univers de formes et de couleurs » explore « le foisonnement de la création pour la satisfaction des sens ». Les commissaires insistent sur cet aspect parfois négligé de la création « islamique ». « La culture musulmane est souvent perçue comme austère, voire fermée, disent-ils. Or, ce n’est pas le cas. Nombre d’objets, par leur nature même et par le répertoire décoratif utilisé, ont un lien immédiat avec la vie et ses plaisirs. » Brûle-parfum, flasques, verseuses à eau ou à vin, plats et couverts illustrent si besoin était que les plaisirs de la chair n’étaient pas négligés…

Au bout du voyage, les traits distinctifs si souvent soulignés de la création islamique – par exemple, l’importance de la calligraphie et de l’arabesque, la répugnance à représenter des êtres vivants dans un contexte religieux – sont bien entendu abordés, mais c’est l’unité stylistique de l’ensemble qui saute aux yeux. Des œuvres créées à des kilomètres de distance et à des époques différentes dialoguent pour donner la sensation d’une « symphonie ».

C’est là l’objectif revendiqué de Nasser Khalili : « Dans les cinq domaines où j’ai une activité de collectionneur, je m’assure d’acquérir suffisamment de savoir pour choisir moi-même les objets que je souhaite acheter. Je lis beaucoup et je m’entoure des meilleurs spécialistes. Ainsi, il est facile pour moi de décider si telle ou telle œuvre a sa place dans ma collection. Dans les musées, il y a beaucoup de commissaires qui changent tout le temps. Ils ont de beaux objets, mais pas une symphonie. » Et la musique adoucit les mœurs : filant la métaphore, Nasser David Khalili considère l’art comme un moyen de promouvoir une meilleure compréhension entre les peuples.

Cofondateur et président de la Fondation Maïmonide, qui promeut le dialogue entre juifs et Arabes, Khalili a coutume de dire : « La véritable arme de destruction massive, c’est l’ignorance. Je vois les juifs et les musulmans comme des cousins et je considère mon activité de collectionneur comme un don de la part d’un membre de la famille humaine à un autre. » Il faudra sans doute beaucoup d’expositions pour que règne la concorde, mais pour l’heure, ne boudons pas notre plaisir. 

Arts de l’Islam. Chefs d’œuvre de la collection Khalili. Institut du Monde Arabe. Paris. Du 6 octobre 2009 au 14 mars 2010. 10,50/8,50 euros

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