Finance islamique : Paris peine à contrer Londres
En novembre 2008, la France se donnait un an pour disputer à la capitale britannique le titre de première place de la finance islamique en Europe. L’objectif reste à atteindre.
Au moins 700 milliards de dollars d’actifs en 2007 dans le monde, plus de 1 500 milliards prévus à l’horizon 2012, la finance islamique est un secteur prometteur ! Un gros gâteau en forte croissance que le ministère français de l’Économie et des Finances s’était promis de ne pas laisser passer. « Nous sommes déterminés à faire de Paris une grande place d’accueil de la finance islamique, Londres n’en est pas le seul point de passage obligé en Europe », lançait Christine Lagarde, la ministre de l’Économie, en inaugurant le deuxième forum français de la finance islamique, le 26 novembre 2008. Les pouvoirs publics s’étaient donné un an pour concrétiser ce défi ambitieux, qui reste, en fait, largement à relever.
Sur le plan réglementaire, des efforts ont pourtant été faits. Attendues en décembre 2008, deux instructions du ministère de l’Économie ont aménagé en février la fiscalité pour adapter deux produits financiers, les murabahas (contrats de vente) et les sukuks (obligations), dans le droit fiscal. Autre progrès, la loi autorise désormais la fiducie, qui permet de constituer des produits financiers islamiques basés sur la création de sûretés et la gestion de biens pour autrui. Enfin, l’Autorité des marchés financiers a permis l’émission d’OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières) islamiques.
Investisseurs frileux
Mais ces avancées restent insuffisantes. La première émission de sukuks devait avoir lieu avant octobre, elle a été retardée pour des difficultés d’ordre technique, a simplement précisé, le 16 septembre dernier, Mohammad Farrukh Raza, le directeur du cabinet de conseil Islamic Finance Advisory & Assurance Services (Ifaas). Et aucune banque n’a par ailleurs proposé d’OPCVM en France. Les investisseurs musulmans demeurent frileux. « Quelle banque islamique aura intérêt à s’installer en France quand elle ne pourra proposer que deux produits financiers contre quatorze ailleurs ? » s’interroge Ibrahim Cekici, le directeur du diplôme de finance islamique de l’École de management de Strasbourg. « Pour faire vraiment avancer les choses, il aurait fallu une loi spécifique », ajoute-t-il.
Pourtant, au Moyen-Orient et dans le Sud-Est asiatique, les banques françaises comme BNP Paribas et la Société générale proposent, via leurs filiales BNP Paribas Najmah et SGAM AI, des produits islamiques performants validés par leur Sharia Board (Comité de conformité charia). Mais elles ne semblent pas prêtes à le faire en France. Vendre des produits « confessionnels » au pays de la laïcité est encore tabou. L’arrivée des banques islamiques – les premiers agréments étaient annoncés pour juin 2009 – se fait attendre aussi attendre. Des projets de partenariat sont bien en discussion entre, notamment, la Qatar Islamic Bank, qui a déjà une filiale à Londres, et des banques françaises. Et aucun établissement n’a déposé officiellement de demande d’agrément alors qu’on en prêtait l’intention à la Kuwait Finance House et à la Al-Baraka Islamic Bank, du Bahreïn.
C’est que, en plus d’un cadre réglementaire mal taillé, la France souffre d’une image écornée auprès des investisseurs musulmans depuis la loi sur le foulard islamique de 2004. À l’inverse, explique Zoubeir Ben Terdeyet, dirigeant du cabinet de conseil Isla Invest, « beaucoup d’investisseurs musulmans ont étudié en Grande-Bretagne et sont habitués à travailler avec des Anglais ». Pour Elyès Jouini, directeur du diplôme de finance islamique à Paris-Dauphine, « il faut poursuivre les réformes et lancer un travail d’explication auprès du milieu français des affaires, qui se crispe parfois, et des investisseurs musulmans, qui voient souvent la France comme un pays islamophobe ». Un nouveau forum français de la finance islamique doit se tenir à Paris en décembre et, même si des agréments seront enfin attribués, la capitale française a encore du chemin à faire pour contrer Londres, la huitième place mondiale de la finance islamique (18 milliards d’actifs et six établissements), devant la Turquie, le Pakistan et l’Égypte !
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