Jacky Ido : « Je me considère comme un raconteur d’histoires »
Au seuil de la trentaine, l’acteur, réalisateur et slameur franco-burkinabè entame une belle carrière cinématographique. Il est à l’affiche du dernier Tarantino…
Un pied sur la scène slam, genre musical entre rap et poésie, un autre sur les plateaux. Tantôt derrière la caméra à diriger ses comédiens, et tantôt devant. Jacky Ido n’a pas le don d’ubiquité, mais il parvient pourtant à concilier ses trois passions avec succès. En ce moment, c’est au cinéma qu’il explose. À l’affiche d’Inglourious Basterds, le dernier film du réalisateur américain Quentin Tarantino, il achève de se bâtir une stature internationale.
Dans un café parisien, bien calé au fond d’un fauteuil, le jeune homme au physique de basketteur se remémore avec plaisir l’expérience : « C’était une aventure extraordinaire que de passer dans la grande machine du cinéma américain. J’attendais les jours de tournage avec impatience ! » Un plaisir accru par le rôle qu’il joue dans le film, celui d’un jeune Noir travaillant dans les salles obscures parisiennes pendant la Seconde Guerre mondiale. Il a profité de l’occasion pour perfectionner son maniement de la caméra et observer attentivement la manière dont le réalisateur de Pulp Fiction dirige ses acteurs.
« Tarantino est un vrai partenaire avec son équipe, c’est une très bonne école », s’enthousiasme Ido, qui a au passage côtoyé de grands noms du septième art, tels Brad Pitt et Diane Kruger : « Ce sont des acteurs géniaux et, dans la vie, des gens très simples. »
Des encouragements pour exister dans le milieu, Jacky Ido en a eu besoin. Car son histoire, qu’il définit comme un « parcours tortueux », ne le prédestinait pas nécessairement à la célébrité.
D’abord, l’enfance. Un peu ballotée, « à cheval entre la France et l’Afrique », dit-il. Deux ans après sa naissance, le 14 mai 1977 à Ouagadougou (Burkina), sa famille s’installe en France, rentre au bercail entre 1983 et 1988, pendant la révolution sankariste, puis s’établit définitivement à Stains, dans la proche banlieue parisienne. Il ne reverra le Burkina qu’à l’adolescence, pour les vacances.
C’est cette prime jeunesse agitée qui, contre toute attente, a nourri sa créativité et sa curiosité. Nostalgique, le jeune Franco-Burkinabè qu’il est à présent se souvient des découvertes et de la vie de complète insouciance qui caractérisaient ses séjours au village. C’est là qu’il a appris à s’intéresser à tout.
La scolarité, ensuite. Elle se déroule sans accroc et révèle sa fibre littéraire. Du coup, ses professeurs se proposent de l’inscrire à des concours littéraires. À la maison, le petit Jacky lit beaucoup : la Bible, Proust, les œuvres du Malien Amadou Hampâté Bâ… Dévoreur de livres, il se rêve bientôt écrivain, mais se rend compte que la littérature ne lui offre qu’un espace d’expression limité.
« C’est alors que j’ai décidé de m’intéresser à cet art total qu’est le cinéma, explique-t-il. J’ai rapidement compris que je voulais devenir réalisateur. » À l’Université Paris-VIII, où il passe sa maîtrise de littérature et de civilisation américaines, il visionne et décortique la plupart des classiques de la médiathèque. Parallèlement, il suit des cours de comédie. Pour apprendre à diriger les acteurs.
« J’ai eu la veine d’obtenir des rôles », commente-t-il simplement. Ses collaborations avec le réalisateur Manuel Schapira pour deux courts-métrages, Décroche (2005) et Bunker (2008), sont fructueuses. Le premier film obtient un ours d’argent au Festival de Berlin. Le second vaut au jeune acteur le prix d’interprétation au Festival de Clermont-Ferrand.
Un an auparavant, The White Massai, d’Hermine Huntgeburth, dans lequel il interprète le premier rôle masculin, avait fait un triomphe en Allemagne : trois millions d’entrées. Le film n’a jamais été distribué en France, mais Ido s’est rendu jusqu’au Japon en assurer la promotion.
« Nul, dit-on, n’est prophète en son pays. » L’adage pourrait s’appliquer à cet homme dont les meilleures fortunes sont presque toujours venues de l’étranger. Dans sa carrière de réalisateur, un seul de ses films, Descente, a été sélectionné pour le Fespaco, le festival panafricain de Ouagadougou. C’était en 2003. « Je suis très peu sollicité par le Burkina, se désole-t-il, c’est difficile d’être sacré roi chez soi. »
Cela ne l’empêche pas d’enchaîner les réalisations avec « La Famille », le collectif qu’il a créé avec son frère Cédric, acteur lui aussi. Entre 2005 et 2007, ils ont mis en image une vingtaine de sketches humoristiques, qu’ils projettent toutes les semaines au Café culturel de Saint-Denis. Lequel a malheureusement été contraint de fermer ses portes, au mois de mai dernier, pour raisons économiques.
Il n’empêche : c’est là que Jacky Ido s’est forgé sa troisième identité : John Pucc’Chocolat, le slameur. Avec Fabien Marsaud, alias Grand Corps Malade, un ami de longue date dont il a réalisé le clip Midi 20, il a fondé en 2004 Slam’Aleikoum, l’une des plus importantes scènes slam de France, où se produisent amateurs et professionnels.
Il est parfois critiqué pour cet éclectisme, que certains assimilent à de la dispersion. Il s’en amuse : « Mes trois disciplines sont imbriquées. Quand je ne réalise pas, je joue, quand je ne joue pas, je slame. L’un nourrit l’autre, c’est le principe des vases communicants. »
Entre le jeu d’acteur, la réalisation et le slam, il y a un lien qui cimente le tout : l’écriture, cette passion d’enfance. « Je me considère comme un raconteur d’histoires qui, pour ce faire, utilise plusieurs outils. »
Un engagement politique quelconque, chez Jacky Ido ? Mieux vaut ne pas lui en parler. Dans le meilleur des cas, il utilise la création artistique pour promouvoir l’idée d’« addition », de préférence à celle d’« intégration », des minorités d’origines africaine.
Le Burkina ? Il reste le pays de son cœur, celui où est enterré son père et où se trouve sa grande famille : « Le Pays des hommes intègres, je prends ce qualificatif très au sérieux. Partout où je vais, je fais en sorte qu’on le respecte. »
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