Medvedev-Poutine : duo ou duel ?
Entre Dmitri Medvedev, l’élève devenu président, et Vladimir Poutine, son mentor aujourd’hui Premier ministre, de sérieux couacs se font entendre. De là à imaginer un possible affrontement lors de la présidentielle de 2012, il y a un pas… qu’il serait prématuré de franchir.
Nul n’est censé l’ignorer : le boss, c’est lui. Vladimir Poutine n’est plus président depuis un an et demi, mais, pour une majorité écrasante de ses compatriotes, c’est toujours lui qui dirige la Russie. Comment pourraient-ils nourrir le moindre doute ? Leur hyper-Premier ministre occupe toute la scène, sans égard pour la susceptibilité de son (ex ?) vieil ami Dmitri Medvedev, qu’il a installé dans son fauteuil en 2008 parce que la Constitution lui interdisait de briguer deux mandats d’affilée, et qu’il sommera de s’effacer en 2012 lorsqu’il pourra se représenter en toute légalité.
Poutine a-t-il seulement cessé un instant d’exercer le pouvoir ? Dès le mois d’août 2008, il s’affiche au côté des chefs d’État en exercice lors de l’ouverture des Jeux olympiques, avant d’interrompre son séjour à Pékin pour voler au secours des séparatistes abkhazes et ossètes et organiser la riposte militaire contre la Géorgie. L’hiver venu, il court-circuite à nouveau Medvedev en gérant la crise du gaz avec l’Ukraine. Entre-temps, il décore les mères de familles nombreuses de l’ordre de la Gloire parentale, maintient sa « Ligne directe » (une grande conférence de presse télévisée avec de simples citoyens), laisse courir le bruit flatteur de son remariage avec une championne de gymnastique, pose torse nu et coutelas à la ceinture dans la sauvage Sibérie et se rue au chevet des victimes de l’accident de la centrale hydroélectrique de Saïano-Chouchenskaïa (75 morts)…
Alter ego des grands de ce monde, stratège militaire, soutien des familles, icône sportive et virile, il est sur tous les fronts. Et tranche les grands dossiers du moment sans se soucier de ce qu’a bien pu en dire le timide Medvedev. Ce dernier se réjouit que Barack Obama ait eu « le courage » de renoncer au projet de boucliers antimissiles de George W. Bush, qui devait être installé en Pologne et en République tchèque ? « Nous sommes d’un optimisme mesuré », répond Poutine. Le président russe se rapproche de la position occidentale en laissant entendre que des sanctions pourraient être prises contre l’Iran ? Pas question, « il faut poursuivre le dialogue », rétorque le Premier ministre.
Quelle marge de manoeuvre ?
Seulement voilà : peut-être parce qu’il est las d’essuyer rebuffade sur rebuffade ou, simplement, parce qu’il prend goût au pouvoir, Medvedev fait de plus en plus souvent entendre une note discordante.
Prenant le contre-pied de Poutine, il reçoit les partis d’opposition et des représentants d’ONG (dont Memorial, qui dénonce les crimes commis en Tchétchénie), qualifiant leur travail d’indispensable à la démocratie, alors que le Premier ministre les accuse d’être à la solde des gouvernements occidentaux. En janvier, il présente ses condoléances au rédacteur en chef du quotidien libéral Novaïa Gazeta après l’assassinat d’une de ses journalistes, Anastasia Babourova, alors que Poutine avait traité le meurtre d’Anna Politkovskaïa par le mépris. Trois mois plus tard, il accorde une interview à ce même journal et déclare que « la stabilité et la prospérité ne peuvent en aucun cas être opposées aux droits et aux libertés publiques » : de quoi faire (un peu) rêver les opposants…
D’autant qu’il a émis quelques réserves à propos du procès de Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-patron du groupe pétrolier Ioukos, qui croupit depuis cinq ans en prison sur ordre de Poutine. Certes, sur le plan politique, cela ne va pas loin : isolé au Kremlin, confronté à une société verrouillée où les médias sont muselés et l’opposition annihilée, Medvedev n’a aucune marge de manœuvre.
Il se montre plus offensif en matière économique. Au cours de l’été 2008, il déplore que la guerre de Géorgie et les menaces proférées à l’égard du groupe métallurgique Mechel, accusé d’évasion fiscale, fassent fuir les capitaux étrangers. En février 2009, alors que la Russie est touchée de plein fouet par la crise, que le chômage explose et que le mécontentement social grandit, il se démarque de la gestion de son Premier ministre et observe que son gouvernement a commis des erreurs : « Je l’ai fait remarquer [à Poutine], c’est absolument normal », confie-t-il alors. Le 10 septembre, il dresse sur le site gazeta.ru un bilan assassin des huit années de présidence Poutine : « L’économie est arriérée, basée sur l’exploitation des matières premières » ; la société, minée par l’alcoolisme, manque d’initiative ; la corruption est « chronique », la démocratie « faible » et le Caucase « instable »… « Cela prouve que nous n’avons pas fait le nécessaire les années précédentes. » La solution ? Il la suggère, le 25 septembre à Pittsburgh (États-Unis), en marge du sommet du G20, devant un parterre d’étudiants : « Si je travaille bien, si j’accomplis mes missions, si le peuple russe me fait confiance, pourquoi ne pas me présenter à la présidentielle de 2012 ? »
Manque de charisme
Ce fan de hard rock agit-il désormais en solo ? Le duo qu’il formait avec Poutine tourne-t-il au duel ? Les observateurs se perdent en conjectures. Pour les uns, l’élève (44 ans) et son mentor (57 ans) jouent la même partition, mais sur un registre différent afin d’abuser leurs partenaires étrangers et de mieux canaliser le mécontentement populaire. Pour les autres, Medvedev pourrait laisser Poutine s’engluer dans les difficultés économiques et en profiter pour prendre son envol.
Ce n’est pas gagné. D’abord, parce que leur sort est lié depuis longtemps. Ensuite, parce que le pâle Medvedev manque de charisme et que la cote de popularité de son rival potentiel reste très élevée (78 %). Enfin, parce que les proches de Poutine se tiennent en embuscade. À commencer par Vladislav Sourkov, le numéro deux de l’administration présidentielle, et Igor Setchine, le vice-Premier ministre, qui a la haute main sur l’économie, en particulier sur les secteurs stratégiques du pétrole et du gaz, et qui voue au jeune président une haine tenace.
Malgré ces handicaps, Medvedev l’amateur de natation peut-il battre le judoka Poutine sur la distance ? Il lui faudrait pour cela des circonstances favorables et beaucoup de volonté. On en est loin, même si l’ivresse du pouvoir, parfois, donne des ailes…
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