Nucléaire iranien : le temps de l’hystérie
Les experts s’accordent à dire que Téhéran ne cherche pas tant à construire la bombe qu’à en maîtriser le processus de fabrication. Mais Israël et une partie de la communauté internationale continuent de verser dans l’alarmisme.
Il est peut-être temps de tenter de dissiper l’épais brouillard d’hystérie, d’hypocrisie et de propagande malveillante qui entoure le programme nucléaire iranien. De quoi sommes-nous certains ? L’Iran est de toute évidence en passe de maîtriser le cycle du combustible nucléaire. Il le maîtrise peut-être déjà puisqu’il revendique désormais son statut de « puissance nucléaire ». Et dispose des scientifiques, du savoir technologique et des usines nécessaires pour en être une. Et c’est là-bas un motif de grande fierté nationale.
Il ne fait guère de doute que la République islamique ne renoncera pas à son programme nucléaire, sauf à être soumise à des pressions extrêmement contraignantes ou à être défaite militairement. Cela équivaut-il à dire qu’elle a l’intention de construire des armes nucléaires ? Ses dirigeants ont à plusieurs reprises affirmé le contraire, et disent souhaiter s’en tenir à la production d’uranium faiblement enrichi, bien en deçà du niveau requis pour la fabrication d’une bombe. En outre, l’Iran est signataire du Traité de non-prolifération (TNP) et entretient des relations raisonnablement bonnes avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), dont les inspecteurs se rendent régulièrement sur son sol. Or l’AIEA déclare ne disposer d’aucune preuve attestant que la République islamique poursuivrait un programme militaire.
Capacité de dissuasion
Le doute persiste cependant. Et les observateurs semblent s’accorder sur le fait que l’Iran cherche vraisemblablement à acquérir la capacité technique de construire la bombe, mais qu’il a pris la décision de ne pas procéder à sa fabrication. En d’autres termes, l’Iran ne semble pas avoir l’intention de franchir le Rubicon, à l’instar du Japon, par exemple. Il éviterait ainsi de contrevenir aux règles du TNP et d’alarmer ses voisins arabes, notamment les pays du Golfe, tout en gardant une capacité de dissuasion suffisante dans la mesure où tout agresseur éventuel saurait qu’en cas d’urgence l’Iran serait en mesure de mettre au point rapidement une arme nucléaire.
Pourquoi l’Iran a-t-il besoin d’une capacité de dissuasion ? D’abord parce que depuis trente ans, les États-Unis le menacent d’un « changement de régime ». Ensuite parce que, quand l’Irak a attaqué l’Iran en 1980, les États-Unis, l’Europe et la quasi-totalité du monde arabe – à l’exception de la Syrie – se sont rangés derrière l’agresseur irakien. L’Iran a survécu de justesse à une guerre de huit ans qui mettait son destin en jeu, et durant laquelle Bagdad a fait usage d’armes chimiques. Pour les dirigeants iraniens actuels, cette guerre a été une expérience formatrice. Et a laissé de profondes blessures.
Initiatives légales
Aujourd’hui, l’Irak est à genou et ne constitue plus une menace, tandis que l’Amérique d’Obama a renoncé – pour le moment en tout cas – à toute posture belliqueuse. La menace immédiate émane désormais d’Israël, qui s’emploie à mobiliser la terre entière contre la République islamique et claironne constamment qu’il est prêt à la frapper militairement. Lors des assemblées générales de l’ONU (le 23 septembre), le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou s’en est pris aux « tyrans de Téhéran », pendant que son ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, déclarait que « nous devons œuvrer sans plus tarder à renverser le régime dément en place à Téhéran ».
L’annonce par l’Iran de la construction, au sud de Qom, d’un second site d’enrichissement (bien qu’il n’y ait pas encore d’uranium dans l’usine) et ses récents tirs de missiles ont offert à ses adversaires l’occasion de faire monter l’hystérie d’un cran. En réalité, aucune de ces deux initiatives n’est en contradiction avec les obligations légales de Téhéran. Dans tous les cas, l’Iran se dit disposé à permettre à l’AIEA d’inspecter le nouveau site. Mais cela n’a pas empêché Paul Wolfowitz, le très discrédité architecte de la guerre américaine contre l’Irak, de donner l’alerte. Dans le pourtant très sobre Financial Times, il a appelé, le 28 septembre, à des sanctions « les plus dures possible [contre l’Iran] dans un délai proche. Le temps presse ». Mais « même cette approche, ajoute-t-il, pourrait ne pas suffire à convaincre Israël de ne pas agir seul ». « Ce n’est pas seulement la sécurité d’Israël qui est menacée, poursuit-il. Chez les voisins arabes de l’Iran, l’inquiétude est grande de voir Téhéran profiter de la bombe pour renforcer son soutien au terrorisme, à la subversion, voire pour déclencher une agression militaire conventionnelle. L’acquisition de la bombe pourrait même inciter Téhéran à offrir un refuge à Al-Qaïda ou à d’autres terroristes, ou, ce qui serait encore plus catastrophique, leur fournir secrètement des armes nucléaires. »
Hégémonie israélienne
Cet alarmisme absurde ne va pas redorer le blason de Wolfowitz, déjà considérablement terni par son rôle calamiteux dans la course à la guerre contre l’Irak. La sécurité d’Israël menacée ? Dans une interview récente au Yediot Aharonot, le ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, a déclaré que l’Iran ne constituait pas une menace existentielle pour Israël puisqu’il ne possède pas encore la bombe. Et quand bien même il la posséderait, l’État hébreu a les moyens de se défendre. Il aurait pu ajouter que Tel-Aviv s’oppose au programme nucléaire iranien non pas pour prévenir quelque réel danger, mais parce qu’une bombe iranienne rognerait l’hégémonie militaire israélienne dans la région et, partant, limiterait la possibilité pour l’État hébreu de frapper ses voisins à loisir.
Israël peut certainement se défendre, comme l’a admis Barak. Déjà nettement supérieur sur le plan des armes conventionnelles, il dispose en outre d’un vaste arsenal nucléaire mis au point pendant les quarante dernières années. Le programme a commencé au début des années 1960, quand Shimon Pérès, alors ministre des Affaires étrangères, réussit à convaincre les amis d’Israël en France de fournir secrètement à son pays un réacteur nucléaire, une usine de séparation du plutonium et des véhicules de livraison, le tout au nez et à la barbe du général de Gaulle, qui piquera une colère noire lorsqu’il découvrira le pot aux roses.
Wolfowitz avertit que Téhéran pourrait fournir un refuge à Al-Qaïda. Il n’est pourtant pas sans ignorer que l’Iran est l’ennemi implacable de l’extrémisme sunnite sous toutes ses formes, en particulier celle revêtue par Al-Qaïda. Wolfowitz avait colporté de fausses informations pour pousser l’Amérique à attaquer l’Irak. Le voilà, toute honte bue, qui récidive.
Obama sous pression
Les menaces militaires ne conduiront pas l’Iran à céder au diktat des Occidentaux et d’Israël. Des sanctions ne seront pas plus efficaces, les Russes et les Chinois y étant de toute façon opposés. Téhéran est un allié stratégique de Moscou et un partenaire commercial majeur de Pékin. La Chine fournit à la République islamique le tiers de ses besoins en essence, rendant déjà inopérante toute tentative de l’étouffer par un embargo sur les livraisons de carburant.
Provisoirement défait par Netanyahou sur la question du gel de la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens occupés, le président américain Barack Obama court le risque de se laisser entraîner par Israël et certains alliés européens dans un net durcissement à l’égard de Téhéran. Ce serait là une grave erreur. S’il veut des résultats, il doit traiter l’Iran avec le respect qui lui est dû, renoncer à recourir à la menace et accepter des négociations sereines sur une série de sujets plus vastes que le seul programme nucléaire iranien, comme la sécurité régionale, la coopération économique et la bonne intelligence politique. Telle était l’orientation qu’il souhaitait imprimer à son action lorsqu’il a pris ses fonctions ; il doit s’y tenir. Que les États-Unis le veuillent ou non, ils ont besoin de l’aide de l’Iran en Afghanistan, en Irak, au Liban, mais aussi et surtout pour mettre un terme au pernicieux conflit israélo-arabe.
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