Ben Jaafar, l’occasion manquée
Le chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés a vu sa candidature à la présidentielle du 25 octobre invalidée par le Conseil constitutionnel.
Tunis, 29 septembre 2009, rue d’Angleterre, à quelques mètres de l’ambassade de France. Les locaux du Forum démocratique pour le travail et les libertés (FDTL), au premier étage d’un immeuble décrépi, ne bruissent guère de la fureur de militants excédés. Le rejet, deux jours plus tôt, par le Conseil constitutionnel de la candidature de Mustapha Ben Jaafar, secrétaire général du parti, à la présidentielle du 25 octobre aurait pourtant pu provoquer, en d’autres lieux, la colère de ceux qui aspiraient à utiliser la vitrine que représente une élection présidentielle pour faire passer leurs messages et faire avancer leur combat. Ce n’est tout simplement pas le genre de la maison. Pas de réunion au sommet donc, ni de vifs échanges sur la conduite à tenir. Un mot d’ordre : patience. En ligne de mire, les élections législatives, qui se tiendront elles aussi le 25 octobre, en même temps que la présidentielle, dernier « champ de bataille » possible.
« En déposant ma candidature, j’ai accompli mon devoir, nous avait expliqué Ben Jaafar le 24 septembre (voir J.A. n° 2542). Ne pas participer aurait été un acte d’abandon. Ma mission en tant qu’homme politique, c’est de militer en faveur de la démocratie. » Ce 24 septembre, donc, Ben Jaafar était enfin parvenu à déposer son dossier de candidature à la présidentielle. Il devait être le cinquième candidat en lice, après Zine el-Abidine Ben Ali, 73 ans, président sortant (au pouvoir depuis le 7 novembre 1987) et chef du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), Mohamed Bouchiha, 61 ans, du Parti de l’unité populaire (PUP), Ahmed Inoubli, 50 ans, de l’Union démocratique unioniste (UDU), et Ahmed Brahim, 63 ans, du Mouvement Ettajdid (« Le Renouveau », ex-Parti communiste). Finalement, Ben Ali sera opposé à trois adversaires, comme en 2004.
Une loi à double tranchant
À l’instar des autres candidats, Ben Jaafar a dû faire la preuve qu’il remplissait les conditions requises : être âgé de 40 ans au moins et 75 ans au plus, être musulman et de nationalité tunisienne « sans discontinuité ». À ces conditions s’en ajoute une autre : être le chef « élu » de son parti depuis au moins deux ans. Postulant pour la première fois, il avait annoncé son intention de se présenter le 31 mai, lors du premier congrès de son parti, petite formation membre de l’Internationale socialiste qu’il a lui-même fondée, en 1994. Le FDTL, qui fait partie de l’opposition dite « démocratique », est devenu légal en 2002, sans disposer de sièges au Parlement.
La candidature d’opposants à l’élection présidentielle a été facilitée par une loi provisoire et exceptionnelle les autorisant à se présenter à la condition d’être les chefs « élus » de leurs formations depuis deux ans au moins. Cette fameuse loi 2008-52 du 28 juillet 2008 devait assouplir les règles permettant aux candidats de l’opposition de concourir. Et, surtout, de contourner le parrainage d’au moins trente élus, condition inscrite dans la Constitution qu’aucun parti d’opposition ne peut réunir à lui seul. Une loi adoptée, évidemment, à l’initiative du chef de l’État lui-même. Un coup de pouce de Zine el-Abidine Ben Ali, qui, finalement, s’est retourné contre Ben Jaafar. Le Conseil constitutionnel lui reconnaît sa qualité de secrétaire général de son parti, mais conteste son ancienneté à la tête de ce dernier (deux ans minimum avant le scrutin) à la faveur d’un processus électoral.
Seulement voilà, rien dans la loi ne précise que l’élection doit se dérouler au cours d’un congrès (en l’occurrence celui de mai 2009). Ben Jaafar, lui, se considère « élu », non pas depuis mai 2009, mais… depuis 2002, date de la légalisation de son parti. Et juge donc qu’il est en conformité avec la loi. Il n’a cependant déposé aucun recours (il avait vingt-quatre heures pour le faire), persuadé que cela « ne servirait à rien ». « C’est une décision politique, nous explique-t-il. Nous ne nous faisions pas d’illusions, mais nous voulions faire avancer le processus démocratique, cette politique des petits pas prônée par le président, cette marche progressive vers l’ouverture. » Et de constater, amer, qu’une loi destinée à ouvrir le champ l’a au contraire restreint. « Il y a des règles, répond un membre du gouvernement. Et M. Ben Jaafar, pour lequel nous avons beaucoup de respect, les connaissait. Il aurait dû se mettre en conformité plus tôt. » Un argument également rejeté par le FDTL : « La loi a été promulguée en juillet 2008. Même si nous avions voulu en tenir compte, il était impossible de respecter le délai de deux ans. De juillet 2008 à septembre 2009, faites vous-même le calcul… »
Une absence très regrettée
Au-delà des arguties juridiques, des explications de texte de constitutionnalistes plus ou moins chevronnés et du débat sans fin sur la légalité de la décision, une réalité : la candidature de Ben Jaafar, militant des droits de l’homme depuis plusieurs décennies, personnalité respectée, inflexible sur les principes mais ouvert au dialogue, aurait donné plus de lustre à l’élection du 25 octobre prochain. Elle aurait surtout validé la thèse d’une ouverture progressive du champ politique et aurait permis à cet homme d’instiller de nouvelles idées et de lancer un débat public plus consistant. Bref, de faire avancer la Tunisie, de manière raisonnable, mais déterminée, comme le président Ben Ali lui-même en a maintes fois exprimé le souhait. Jusqu’au sein du sérail politique, ils sont nombreux à regretter l’absence de Ben Jaafar lors de la campagne qui s’annonce, même si un Ahmed Brahim (Ettajdid), par exemple, est loin d’avoir sa langue dans sa poche. C’est cependant une véritable occasion manquée. Mais à 69 ans, le professeur de médecine ne compte pas jeter l’éponge : « Si j’avais dû abandonner, je l’aurais fait il y a longtemps. Tant que j’aurai l’impression que nous sommes sur la bonne voie, je persisterai. »
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