Le lundi sanglant de Conakry

La répression qui s’est abattue sur les manifestants de l’opposition a montré un capitaine Camara prêt à tout pour mater la contestation. Au risque de voir le pays plonger dans un cycle infernal de violence.

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Publié le 6 octobre 2009 Lecture : 2 minutes.

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Guinée : l’état sauvage

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Jamais cette sorte de malédiction qui semble s’acharner depuis un demi-siècle sur la Guinée n’aura paru aussi désespérante qu’aujourd’hui. Une semaine après le massacre du stade du 28-Septembre – date désormais doublement symbolique, pour le meilleur comme pour le pire –, aussi bien la junte que les Forces vives hésitaient encore sur la stratégie à adopter, alors que le pays tout entier semblait lentement glisser dans une guerre civile larvée, sur fond d’État néant. Traumatisés, parfois au sens propre pour ceux d’entre eux qui ont eu affaire aux nervis du régime, les leaders de l’opposition ont bien du mal à parler d’une seule voix. Sidya Touré appelle à « bloquer le pays », sans pour autant risquer à nouveau la vie des militants ; Alpha Condé demande la poursuite des manifestations de rue jusqu’à la chute du régime. Cellou Dalein Diallo souhaite l’envoi rapide d’une force d’interposition de la Cedeao. François Fall préconise le dépôt d’une plainte auprès de la Cour pénale internationale afin d’appliquer à la junte la jurisprudence Bemba. Lansana Kouyaté espère encore que Dadis Camara saura se ressaisir et préparer une élection présidentielle à laquelle il ne se présentera pas. L’heure, manifestement, est encore aux réactions à vif, et le désarroi est d’autant plus perceptible que la solution, chacun le sait à Conakry, ne viendra pas d’un énième coup d’État, même si cette dernière hypothèse est désormais tout à fait envisageable.

Côté Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), la communication du Capitaine Dadis sur cette tragédie, passablement pathétique et incohérente au début, a fini par se structurer autour d’un double discours. À l’usage de la communauté internationale, il plaide l’ignorance de cause (« l’événement m’a débordé », « je n’étais pas sur le terrain »), l’impossibilité d’éviter tous les dérapages de ses hommes (« c’est une armée où un caporal peut dire merde à un général ! ») et la main tendue : commission d’enquête, nomination d’un médiateur et gouvernement d’union nationale. Mais à usage interne, le langage, qui rappelle ceux de Sékou Touré et Lansana Conté, est radicalement différent. Le massacre du lundi sanglant serait le fruit d’un complot ourdi par des politiciens dévoyés – qu’il conviendra de juger – avec l’appui de puissances maléfiques : la France, la Commission de l’Union africaine, la bourgeoisie guinéenne et le cartel des narcotrafiquants. D’ailleurs, il n’y a pas eu massacre, mais bousculade meurtrière au stade du 28-Septembre, comme après un match de foot qui a mal tourné. Les militaires n’ont tué ni violenté personne. 

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Déliquescence de l’armée

C’est bien cette schizophrénie qui inquiète le plus. Autisme, nationalisme, isolement, paranoïa : les ingrédients d’un demi-siècle de stalinisme à la guinéenne sont là, l’autorité du chef en moins et la déliquescence de l’armée en sus. Sauf à imaginer que les partenaires étrangers de la Guinée se décident véritablement à l’aider – mais aider qui ? –, le front mouvant des Forces vives semble condamné à subir le sort qui est celui de l’opposition démocratique dans ce pays depuis cinquante et un ans : celui de punching-ball.

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