Sueurs froides à Douala
Documentaire choc, Une affaire de nègres revient sur les exactions commises, en 2000, par une unité chargée par Paul Biya de lutter contre la criminalité. Terrifiant.
Impossible de voir Une affaire de nègres sans ressentir de véritable choc. Ce que montre ce documentaire camerounais, près de dix ans après les faits, paraît incroyable, voire terrifiant. Et surtout inacceptable. Que raconte-t-il ? A priori, rien d’extraordinaire, et pas seulement pour un pays africain : il évoque l’histoire des actions et des exactions d’une unité spéciale chargée de rétablir l’ordre dans une région victime d’une vague de criminalité.
Mais l’affaire, qui se déroule à Douala, n’est pourtant pas banale. L’unité créée en 2000 au sein de l’armée camerounaise, le Commandement opérationnel, avait adopté une conception pour le moins expéditive de sa mission de rétablissement de l’ordre. Pendant de longs mois, elle a procédé à une série d’arrestations extrajudiciaires suivies d’exécutions tout aussi illégales qui ont fait au total un bon millier de morts. Au petit matin, l’on a retrouvé régulièrement des cadavres abandonnés dans la rue. Mais, bien souvent, les corps d’individus interpellés ont disparu, sans laisser la moindre trace.
Parmi les victimes, il y a eu assurément de nombreux malfaiteurs, coupeurs de route et autres criminels en tout genre, mais aussi des délinquants mineurs. Pire, des innocents. Il suffisait qu’un anonyme vous dénonce pour être arrêté. Pour éradiquer les fauteurs de troubles les plus dangereux, les citoyens ont été encouragés à se livrer à cette dangereuse pratique de la délation. Une sorte d’escadron de la mort a non seulement court-circuité la justice à un point rare dans un État de droit, mais également commis de nombreux assassinats gratuits.
Pseudo-procès
L’auteure de ce documentaire, Osvalde Lewat, la trentaine, aujourd’hui cinéaste camerounaise très prometteuse, était au moment des faits journaliste au Cameroun Tribune. À l’époque, comme beaucoup de ses confrères et la très grande majorité de ses concitoyens, elle n’a pas accordé de grande importance à l’affaire. Pour beaucoup, la multiplication des actes de grand banditisme justifiait la réplique musclée réclamée à la police et à la gendarmerie par le chef de l’État, Paul Biya.
À ses débuts, l’opération a été véritablement populaire. Et si l’on a vite parlé de bavures, qui ont conduit finalement au remplacement de certains responsables de la sécurité et à un pseudo-procès de quelques militaires (qui ont été acquittés), l’indifférence est restée la règle.
Ce n’est que trois ans après, alors qu’elle rencontre par hasard un homme dont le fils avait été abattu sans sommation, qu’Osvalde Lewat prend conscience de l’énormité des événements de l’année 2000. Elle se dit même que, par son inattention, elle a été, comme la quasi-totalité de la société civile, « complice de ce qui s’est passé ». Elle décide alors de réaliser ce long-métrage. Un documentaire subjectif et assumé comme tel, ainsi que le prouve la voix off de l’auteure, qui commente souvent – trop souvent ? – les images. Il n’est pas question de reconstituer les faits, mais de les interroger, de les « faire parler ».
Exécutions sommaires
La réalisatrice, négligeant volontairement les « officiels », a voulu donner la parole aux personnes les plus concernées et les moins écoutées. Après un long travail de préparation – plusieurs années – destiné à gagner la confiance des témoins, elle a rencontré surtout les familles des victimes. Sans jamais se départir d’une évidente pudeur.
L’intervenant le plus spectaculaire du film est cependant un ex-militaire, qui ne se contente pas de raconter en détail comment se passaient les exécutions sommaires, mais qui se charge de mimer lui-même leur déroulement : en piétinant furieusement, par exemple, des branches dont on comprend qu’elles figurent un être humain, une victime achevée ainsi au sol. Jusqu’à un certain point, lui aussi est une victime, pense la réalisatrice. Qui se demande surtout, conformément à sa démarche, comment cet homme qui dit avoir simplement obéi aux ordres de ses supérieurs a pu être à ce point « déshumanisé » pour agir de cette façon. Et n’en concevoir aucun remord. À tel point qu’il ne regrette aujourd’hui qu’une chose : qu’on ait arrêté si vite cette opération de salubrité publique !
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