France 24 cherche sa voie
Le 6 décembre, la chaîne fêtera ses 3 ans. La CNN à la française tente de se faire une place au sein d’un marché fort disputé et qui lorgne de plus en plus vers l’Afrique.
A l’orée de son troisième anniversaire, France 24 est anxieuse. Le 26 septembre, la chaîne d’information internationale a tenu son premier conseil d’administration depuis qu’elle est passée sous le giron du holding Audiovisuel extérieur de la France (AEF, qui réunit aussi TV5 et RFI), qui devrait avoir permis de faire un bilan d’étape. Et, surtout, France 24 joue gros : les tractations autour de son Contrat d’objectifs et de moyens (CMO), c’est-à-dire les grandes lignes de sa stratégie pour 2009-2014, sont sur le point de se dénouer dans les coulisses de Bercy, au cœur du ministère des Finances. « Les conclusions seront rendues dans les prochaines semaines, confie Christine Ockrent, déléguée générale de la chaîne. Mais je ne peux en révéler la teneur. » Hormis les deux priorités que la direction de la chaîne s’est fixées pour 2010 : poursuivre le développement de la diffusion en langue arabe, pour passer de dix à quinze heures par jour. Et, surtout, étendre la distribution de la chaîne : « Jusqu’ici, France 24 n’a pas eu les moyens d’être mondiale, juge Christine Ockrent. Mais nous allons nous déployer en Amérique du Nord et en Asie. » La chaîne continue donc d’afficher ses ambitions planétaires. Mais en aura-t-elle les moyens ?
Des audiences à la hausse
À France 24, on n’aime guère parler chiffres. Christine Ockrent préfère évoquer les grandes lignes stratégiques en quelques phrases. Difficile donc de connaître le détail des comptes. Mais, tempère Cyril Blet, auteur d’un ouvrage sur France 24, toutes les chaînes internationales gardent jalousement leurs chiffres, jugés « stratégiques ». « Nous sommes un peu paranos, c’est vrai », s’en amuse un commercial de la chaîne. Plutôt que parler argent, France 24 préfère discuter performances au Maghreb (+ 8 points de notoriété en 2009). Au Sénégal, au Gabon et en Côté d’Ivoire, notamment, elle supplante BBC World, CNNI et Al-Jazira. Quant au Moyen-Orient et à l’Europe, l’étude menée en septembre 2009 par l’institut EMS, autorité en la matière, classe pour l’instant France 24 en queue du classement, avec Euronews en tête, qui a lancé son service arabophone en juillet 2008.
En fait, le seul chiffre avéré est le montant de la dotation étatique – soumise au contrôle du Parlement : 90,5 millions d’euros en 2009, en hausse par rapport à 2008 (88,5 millions) et 2007 (86 millions). À combien s’élèvera la rallonge en 2010 ? Pour l’heure, mystère. « Nous espérons une hausse de la subvention », confie Christine Ockrent, qui reconnaît que « le développement de la distribution va coûter cher ». Le rapport présenté au Parlement français en juillet 2008 estime la subvention pour 2010 à 125 millions d’euros, sur un budget total de 133 millions – l’équivalent du budget de RFI en 2008 – soit une progression de quelque 37 millions en trois ans.
De son côté, France 24, sans pour autant vouloir en révéler le détail, préfère mettre l’accent sur le développement de ses ressources propres… « Une goutte d’eau », de l’avis de François Mariet, professeur en gestion des médias à l’université française Paris-Dauphine, qui pèse pour « moins de 2 % de ses recettes », à en croire Cyril Blet, bien loin de l’autofinancement à hauteur de 40 % que vise « à terme » la direction de la chaîne. L’objectif est ambitieux. À titre de comparaison, les recettes propres de la BBC atteignent à peine 17 % du total de ses recettes.
France 24 s’est bien dotée d’une régie propre, avec sa filiale France 24 Advertising. Selon un document comptable confidentiel, « le chiffre d’affaires [de la régie publicité] s’élève à 3,5 millions d’euros » en 2008. Il a tout de même doublé par rapport à 2007, mais demeure en deçà (– 31 %) des objectifs fixés. C’est que le marché publicitaire, déjà affecté par la crise, se limite pour les chaînes internationales aux seules marques mondiales (banques, groupes hôteliers, constructeurs automobile, compagnies aériennes, marques de luxe…) ont intérêt à faire campagne. Shell, Total, Dexia, Lexus, Accor et… l’Office du tourisme de Grèce ont ainsi été les plus gros annonceurs de France 24 en 2008. « Le profil de nos annonceurs est plus varié sur Internet, qui offre des possibilités de décrochage selon les pays », précise Sébastien Marchand, l’un des responsables de la régie. Avec une moyenne de 6,5 millions de visiteurs uniques par mois, (dont 42 % d’internautes américains), France24.com est un atout maître dans la montée en puissance de la chaîne. Autre priorité, l’internationalisation du portefeuille d’annonceurs, dont 75 % sont en France. La bataille sera rude : France 24 va devoir aller à l’offensive des prés carrés de ses concurrentes anglo-saxonnes et arabe, qui se disputent toutes le même profil d’annonceurs. « Le marché de la publicité internationale, bien qu’en croissance sur le long terme, reste encore faible », juge Cyril Blet.
Le poids de la crise
Avec des perspectives de ressources insuffisantes d’un côté et des dépenses à la hausse de l’autre, l’horizon budgétaire de France 24 relève de la quadrature du cercle. Du coup, on traque les économies. Les correspondants de la chaîne, non salariés, ont « le statut d’auto-entrepreneurs », souligne ainsi Sabine Mellet, chef d’édition et déléguée syndicale de la chaîne. Idéal pour compresser les frais de personnel, mais source de précarité pour les correspondants. Fini aussi les duplex trois à cinq fois par jour. Trop cher. « Une heure de duplex, c’est 7 000 à 8 000 euros », précise une source. On en fait moins, on préfère payer un billet d’avion au correspondant pour le faire venir en plateau. Les reportages des correspondants, achetés 1 000 euros environ la minute, et les directs sur le terrain cèdent la place aux liaisons téléphoniques ou aux invités experts qui se succèdent en plateau, une carte du pays traité en fond d’écran. « L’antenne est moins fournie qu’avant », juge un journaliste. « On fait parfois de l’information low-cost », confirme l’un de ses collègues. Au service Internet de France 24, un autre confie : « Mon travail consiste surtout à réécrire des dépêches. » Le climat social est agité à France 24. Turn-over important, horaires élastiques, temps d’antenne à rallonge, montage des sujets… on demande beaucoup aux journalistes. Et notamment de se débrouiller sans trop de moyens, économies obligent. Signe d’un malaise entre la direction et la rédaction, qui compte 280 journalistes, « il y a eu 11 licenciements négociés et 30 partants qui ont fait jouer leur clause de cession depuis un an », affirme Sabine Mellet. Sacré budget là aussi, sans même parler du coût humain. Malgré ces écueils, la toute jeune France 24 est en passe de réussir son pari : faire émerger une chaîne d’information française et multilingue entre le mastodonte CNN et la low-cost Euronews. France 24 cherche encore sa voie. Elle l’a pour l’instant trouvée en Afrique francophone.
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