Pour une politique culturelle au Congo

Écrivain franco-congolais, Prix Renaudot 2006. Professeur de littérature francophone à l’université de Californie-Los Angeles (UCLA)

ProfilAuteur_AlainMabanckou

Publié le 29 septembre 2009 Lecture : 3 minutes.

Faut-il aujourd’hui être nostalgique lorsqu’on évoque la culture au Congo-Brazzaville ? Un jour, discutant avec Mme Diop – directrice des éditions Présence africaine –, elle me demanda ce qui suscitait tant de vocations dans un « si petit pays ». Je lui répondis que c’était sans doute parce que nous avions l’océan Atlantique et le fleuve Congo.

Au-delà de l’anecdote, il faut remonter à l’époque Brazzaville était la plaque tournante de l’Afrique-Équatoriale française, la capitale de la France libre, le lieu de la création de la revue Liaison, une des premières traces écrites de notre littérature. Le « petit » Congo eut le privilège de voir naître sur sa terre de grands noms de la rumba congolaise : Paul Kamba, Loko Massengo, Michel Boyibanda, Youlou Mabiala. Sans compter des musiciens atypiques comme Franklin Boukaka et Zao. Le premier accompagnant les balbutiements révolutionnaires des nouveaux États africains ; le second privilégiant la satire sociale avec un humour désopilant…

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Parallèlement, le taux de scolarisation dépassait les 90 %, les cercles culturels se développaient dans les quartiers. L’université de Brazzaville accueillait des étudiants venus de l’Afrique centrale. La jeunesse côtoyait les modèles vivants, suivait de près l’effervescence d’une culture dont le rayonnement dépassait peu à peu nos frontières.

Les années 1990 marquent la fin de cette ère culturelle intense et sont traversées par deux guerres civiles. La mort de Sony Labou Tansi, celle de Sylvain Bemba – l’érudit de la capitale – après celle de Tchicaya U Tam’si assombrissent le paysage culturel. Une des voix fortes de la rumba congolaise, Pamelo Mounk’a, s’éteint dans l’indigence à Paris tandis que Youlou Mabiala, paralysé par une grave maladie, abandonné à son triste destin dans une pièce minuscule de la capitale française, ne peut plus chanter. Les toiles de Gotène, Faustin Kitsiba ou Nicolas Ondongo moisissent dans des ateliers de Brazzaville. Ces peintres apprennent avec tristesse qu’à l’étranger, dans des galeries prestigieuses, on se dispute les œuvres d’artistes à coups de millions d’euros…

Faut-il alors désespérer ? Je ne pense pas. De jeunes orchestres – à commencer par Extra Musica – rallument la flamme. La musique s’oriente vers le monde, le rappeur Passi s’impose en chef de file de la diaspora congolaise. Au théâtre, Dieudonné Niangouna récolte de plus en plus de succès à l’étranger, de même que Fortuné Bateza ou Stan Matingou.

On peut désormais admirer la peinture congolaise dans deux « Galerie Congo », à Paris (38, rue Vaneau, VIIe) et à Brazzaville (84, avenue Paul-Doumer). Sur le plan littéraire, à côté de nos « classiques vivants » (Henri Lopes, Maxime N’Debeka, Jean-Blaise Bilombo Samba, Tchichellé Tchivéla), de nouveaux noms apparaissent : Wilfried N’Sondé, auteur du Cœur des enfants léopards (Actes Sud), Éric Dibas-Franck (Peine perdue, Elzévir), Léopold Congo-Mbemba (Tombeau transparent, Présence africaine), Daniel Biyaoula (L’Impasse, Présence africaine) et Gabriel Okoundji, l’un des poètes congolais les plus prolifiques, avec plus d’une dizaine de recueils de poèmes à son actif.

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Une critique littéraire voit enfin le jour, menée par Boniface Mongo-Mboussa, très actif dans le paysage littéraire français, et des universitaires de Brazzaville : André-Patient Bokiba, Omer Massoumou, Jean-Luc Aka-Evy et Mukala Kadima-Nzuji. Un supplément littéraire hebdomadaire paraît désormais dans Les Dépêches de Brazzaville, quotidien qui est également propriétaire de la librairie la plus fournie de la capitale congolaise…

Tout laisse à penser qu’une nouvelle page s’ouvre. Toutefois, la politique culturelle doit suivre cette lancée. Sinon, comment comprendre la disparition des salles de cinéma remplacées ces dernières années par des « églises de Renaissance » ? Comment expliquer que les écrivains Sony Labou Tansi, Sylvain Bemba ou Tchicaya U Tam’si n’aient pas une rue ou une avenue à leur nom dans Brazzaville, l’une des capitales des lettres du continent africain ?…

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