Grand corps malade en voie de guérison

Blocs opératoires en panne chronique, patients transportés à dos d’homme : la seule évocation du CHU de Brazzaville fait frémir les Congolais. Pourtant, le plateau technique se modernise et la qualité des soins s’améliore. Alors pourquoi une si mauvaise image ?

Publié le 29 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Il est 8 h 30. Devant le Centre hospitalier universi­taire (CHU) de Brazzaville, taxis et foula-foula se suc­cèdent. Arrêts brefs, cris discrets des coxeurs annonçant les destinations des minibus, coups de klaxon étouffés. L’atmosphère feutrée qui règne aux alentours du CHU tranche avec le brouhaha général de la capitale. Même les rares vendeurs de sachets d’eau ou de cartes téléphoniques semblent avoir perdu leur bagout. Quant aux visiteurs, c’est avec un air grave qu’ils se ­pressent vers l’hôpital. Et pour cause. Ici, on vient visiter un malade ou se faire soigner. Pas de quoi arborer une mine réjouie. De toute façon, la simple évocation du CHU fait frissonner d’effroi la plupart des Brazzavillois. Mouroir, laisser-aller général, corruption… tout a été dit, surtout le pire, sur l’hôpital.

Pourtant, une fois le hall d’entrée franchi, la situation apparaît tout autre. Vêtus de leurs blouses obligatoires, médecins, infirmiers et autres agents vaquent à leurs tâches. Dans les cours intérieures, les malades papotent tranquillement avec leurs familles. Sur le terrain qui se trouve derrière les bâtiments, des arbres ont même été plantés. Une initiative du directeur général, qui compte y faire installer prochainement des bancs pour que les patients et leurs visiteurs puissent y discuter à l’aise.

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Dans les couloirs des trente-sept services que compte l’hôpital, bien ripolinés et parfois décorés de tableaux, comme celui du service des cancéreux, pas de papier par terre ni de trace de saleté. « Nous sommes attentifs à la propreté des locaux et de la lingerie, ainsi qu’à la stérilisation. Nous avons acheté de nouvelles machines à laver, à sécher et à repasser le linge », explique Ignace Ngakala, directeur général du CHU depuis 2003, en désignant les six grosses machines qui trônent dans la buanderie. Dans la plupart des services, le matériel biomédical et technique est flambant neuf. Dans les chambres, de un à quatre lits, la literie est certes sommaire, les toilettes pas toujours au top, mais rien de l’horreur que l’on se plaît à décrire.

Difficile de se refaire une réputation

Alors, qu’est-ce qui vaut donc au CHU sa si mauvaise image ? Créé en 1988 sur les cendres de l’ex-Hôpital général, lui-même héritier de l’hôpital fondé en 1955 par l’administration coloniale pour l’Afrique-Équatoriale française, le CHU – seul du genre au Congo – a connu des fortunes diverses. Pendant longtemps, il a été mal entretenu, absence de gestion et gabegie obligent, et les soins n’y étaient pas des meilleurs. La guerre de 1997 n’a rien arrangé. La plupart des bâtiments ont été touchés par les combats, et le matériel pillé. Tout était à refaire.

Dans le cadre du programme triennal d’urgence post­conflit, 80 % du plateau technique a été reconstitué. Progressivement, les bâtiments ont été réhabilités, les services rééquipés et 600 lits remplacés sur les 740 que compte l’établissement. « Le CHU dispose actuellement de deux scanners et de matériel de pointe, notamment dans les services de réanimation, d’ophtalmologie et d’ORL. Chaque année, nous envoyons des médecins parfaire leur formation à l’étranger », souligne Ignace Ngakala.

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Quant à la réputation de mouroir de l’hôpital, confortée par les communiqués nécrologiques mentionnant que Untel est décédé au CHU, elle fait bondir son directeur. « La plupart des ­malades qui ­décèdent ici sont arrivés en urgence après avoir exploré les solutions les plus farfelues. Au Congo, le trajet d’un patient est très compliqué : il consulte d’abord les pasteurs des Églises de réveil ou les féticheurs, se tourne ensuite vers un cabinet privé, pas toujours très compétent, puis vers l’hôpital de base, souvent mal équipé. Et quand il arrive enfin au CHU, il est dans un état très critique. Nous ne pouvons alors plus faire grand-chose. » Il n’en serait pas de même pour les patients pris en charge par le CHU dès le début de leur maladie : leur taux de mortalité serait proche des normes mondiales.

Certains confirment la qualité du personnel médical. « Ma fille est restée une semaine à la clinique Blanche-Gomez, sans résultat. On l’a hospitalisée au CHU où, très vite, les médecins ont su faire le bon diagnostic et trouver le bon traitement », raconte Pierre, un Brazza­villois. Toutefois, beaucoup se plaignent des longues files d’attente aux urgences ou à la consultation, du manque d’examens pratiqués, obligeant les familles à recourir aux services d’une clinique privée, de la non-gratuité des soins, d’avoir à payer la nourriture et les médicaments… « L’arrêt de la gratuité des soins a été décidé par le président ­Lissouba en 1997 », précise Ngakala.

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Sauvé par l’obligation de résultats et les impératifs de rentabilité

À l’évidence, on demande plus au CHU que ce que lui permet sa mission. « Les reproches faits au CHU portent sur ce que devrait faire le ministère de la Santé. Nous sommes un établissement public de santé et non un établissement de santé publique. Nous avons une autonomie financière. Outre le budget annuel de 3,6 milliards de F CFA (près de 5,5 millions d’euros) octroyé par l’État, qui sert à payer les salaires des 1 700 agents, nous devons générer nos propres recettes, tirées des consultations, de l’hospitalisation, de l’imagerie médicale et des analyses biologiques », martèle Ngakala. Quant au budget d’investissement, il est défini en concertation avec le ministère de tutelle, et les décaissements posent des problèmes.

D’autres critiques portent sur la surfacturation des tarifs – fixés en principe à 3 500 F CFA (5,30 euros) pour une consultation et à 5 000 F CFA (7,60 euros) pour une journée d’hospitalisation, voire plus selon le type de soins – par des agents du CHU. De petits trafics que ne conteste pas Ngakala : « Pour éviter cela, nous utilisons les services d’un privé, qui contrôle les billets et s’assure qu’ils corres­pondent bien aux tarifs en vigueur. »

La réhabilitation et le rééquipement du CHU, rendus nécessaires au sortir des conflits, ne sont pas une fin en soi. Un vaste projet de réorganisation physique et structurelle est envisagé. De nouveaux bâtiments, qui accueilleront les services cliniques, de dialyse, de biologie, de pathologie et d’imagerie médicale, seront construits, tandis que la faculté de médecine ainsi que les écoles des cadres infirmiers et des sages-femmes seront regroupées dans le grand bâtiment existant.

Sur le plan organisationnel, on passera de la notion de services à celle de pôles, dirigés par une équipe médicale et supervisés par un chef. Plus question de gabegie. L’heure sera à la contractualisation et aux résultats. « Nous voulons responsabiliser les équipes. Chaque pôle, regroupant plusieurs services, dégagera des objectifs chiffrés en termes de moyens financiers et de besoins. Tous les six mois, le personnel sera évalué », explique Ngakala. L’étude, réalisée par un cabinet privé et à laquelle a été associé le personnel, est bouclée. Reste à mobiliser les 30 milliards de F CFA (45,7 millions d’euros) nécessaires à la réalisation de ce projet médical d’établissement pour que le grand malade d’hier, aujourd’hui en convalescence, devienne un corps sain.

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