La balle est dans le camp iranien

Le 1er octobre, un an après le fiasco de Genève, la communauté internationale et l’Iran vont de nouveau s’asseoir à la table des négociations. Si l’Amérique, sous l’impulsion du président Obama, se montre désormais plus conciliante, la République islamique, elle, n’a toujours pas lâché du lest.

Publié le 28 septembre 2009 Lecture : 7 minutes.

Lors de leur dernier face-à-face avec Saïd Jalili, le négociateur en chef iranien, les délégués des six grandes puissances se sont vu remettre un document de deux pages censé résumer les propositions de Téhéran. Rédigé dans un anglais approximatif, il énumérait toute une série de sujets, à l’exception de celui dont les grandes puissances étaient venues parler : le programme nucléaire iranien. Lors des discussions qui se sont tenues à Genève en juillet 2008, Jalili est resté évasif, refusant de répondre à l’offre qui venait de lui être soumise au nom de la communauté internationale, préalable à des négociations plus larges : l’arrêt par Téhéran de l’enrichissement de l’uranium en échange d’un gel des sanctions de l’ONU. Frustrés, les délégués regagnèrent leurs pays les mains vides.

Plus d’un an après, les deux parties s’apprêtent à reprendre les discussions. Depuis Genève, de l’eau a coulé sous les ponts, aux États-Unis comme en Iran. Une administration disposée à discuter avec ses ennemis s’est mise en place à Washington. Une crise électorale a profondément divisé la société iranienne et fait trembler le pouvoir sur ses bases à Téhéran. Entre-temps, le programme nucléaire iranien s’est poursuivi, les discussions avec l’Iran n’ont pas repris et aucune nouvelle sanction onusienne n’a été décidée. En revanche, la crainte de voir Israël attaquer les installations nucléaires iraniennes s’est fait jour et va grandissant. Car une telle éventualité mettrait le feu à la région et inciterait la République islamique à accélérer son programme nucléaire.

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Selon de hauts responsables occidentaux, l’Iran n’a jamais été aussi proche de développer des armes nucléaires, malgré tous les efforts entrepris pour l’empêcher d’en maîtriser le processus de fabrication. Mais l’objectif qui consiste à prévenir la construction effective d’engins nucléaires reste d’actualité. Et demeure la priorité. « [Le président américain] Barack Obama est en train d’essayer de convaincre Téhéran de renoncer à s’engager dans la fabrication tous azimuts d’armes nucléaires », analyse David Albright, de l’Institut de science et de sécurité internationale, à Washington. D’où la tenue de nouvelles discussions entre l’insaisissable négociateur iranien Saïd Jalili et les six puissances qui tentent de freiner le programme iranien – les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et l’Allemagne –, auxquelles se joindra Javier Solana, chef de la diplomatie européenne, le 1er octobre, dans une ville d’Europe dont le nom n’a pas été révélé. Les participants à cette rencontre ne se font guère d’illusions, soupçonnant Téhéran de l’avoir acceptée non pas tant pour négocier que pour gagner du temps et prévenir de nouvelles sanctions du G20 ou de l’ONU, réunis la semaine dernière. 

Contexte défavorable

« Le texte envoyé par l’Iran, sensiblement le même [que celui de l’année dernière], est un peu plus long et plus verbeux, confie un diplomate européen. Mais nous avons pris une décision politique, qui consiste à dire : très bien, merci pour votre texte, et maintenant, asseyons-nous pour discuter. Prendre des engagements est une nécessité, pas une concession. » Peut-être que, au vu des signaux positifs émis par le ministre iranien des Affaires étrangères, le programme nucléaire sera mis sur la table et que les deux parties tomberont d’accord sur un calendrier tenant compte de leurs préoccupations respectives.

Pour les États-Unis et l’Iran, cette rencontre est avant tout l’occasion de se sonder mutuellement. Les deux pays ont connu de grands changements – certains favorisant l’émergence d’un compromis, d’autres, au contraire, lui faisant obstacle. « Il s’agit, a déclaré la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, de rencontrer les Iraniens, de leur expliquer en tête à tête les choix auxquels ils sont confrontés et de voir s’ils sont prêts à prendre des engagements avec nous à propos de leur programme nucléaire. Nous n’allons pas discuter pour discuter. »

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Mais si les États-Unis se montrent désormais plus conciliants avec l’Iran, Téhéran, lui, a durci sa position à l’égard de Washington. Et c’est encore au même patron que Jalili doit rendre compte : le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, dont la volonté de prendre des engagements a toujours été douteuse. Les dirigeants iraniens, qui plus est, sont désormais à la tête d’un régime frappé de discrédit, affaibli par les soupçons de fraude qui ont entaché la réélection de Mahmoud Ahmadinejad en juin. Le déroulement du scrutin a fait voler en éclats bien des hypothèses à propos de l’Iran, comme l’idée selon laquelle Khamenei serait plus modéré que l’ultra-fondamentaliste président. Le Guide suprême a pris parti pour Ahmadinejad et semble apprécier son agressivité sur le dossier nucléaire, considérant qu’elle renforce la position de l’Iran. Pendant ce temps, les voix pragmatiques du régime, regroupées autour de l’ancien président Akbar Hachemi Rafsandjani, sont bâillonnées.

Une hypothèse semble en tout cas se confirmer : l’Iran n’acceptera un accord sur ses activités nucléaires qu’à condition d’être autorisé à poursuivre l’enrichissement de l’uranium. Certains au sein du régime ont déjà laissé entendre en privé qu’en échange d’incitations politiques et économiques – les propositions des grandes puissances sont toujours sur la table – Téhéran pourrait offrir la garantie que son programme nucléaire resterait pacifique. Ali Akbar Jafanfekr, un conseiller d’Ahmadinejad, a déclaré à l’Agence France-Presse que la reconnaissance de l’Iran comme puissance nucléaire était le premier pas vers une normalisation des relations. « Nous avons la technologie, c’est une réalité qu’ils doivent prendre en compte, a-t-il affirmé. Si nous n’en avions pas une maîtrise suffisante, la situation aurait été très différente. » 

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Israël prié de se retenir

Sur le terrain, plusieurs faits semblent renforcer la position iranienne. Glyn Davies, l’ambassadeur des États-Unis auprès de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), vient de déclarer que l’Iran disposerait bientôt, si ce n’est déjà le cas, de suffisamment d’uranium peu enrichi pour fabriquer, après enrichissement, une arme nucléaire. Au pire, la République islamique pourrait produire la matière fissile nécessaire d’ici à six mois, selon David Albright. Mais les responsables américains évaluent ce délai entre un et deux ans.

Selon les observateurs, une attaque aérienne contre les sites nucléaires iraniens serait au mieux sans effet, au pire contre-productive, surtout si, comme cela semble être le cas, l’Iran dispose d’installations souterraines secrètes. Une analyse que l’administration américaine a faite sienne, au point de mettre en garde Israël à plusieurs reprises contre toute opération militaire.

« Mon sentiment est qu’il sera impossible de trouver une solution qui n’impliquerait pas un certain degré d’enrichissement sur le sol iranien », estime Mark Fitzpatrick, de l’Institut international des études stratégiques (IISS), à Londres. En retour, Téhéran devra accepter des inspections plus poussées de l’AIEA. Certains responsables de l’administration américaine avaient envisagé un tel compromis dans le cadre d’un accord final. Mais la crise postélectorale en Iran et la radicalisation du régime ont rendu un tel accord politiquement plus coûteux pour Obama. Des diplomates américains et européens estiment que l’arrêt de l’enrichissement de l’uranium est le seul moyen d’empêcher l’Iran d’acquérir la bombe. La crise postélectorale a également compromis la politique d’ouverture amorcée par l’administration Obama à l’égard de Téhéran pour apaiser sa paranoïa. Les images de la répression des manifestations ont accentué la pression sur Obama, sommé de condamner l’Iran – ce qu’il fera par la suite – et de tempérer sa politique de la main tendue. « L’élection iranienne a singulièrement compliqué la situation et dressé des obstacles quasi insurmontables, analyse Ray Takeyh, ancien conseiller au département d’État chargé de l’Iran. Une partie de la classe politique iranienne semble peu encline au compromis et privilégie une attitude de défiance. » Des enjeux intérieurs, dont sa bataille pour la réforme du système de santé n’est pas le moindre, ont également limité la marge de manœuvre d’Obama.

Comme l’a annoncé le président américain, les résultats des discussions avec l’Iran seront évalués à la fin de l’année. Si Téhéran ne fait pas montre de flexibilité, la Maison Blanche redoublera d’efforts pour convaincre l’ONU et l’Union européenne de lui imposer une nouvelle série de sanctions. « Il est vrai que les Russes et les Chinois y rechignent, admet un responsable américain, mais la répression brutale des manifestations postélectorales a conduit de nombreux pays, notamment européens, à durcir leur attitude à l’égard de Téhéran. » Obama espère que sa décision de renoncer au bouclier antimissile en Europe centrale amènera Moscou à coopérer avec lui sur le dossier iranien. Pour Robert Gates, le secrétaire américain à la Défense, l’accent mis sur un nouveau projet de bouclier destiné à contrer les missiles iraniens de courte et moyenne portée devrait rassurer Israël, le pays le plus exposé à une attaque, et convaincre ses dirigeants qu’« il est encore temps pour la diplomatie… et les sanctions ». Les responsables américains ajoutent que les discussions à New York et au Congrès sur d’éventuelles sanctions pourraient inciter les entreprises internationales à quitter l’Iran, à l’instar de plusieurs grandes banques ces dernières années. 

L’heure du choix

Obama a également avancé l’argument selon lequel les Iraniens auraient plus à perdre qu’aucun autre pays de la région s’ils s’engageaient dans la voie d’une course aux armements nucléaires au Moyen-Orient. Certains diplomates européens affirment depuis longtemps que l’Iran veut seulement avoir la bombe à sa portée – et non pas la construire effectivement. Si cette hypothèse se vérifiait, elle pourrait constituer un argument recevable. « Les Iraniens ont aujourd’hui des capacités telles que tout dépend finalement de la décision qu’ils vont prendre, estime David Albright. Il n’est pas exclu qu’ils décident de ne pas construire la bombe. Cela fait partie du jeu. » Lors de la rencontre du 1er octobre, la balle sera en tout cas dans le camp de Saïd Jalili.

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