Les remèdes du docteur Obama
Alors que l’économie américaine se porte mieux, le président chute dans les sondages. Ce qui ne l’empêche pas de parler sans détour aux banquiers et aux traders. Et, surtout, de défendre avec vigueur le grand projet de son mandat : la réforme de l’assurance maladie.
L’importance que les observateurs étrangers ont accordée à la réunion du G20 à Pittsburgh, les 24 et 25 septembre, leur a fait perdre de vue une donnée essentielle : le président des États-Unis est désormais en posture de combat at home, « à la maison ».
Élu pour sauver l’économie américaine, Barack Obama sait que, pour être réélu en 2012, il doit impérativement remporter des succès économiques et sociaux, et que l’amélioration de la situation en Irak ou la fermeture du camp de Guantánamo n’entreront pas en ligne de compte.
En septembre, il a engagé la « mère de toutes les batailles » de son mandat, la réforme du très médiocre système d’assurance maladie, contre des lobbies et des adversaires conservateurs très déterminés.
Heureusement pour lui, l’économie américaine est entrée en convalescence. L’effondrement du produit intérieur brut (PIB) au premier trimestre (– 6,4%) a été beaucoup moins marqué au deuxième trimestre (– 1%). Et le PIB pourrait ne plus être négatif au troisième. La poussée du chômage est moins forte. Les ventes d’automobiles repartent à la hausse. Les prix de l’immobilier ne sont plus en chute libre. La confiance des consommateurs et des chefs d’entreprise s’améliore.
Obama le dit, Tim Geithner, son secrétaire au Trésor, et Ben Bernanke, le patron de la Réserve fédérale, aussi : « La crise financière est finie. » Les 700 milliards de dollars injectés par l’administration Bush dans le système financier, les 787 milliards votés par le Congrès en février dernier pour relancer la demande et éviter une grande dépression comparable à celle de 1929, la nationalisation de fait de certaines banques et des géants de l’automobile General Motors et Chrysler ont amorti le choc de la crise des subprimes et de l’éclatement de la bulle immobilière.
Le problème, c’est que cet incontestable succès macroéconomique ne se traduira pas par des embauches avant l’année prochaine. « On ne peut pas parler de reprise tant que l’économie détruit des emplois », a reconnu le président.
Méthode douce
Or l’opinion s’impatiente. Elle s’alarme de voir le chômage se rapprocher de 10 % de la population active. Un sondage Associated Press-GFK, réalisé le 13 septembre, révèle que sept Américains sur dix doutent que les mesures adoptées préviendront les crises futures. Ils sont scandalisés que l’argent public ait massivement aidé les banques, dont la gestion hasardeuse a été à l’origine de la catastrophe. Ils sont mécontents, enfin, de ne pas encore voir leur situation s’améliorer, même si leur pouvoir d’achat progresse très légèrement sous l’effet des réductions d’impôts.
La poursuite des licenciements et la formidable poussée du déficit public, qui s’élève à 12 % du PIB, expliquent que le président manœuvre avec la plus grande prudence. À la recherche d’un équilibre subtil, il refuse de suspendre les mesures de relance tant que l’emploi ne repartira pas et, en même temps, de mettre en œuvre un nouveau plan de relance auquel il pense que le budget de l’État fédéral ne résisterait pas. De l’avis des experts, Obama a opté pour la meilleure solution. Il n’empêche : le maintien de ce cap peu médiatique, parce que médian, laisse ses compatriotes sur leur faim : sa cote de popularité est tombée de 61 % de satisfaits en mars à 54 % aujourd’hui.
Autre résultat en demi-teinte : la réforme du monde de la finance. Bien sûr, la dernière réunion du G20 a donné lieu à une kyrielle de satisfecit. Certes, tous les chefs d’État sont tombés d’accord sur la nécessité d’obliger les banques à constituer des réserves plus importantes ou, du moins, proportionnées aux risques qu’elles prennent. Mais pour ce qui est des bonus versés aux traders (11,4 milliards de dollars annoncés chez Goldman Sachs en 2009), qui ont tant choqué des deux côtés de l’Atlantique, c’est la position minimaliste américaine qui l’a emporté.
Si, dans le discours qu’il a prononcé à Wall Street le 14 septembre – date anniversaire de la faillite de Lehman Brothers – Barack Obama a tancé les financiers « qui prennent des risques menaçant l’ensemble du système », il n’a pas décidé de les sanctionner pour autant. Il a donc refusé la proposition de Nicolas Sarkozy et d’Angela Merkel de plafonner les sommes versées aux petits génies de la finance, parce que « nous sommes dans un pays où l’on ne dit pas : “vous ne pouvez pas payer les gens à tel niveau”, quel que soit ce niveau ».
Réprouver sans condamner, inciter sans contraindre, c’est le soft power, la méthode douce chère au président. Celle qui lui a fait dire aux banquiers : « N’attendez pas qu’une loi soit adoptée pour réformer votre système de rémunérations et pour que vos salariés soient récompensés en fonction de leurs performances à long terme, et non plus en fonction de leurs bénéfices immédiats. » Du grand art mais, là encore, peu spectaculaire.
Cette subtilité n’est plus de mise dans le dossier de la santé. Durant sa campagne, Barack Obama en avait fait sa priorité, car ce système d’assurance est à la fois le plus onéreux du monde (18 % du PIB, contre 11,5 % en France) et le moins efficace (quelque 50 millions d’Américains ne bénéficient d’aucune couverture maladie).
« Comités de la mort »
Dans un premier temps, pour ne pas donner l’impression d’imposer ses solutions comme Hillary Clinton, qui, en 1993-1994, échoua à transformer le système, il avait laissé aux parlementaires le soin d’élaborer cette réforme dont on parle… depuis la présidence de Theodore Roosevelt (1901-1908). Mal lui en a pris. Au cours de l’été, cette ouverture a été perçue comme de l’irrésolution, et les républicains en ont profité pour faire de l’obstruction, histoire d’effacer des mémoires leur déroute électorale de la fin 2008. Les lobbies des assureurs et des laboratoires pharmaceutiques ont incité les conservateurs de tout poil à dénoncer sur tous les tons le « socialisme », voire le « communisme » d’Obama.
Jouant de la méfiance viscérale des Américains à l’égard de l’État, les opposants ont déversé dans les médias des tombereaux de mensonges, claironnant par exemple que des « comités de la mort » constitués de fonctionnaires décideraient quelles personnes âgées seraient soignées et lesquelles devraient mourir. Les manifestants antiréforme ont même brandi des portraits de Barack Obama caricaturé en Hitler.
Le 9 septembre, devant les deux Chambres du Congrès solennellement réunies, le président a prononcé un discours qui les a pris à contre-pied. Les républicains et la presse pensaient qu’il enterrerait son ambitieux projet d’assurance maladie obligatoire, signant ainsi sa première défaite.
Au contraire, il a fait preuve d’une autorité nouvelle, en annonçant : « Le temps de l’action est venu ! » car il est insupportable « que chaque jour 14 000 Américains perdent leur couverture maladie » en basculant dans le chômage. Oui, la réforme se fera, et avant la fin de l’année. Non, les compagnies d’assurances ne pourront plus refuser d’assurer leurs clients sous prétexte qu’ils souffrent d’une maladie « préexistante » ni plafonner leurs remboursements. Oui, chacun pourra choisir son assureur, public ou privé. Non, les immigrés clandestins ne bénéficieront pas d’une assurance maladie. Oui, il écoutera les « inquiétudes légitimes » de ses adversaires républicains. Non, les 900 milliards de dollars que coûtera cette réforme sur dix ans « ne créeront pas un cent » de déficit supplémentaire.
En octobre, le président sillonnera les États-Unis pour défendre son plan. « Je ne suis pas le premier président à me saisir de la réforme de notre système de santé, mais je suis déterminé à être le dernier », a-t-il promis. La bataille est lancée. Il était temps.
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