L’Algérie à l’estomac

Avec un humour grinçant, Anouar Benmalek dénonce la violence qui traverse la société algérienne. Et convoque la guerre d’indépendance et ses atrocités pour expliquer le présent.

Publié le 22 septembre 2009 Lecture : 3 minutes.

Alain Mabanckou dit de lui que c’est un « écrivain à risques ». Car, à sa manière, Anouar Benmalek porte la plume dans la plaie. Celle de l’Algérie, son pays. Après avoir évoqué les années noires du terrorisme dans Les Amants désunis (prix Rachid-Mimouni 1999) et écrit les Chroniques de l’Algérie amère en 2003, il récidive. Le Rapt, un roman intense que le quotidien El Watan a déjà qualifié de chef-d’œuvre, risque de faire du bruit. En racontant l’histoire d’un couple, bouleversé par l’enlèvement de sa fille de 14 ans, il dénonce la « violence souterraine » qui habite le pays. Et convoque la guerre d’indépendance et ses atrocités pour expliquer le présent…

Histoires d’amour

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Il fait notamment référence au massacre de Melouza, perpétré sur des civils par l’armée du FLN. « Si l’on condamne Abou Ghraïb, il faut aussi condamner les Aussaresses algériens qui ont existé. Car il n’y a pas qu’un seul Melouza algérien. Nous avons suffisamment de héros pour ne pas les mélanger avec les bourreaux ! C’est un devoir de mémoire envers les victimes et leurs descendants. Nous devons nous conduire en adultes face à notre histoire, assumer le meilleur comme le pire. Je veux pouvoir nous regarder dans les yeux. »

Détendu, rieur, Anouar Benmalek assène ce genre de phrase avec douceur. Ce n’est pas un va-t-en-guerre. Et pourtant… son avant-dernier livre, Ô Maria (2006), a déchaîné les passions en Algérie. Situant l’action au moment de l’expulsion des Morisques d’Espagne au XVIIe siècle, le livre s’attaquait à la barbarie engendrée par le fanatisme religieux. Ses pages à l’encontre des religions chrétienne et musulmane (il dénonce notamment l’« arnaque » du paradis…) ont été jugées blasphématoires par un grand journal arabophone qui a appelé au boycott du livre. « Mon nom a même été cité dans des prêches… », se souvient l’auteur, qui a écrit sept romans, des nouvelles, de la poésie, et qui est traduit en dix langues. « Un tel débordement de haine a eu un impact très fort sur moi. Je ne voulais plus écrire sur l’Algérie et le monde arabe. J’ai commencé à travailler sur un autre sujet, puis je me suis dit : alors, ils ont gagné ? La colère m’a submergé et je me suis donné le courage nécessaire pour aborder ce sujet qui me trottait dans la tête depuis longtemps. J’ai été angoissé pendant toute l’écriture. »

Ce professeur de mathématiques de 53 ans (il enseigne en France), né d’une mère marocaine et d’un père algérien, n’est pas près de rendre ses armes littéraires. « Je veux que cesse l’admiration pour la force et la violence », explique celui qui fut secrétaire général du Comité algérien contre la torture de 1989 à 1991. « Franchement, j’aurais préféré écrire des histoires d’amour ! Dans les interviews, j’aimerais ne parler que de littérature, mais la politique me rattrape toujours… Pourtant, avec Le Rapt, j’ai surtout écrit une histoire d’amour entre des gens ordinaires qui se débattent dans une situation extraordinaire. Le livre pourrait se passer n’importe où et ne s’adresse pas qu’aux Algériens. Il pose des questions : la rédemption existe-t-elle ? Que feriez-vous si votre enfant était enlevé ? J’ai essayé de faire en sorte que le lecteur éprouve de la compassion pour tous les personnages, même pour le ravisseur. » Alors que l’intrigue se déroule dans une atmosphère étouffante de quasi-huis clos, Anouar Benmalek donne quelques bouffées d’air, avec la présence, au zoo d’Alger, d’un couple de singes bonobos, dont la vie sexuelle dérange jusqu’aux plus hautes sphères… Un humour grinçant, une ironie soudain légère… vite rattrapée par la réalité. « La réalité ? Elle est beaucoup plus cruelle que ce que je peux raconter dans mes livres. ».

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