BBC Afrique délocalise à Dakar

Avec une audience de quelque 9,6 millions d’auditeurs en Afrique francophone, la radio britannique installe la moitié de sa rédaction au Sénégal. Afin de se rapprocher de ses auditeurs et d’économiser plus de 200 000 euros par an avec des journalistes à moindre coût.

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Publié le 22 septembre 2009 Lecture : 4 minutes.

Depuis le 18 juin 1940, les émissions en français de la British Broad­casting Corporation (BBC) font référence. D’ailleurs, la BBC ne manque pas de le rappeler sur son site Internet : « Durant la Seconde Guerre mondiale, des Français, dirigés par le général de Gaulle, refusaient la défaite malgré l’occupation de leur pays par l’ennemi. De Londres, ils continuèrent la lutte, avec l’appui des colonies africaines de la France. Après le conflit, les émissions de la BBC se sont poursuivies vers l’Europe et le continent africain. » Mais les temps changent. Et la radio qui affiche une audience de quelque 9,6 millions d’auditeurs par semaine en Afrique francophone est sur le point de se délocaliser partiellement au Sénégal. Ses futurs bureaux seront situés à Dakar, sur le boulevard du Président-Habib-Bourguiba.

Objectif affiché de ce déménagement : faire des économies ! Le document remis aux journalistes londoniens est clair : « La délocalisation permettra de réaliser les économies exigées pour tous les départements de la BBC dans un contexte financier difficile. » Dotée d’un budget de 1,6 million de livres (1,8 million d’euros) par an, entièrement financée par des fonds publics alloués par le Foreign Office, la direction du service Afrique espère économiser 200 000 livres par an. Le coût du déménagement (installation, équipement, etc.) est, lui, évalué à 800 000 livres.

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BBC Hausa, BBC Swahili…

Pourquoi Dakar, alors que BBC Afrique est surtout écoutée en RD Congo, en Guinée-Conakry et en Côte d’Ivoire ? « Cela a été un choix difficile, confie Razvan Scortea, le chef du service, mais de nombreuses organisations régionales et internationales y sont installées. Le Sénégal est un pays stable, et Dakar a un bon réseau de transports et d’excellentes connexions avec le monde. »

Plus prosaïquement, cette restructuration va entraîner la fermeture de 15 postes à Londres (sur 27) et l’ouverture de 18 postes à Dakar dans les mois à venir. Le recrutement doit commencer en septembre et l’équipe devrait être à pied d’œuvre début 2010. Bien entendu, la BBC se refuse à parler de licenciements secs à propos des postes de Londres. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. Les 15 postes supprimés dans la capitale britannique ne seront pas « remplacés » par les 18 créés à Dakar. Un journaliste londonien qui a tenu à rester anonyme explique : « L’équation est simple. Un producer (journaliste de base) gagne environ 2 200 livres par mois à Londres. À Dakar, le salaire serait de 1 400 livres, pour l’instant sans garantie de couverture médicale. » S’ils voulaient suivre le mouvement, les journalistes londoniens devraient donc repasser par le processus de sélection et accepter, au mieux, une baisse de salaire de 800 livres.

En outre, l’équipe actuelle a été placée devant le fait accompli. Si Razvan Scortea affirme « être en négociation avec les employés et les syndicats depuis mai 2009 », c’est un tout autre son de cloche du côté des journalistes. À son arrivée à la tête du service il y a environ un an, Scortea n’a pas rencontré un à un tous les membres de son équipe – et depuis l’annonce de la délocalisation, les discussions concernant les 15 départs se font au cas par cas, sans véritable concertation.

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Pour justifier sa décision, la direction de la BBC avance l’argument suivant : elle souhaite se rapprocher géographiquement de ses auditeurs pour accroître l’audience. « Nous pensons que disposer d’une présence solide dans la région nous permettra de mieux répondre aux besoins et d’améliorer notre service », soutient Scortea. L’installation d’une grande partie de la rédaction à Dakar devrait s’accompagner d’une extension des programmes de quatre à cinq heures par jour. Sont citées en exemple BBC Hausa et BBC Swahili qui auraient vu, après des changements identiques, leurs audiences croître de 2,7 millions et de 5 millions respectivement entre mai 2004 et décembre 2008. Des chiffres que certains mettent en doute – Razvan Scortea reconnaît lui-même que les mesures d’audience sont sujettes à caution – et qui ne sont pas mécaniquement comparables à ce qui se passera dans la zone francophone, qui couvre un plus grand nombre de pays.

« Accusations de racisme »

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Dans ce contexte, l’ambiance au sein de la « Beeb » est loin d’être au beau fixe. « L’atmosphère est pourrie, confie un journaliste. Tout le monde a peur pour son boulot, cela ravive des tensions dans un service déjà difficile, en sous-effectif depuis des années. Certaines accusations de racisme opposant journalistes noirs et journalistes blancs s’en trouvent exacerbées… »

Le parcours de Razvan Scortea explique aussi les vives inquiétudes de la rédaction : peu au fait des affaires africaines, il a été nommé après avoir mené à bien la délocalisation – suivie de la fermeture ! – du service roumain de la BBC. « Ne personnalisons pas le problème, se défend-il. Comme 23 autres services européens de la BBC (dont 9 dans les trois dernières années), le service roumain a été fermé en raison des changements politiques intervenus dans la région. L’Europe n’est pas dans la même position que l’Afrique, où la BBC n’a fermé qu’une fois un service, l’Afrikaans, il y a cinquante-deux ans ! L’idée que nous fermerions BBC Afrique n’a pas de sens. »

À voir. Les journalistes savent que, dans un contexte de crise, la priorité n’est plus ni à l’Afrique ni au français. Le World Service de la BBC semble aujourd’hui vouloir se tourner vers le monde arabo-musulman, comme en témoigne le coûteux lancement de la chaîne BBC Arabic, qui a pour ambition de concurrencer Al-Jazeera. Une décision stratégique – et politique – qui appartient, elle, au Foreign Office.

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