L’économie (enfin) au coeur de la bataille présidentielle

Priorité aux entreprises nationales, retour de l’Etat, création de filières… les candidats affûtent leurs mots d’ordre sur fond de patriotisme économique.

Publié le 22 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Le parking du siège national du Front populaire ivoirien (FPI), dans le quartier de Koumassi, à Abidjan, affiche complet en cette soirée du 16 septembre. Les barons du régime, parmi lesquels Marcel Gossio, directeur du Port autonome d’Abidjan, Paul-Antoine Bohoun Bouabré, l’ex-argentier passé au Plan, Alphonse Douaty, son collègue de la Production animale et des Ressources halieutiques, ainsi que des directeurs de grandes sociétés publiques ont rendez-vous pour un « séminaire d’actualisation du programme de refondation économique et financière ». Objectif : finaliser la vision du candidat Gbagbo, en gestation depuis un an. « Nous allons mettre l’accent sur la décentralisation du pouvoir écono­mique pour créer dans chaque région des activités génératrices d’emplois et de revenus », explique Ahoua Don Mello, directeur général du Bureau national d’études techniques et du développement (BNETD). Le dernier sondage TNS Sofres, commandé par la présidence, note que pour 77 % des Ivoiriens l’emploi est en tête de leurs préoccupations. 

Nouvelle classe de businessmen

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Les socialistes ivoiriens devraient donc donner la priorité à l’emploi et au développement du tissu ­économique national à travers la préservation des secteurs stratégiques, la relance des cultures et l’industrialisation. Une feuille de route déjà suivie en partie depuis l’accession au pouvoir, en ­octobre 2000, du président Gbagbo. Il a placé ses hommes à la tête des entreprises publiques et acquis le ralliement d’anciens cadres du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Ces derniers mois, l’État a racheté la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA), dédiée aux projets agricoles, et repris la Versus Bank, dont l’une des missions est de financer les PME-PMI. Les autorités s’appuient également sur la Banque nationale d’investissement (BNI) pour réaliser les grands projets de développement. Au plus fort de la crise, cet établissement a soutenu les entreprises nationales comme la Société ivoirienne de raffinage (SIR) et la Sotra (transport urbain)… Laurent Gbagbo a également favorisé l’émergence d’une nouvelle classe de businessmen ivoiriens, proche du FPI. Charles Kader Gooré a repris Chocodi avec l’aide de l’État. Après le retrait d’Air France et du fonds d’investissement ECP du capital de la nouvelle Air Ivoire, le président Gbagbo a préféré l’homme d’affaires ivoirien Koné Dossongui. Dans les télécoms, l’électricité et l’eau, l’État reste présent dans le capital de Côte d’Ivoire Télécom, de la CIE et de la Sodeci. Priorité est désormais accordée aux nationaux dans la constitution de sociétés. Dans le pétrole, obligation est faite aux investisseurs étrangers de s’associer à la société publique Petroci. Idem dans les mines avec la Sodemi.

Pour l’opposition, le système Gbagbo s’apparente à du clientélisme, et elle dénonce régulièrement l’attribution de marchés de gré à gré. Dans les ­prochaines semaines, les candidats devraient se livrer à une bataille des programmes économiques. Du côté du Rassemblement des républicains (RDR), on a préparé très sérieusement cette campagne. L’enjeu économique et social est une priorité. Alassane ­Dramane Ouattara (« ADO »), le président de la formation, a fait travailler une équipe de vingt-cinq experts nationaux et internationaux et mis en chantier neuf commissions techniques pour mettre au point son programme de gouvernance, qu’il dévoile progressivement au fil de ses tournées de précampagne. L’ancien directeur général adjoint du Fonds monétaire international (FMI) est le seul des candidats, pour l’instant, à avoir chiffré le coût de son projet : entre 8 000 F CFA et 10 000 milliards de F CFA le temps d’un mandat, soit cinq ans. Ce qui lui vaut déjà les foudres de ses opposants, qui l’accusent de vouloir réendetter le pays. « Je sais où trouver cet argent. Une partie viendra de l’effacement de la dette, une autre de l’aide bilatérale et le reste des capitaux privés », rétorque le leader du RDR en promettant le retour des investisseurs américains et ­davantage de prêts concessionnels auprès de ses amis chinois et japonais. Parmi la batterie de mesures annoncées : la relance des investissements publics, la réduction des charges fiscales des entreprises, le développement des secteurs secondaire et tertiaire ; et d’autres plus inattendues pour un libéral : la renégociation des contrats pétroliers jugés trop favorables aux opérateurs étrangers et le retour à un organe de gestion unique de la filière café-cacao, en partie libéralisée. « L’échec de la réforme du secteur incite à réintroduire une dose de contrôle public. Il faut identifier les activités précises et les niveaux (production, commercialisation, transformation…) où l’État peut intervenir et comment », précise Paul Koffi Koffi, directeur de cabinet adjoint du Premier ministre. La Banque mondiale à l’origine du démantèlement n’y voit plus d’inconvénient.

Pour la presse bleue, favorable au régime, ADO a gauchisé son discours et présente un programme socialiste. « L’État doit intervenir pour relancer une machine grippée par des années de crise, juge Niélé Kaba, conseillère économique au RDR. Il faut financer les grands projets, apurer les déficits, accompagner le développement des PME-PMI et encadrer la production. Mais nous restons un parti profondément libéral. » 

Favoriser les PME-PMI

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Pour Daniel Kablan Duncan, inspirateur du programme économique du PDCI, un « nationalisme économique bien compris procède d’une intégration harmonieuse au marché régional et international ». Pour l’ancien Premier ministre, l’État n’a qu’un rôle de « régulateur » et de « stimulateur » pour appuyer l’initiative privée. Le parti fondé par Houphouët-Boigny a l’ambition de faire de la Côte d’Ivoire un nouveau pays industrialisé en l’espace d’une génération – une trentaine d’années –, reprenant un concept qui lui est cher, celui de « l’Éléphant d’Afrique ». Et promet de porter la part de secteur secondaire dans le produit intérieur brut à 35 % en 2015, contre 24 % en 1997 et 23 % en 2008. Pour y parvenir, la politique économique doit porter sur des programmes d’appui aux PME-PMI et la promotion du « travail » comme « facteur clé de réussite ». D’autres actions sont envisagées pour former les entrepreneurs, développer la sous-traitance, mettre en place une fiscalité incitative. Enfin, le PDCI entend faire émerger de grands pôles industriels (mines et énergie, nouvelles technologies de l’information, agro-industrie) et compte instaurer des zones franches.

« Les candidats ont de bonnes intentions. Il faut maintenant qu’ils présentent leurs programmes dans les détails et confrontent, pourquoi pas, leurs visions lors d’un débat télévisé », suggère un chef d’entreprise ivoirien.

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