Mohamed Rachid Kechiche : « Pas d’augmentation des taxes en 2010 »

Solidarité redoublée, plan de relance… Quels sont les choix budgétaires pour relever les défis en termes d’objectifs de croissance et d’élévation du niveau de vie ?

Publié le 21 septembre 2009 Lecture : 7 minutes.

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1987-2009 Les années Ben Ali

Sommaire

À 58 ans, Mohamed Rachid Kechiche n’est pas seulement un homme qui aime jongler avec les chiffres. Il sait aussi prêter attention à l’analyse de ces derniers, particulièrement en ces temps de crise mondiale. Titulaire d’une licence en sciences économiques acquise à Tunis, il entre en 1972 à la Banque centrale de Tunisie (BCT) avant de reprendre le chemin des cours à Paris, où il décroche son diplôme d’ingénieur statisticien économiste ainsi qu’un DEA en mathématiques de la décision. De retour à Tunis, il intègre l’Institut d’études quantitatives puis le cabinet du ministre du Plan et des Finances. En 1988, il est promu chef du Contrôle général des finances puis, en 1993, chef du Contrôle général des services publics au Premier ministère. En janvier 1999, il est nommé secrétaire d’État chargé de la Privatisation, puis secrétaire général du gouvernement en 2001. Trois ans après, il prend la tête du ministère des Finances, place de la Kasbah.

Jeune Afrique : Quels sont vos contraintes et vos défis dans l’élaboration du budget 2010 ?

Mohamed Rachid Kechiche : Effectivement, nous sommes en plein dans la préparation du prochain budget de l’État. Préparation sous contraintes, bien sûr. C’est toujours le cas. Les exigences de développement économique du pays confèrent un rôle important au budget de l’État, qu’il convient de concilier avec les impératifs d’une gestion équilibrée des finances publiques. Les défis sont plutôt inhérents à l’ambition de nos objectifs de croissance et d’élévation du niveau de vie, forts des acquis importants obtenus depuis plus de vingt ans sous la conduite de notre président, Zine el-Abidine Ben Ali. Ils ont permis au pays d’avancer vers le progrès, sans discontinuité, et au peuple tunisien de vivre dans un cadre de paix et de cohésion sociale.

Depuis 2008, la crise n’a épargné aucun pays. La Tunisie est-elle à l’abri ?

Non, bien sûr. Ne serait-ce que par l’effet de la récession qui affecte ses principaux partenaires. À titre d’illustration, environ 70 % de nos importations et exportations hors énergie se font avec l’Union européenne, trois pays – France, Italie et Allemagne – totalisant à eux seuls 78 % de notre commerce avec la zone euro.

Justement, comment percevez-vous l’effet de la crise financière ?

Comme dit le proverbe, on a eu « plus de peur que de mal ». Nos relations bancaires avec l’extérieur sont certes importantes, mais elles sont en corrélation directe avec l’économie réelle. Donc, les équilibres fondamentaux du secteur n’ont, heureusement, pas été touchés. Nous n’avons observé ni resserrement du crédit ni crise de confiance entre banques.

Mais, en tant que pays émergent fortement ancré à l’économie mondiale, la Tunisie ne peut pas ne pas subir les effets de la crise…

C’est vrai pour certains secteurs relevant de l’industrie manufacturière comme le textile, la mécanique et les équipements électriques. Ces secteurs ont effectivement enregistré une baisse de leurs échanges [import et export] durant les six premiers mois de 2009. Mais on ressent à partir de juillet les prémices d’une certaine amélioration.

Pour sortir de la crise, les dirigeants des pays industrialisés ont prôné une intervention musclée de l’État. Quelle est votre stratégie ?

Tout d’abord, dois-je vous rappeler que l’action entreprise par les pays développés a été axée sur le système de financement de l’économie, touché par la crise de confiance entre les banques. Cela n’a été à aucun moment le cas en Tunisie. Au niveau financier, nos préoccupations sont de ce fait ciblées sur deux volets : le premier concerne le soutien aux entreprises qui rencontrent des difficultés de recouvrement de leurs recettes d’exportation, le second concerne le financement des PME.

Quel a été votre rôle face à la crise ?

Le budget de l’État a toujours été orienté vers une stratégie de soutien de l’action de développement qui répond à nos impératifs d’équilibre social et à nos valeurs de solidarité. Globalement, il s’inscrit en augmentation sensible des dépenses de fonctionnement, avec notamment une amélioration notable des salaires des quelque 400 000 fonctionnaires, donc de leur pouvoir d’achat, ainsi que des dépenses d’investissement pour doter le pays d’infrastructures modernes et d’équipements collectifs.

La loi de finances complémentaire adoptée par le Parlement en juillet comporte un plan de relance d’un montant de 730 millions de dinars en 2009 [près de 390 millions d’euros]. À quoi cela a-t-il servi ?

Ce programme est articulé autour de deux axes principaux. Une action de soutien par la prise en charge d’une partie ou de la totalité, selon les cas, des cotisations patronales, une aide destinée aux entreprises dont l’activité est liée à l’exportation et qui acceptent, malgré les difficultés, de ne pas recourir au licenciement définitif mais à une simple réduction de l’horaire du travail ou au chômage technique partiel. À cela s’ajoute une enveloppe budgétaire pour une formation complémentaire pour aider à une réadaptation professionnelle s’il le faut. Ce soutien facilite également la consolidation et le rééchelonnement des impayés éventuels sur les crédits à l’exportation à la suite des retards de paiement de clients étrangers. Sur 2 800 entreprises exportatrices, seules 240 ont eu recours à ces mécanismes, ce qui nuance très largement l’impact réel effectif de la crise.

Et quid de l’autre axe d’intervention ?

Il porte sur des actions de relance de l’activité économique en général par un accroissement de l’investissement public dans les infrastructures de base, par des incitations favorisant une attitude « agressive » en matière d’exportation, et par une consolidation de l’assise financière des banques publiques.

Quel en sera l’impact sur la dette publique ?

Il existe, au plus haut niveau de la hiérarchie politique, une conscience profonde de la nécessité de sauvegarder et de maîtriser les équilibres macroéconomiques, notamment au niveau des finances publiques, et de ne pas hypothéquer l’avenir par un endettement lourd. Ce souci est illustré par l’évolution très satisfaisante du taux d’endettement public, qui est passé de 62,5 % du produit intérieur brut (PIB) en 2001 à 48 % fin 2008 – soit un gain de 14,5 points, une performance obtenue à la faveur d’une croissance économique continue, laquelle a eu un effet positif sur les recettes fiscales. Et ce malgré la succession des chocs externes, l’envolée des prix du baril du pétrole, des matières premières et des biens de consommation, sans oublier la crise actuelle.

Selon vous, combien de temps cette crise va-t-elle durer ?

Il est difficile de se prononcer avec certitude. L’ambiguïté et la fréquence inhabituelle des ajustements des niveaux de croissance dans les pays industrialisés, particulièrement nos partenaires, impliquent beaucoup de prudence. Espérons que d’ici à fin 2010 la situation économique s’améliore sensiblement. Il est donc important de donner à nos opérateurs économiques un message clair concernant notre volonté de maintenir une intervention forte de l’État, ce dernier étant le premier investisseur et le premier employeur du pays.

Quel sera le niveau du déficit budgétaire en 2010 ?

Il se situera à un niveau comparable à celui de 2009, environ 3,7 %, un taux nettement en deçà du niveau maximum tolérable. Cela permettra au Budget d’assumer convenablement son rôle de soutien et de relance, sans compromettre l’équilibre des finances publiques ni remettre en question les efforts continus pour réduire encore davantage notre taux d’endettement.

Comptez-vous augmenter les taxes en 2010 ?

Non. Le schéma préliminaire d’équilibre pour le budget 2010 ne comporte pas d’hypothèse d’augmentation des taxes, surtout pas au niveau de l’appareil de production. Si cela était le cas, ce serait à mon avis incohérent avec notre stratégie de soutien et de relance, et peut-être même improductif. Nous comptons plutôt sur une amélioration de l’assiette fiscale, en relation d’ailleurs avec l’hypothèse de croissance retenue pour notre PIB de 4 % à prix constants en 2010.

Pourtant, les chefs d’entreprise se plaignent de la lourdeur de votre fiscalité…

Souhaiter moins de taxes tout en restant exigeant sur le rôle de l’État en matière d’infrastructures et d’équipements collectifs de base est peut-être quelque chose d’humain… Mais votre question m’amène à faire quelques précisions utiles. Tout d’abord, le niveau de pression fiscale, hors recettes pétrolières, se situe à 18,4 % du PIB en 2009. C’est tout à fait acceptable compte tenu du niveau et de la structure de notre tissu économique et du stade de développement atteint. Secundo, il est tout à fait possible d’améliorer cette pression fiscale globale sans pour autant augmenter les taxes, grâce à une meilleure répartition de l’effort contributif de tous les agents économiques. Une double action est actuellement engagée à ce titre. Une action de modernisation de l’administration fiscale (pour se rapprocher au mieux de cette équité fiscale réclamée par tous et pour lutter efficacement contre la fraude) et une action de sensibilisation à l’intention de tous les contribuables.

Quels sont vos arguments ?

Notre double action est légitimée par la qualité de notre gestion des dépenses publiques. Vous n’êtes pas sans savoir que la Tunisie est, depuis plusieurs années, très bien classée par le Forum de Davos selon le critère de « non-gaspillage des dépenses publiques » [selon le rapport publié le 8 septembre par le Forum économique mondial 2009-2010, la Tunisie se place au 5e rang mondial, NDLR]. À cela s’ajoute la succession d’une multitude de réformes qui ont permis de moderniser la fiscalité, d’assouplir les procédures, de garantir tous les droits au contribuable par un dispositif juridique complet et, enfin, de réduire le niveau des taux de l’impôt sur les sociétés et de la TVA.

Confiant, donc, dans l’avenir ?

Absolument. Une confiance dans notre capacité de réagir au plus vite si la situation économique et financière l’exige, mais aussi une confiance soutenue par l’optimisme d’un nouveau programme de réformes et de modernisation de l’économie, sachant que la Tunisie vivra dans quelques semaines un événement politique majeur avec l’élection présidentielle et les législatives. 

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