L’heure du bilan
À un mois de l’échéance présidentielle, retour sur les mandats de Zine el-Abidine Ben Ali. Le chemin parcouru par le pays en vingt-deux ans en matière de développement économique et humain est considérable.
1987-2009 Les années Ben Ali
L’année 2009 n’a pas été facile pour les planificateurs et les opérateurs de l’économie tunisienne. La récession dans les pays de l’Union européenne, principal partenaire commercial, a eu un impact sur les exportations, cassant le rythme de croissance honorable de ces dernières années, dont le taux, depuis vingt ans, a été en moyenne de 5 % par an. Les experts ont cependant de quoi être satisfaits : les fondamentaux de l’économie étant solides, le pays a pu jusque-là juguler les effets de la crise économique internationale, et a parfois même su en tirer avantage. Le taux de croissance attendu pour 2009 se situe à 3 % : une performance si on le compare à celui de ses partenaires commerciaux européens, en récession. Par ailleurs, dans un classement publié ce mois-ci sur 82 pays, le cabinet britannique Bespoke Investment Group classe la Bourse de Tunis en sixième position parmi les 41 places boursières internationales qui ont le mieux résisté à la crise mondiale, et première en Afrique et dans le monde arabe. Enfin, la Bourse de Tunis reste dans le vert (avec une hausse de 12,04 % depuis le 15 septembre 2008), alors que les 40 autres sont dans le rouge.
Un chef d’État « Business friendly »
Bref, à la veille des élections législatives et de l’élection présidentielle – à laquelle le président Zine el-Abidine Ben Ali se présente pour un cinquième mandat –, qui se dérouleront le 25 octobre (voir encadré), le gouvernement est à son aise. Globalement, le bilan économique et social depuis 1987 comporte de nombreux points forts unanimement reconnus.
Depuis l’accession au pouvoir de Ben Ali et durant ses quatre derniers mandats, il a instauré un système présidentiel centralisé qui lui permet de décider aussi bien des grandes orientations que des détails pour impulser l’action du gouvernement et d’en assurer le suivi. Rapidement, il est devenu ce que l’on appelle chez les Anglo-Saxons un dirigeant « business friendly », qui a permis de réhabiliter l’entreprise et, à ceux qui ont l’esprit d’initiative, de s’enrichir sans avoir à en rougir. D’où l’apparition de grands capitaines d’industries dont le pays n’est pas peu fier. À cet égard, il pousse sans relâche le gouvernement à sortir de sa frilosité et à réduire massivement les lourdeurs des services administratifs dès lors que sont concernés l’investissement, les entreprises, le change et la douane. « La liberté est la règle et l’autorisation l’exception », lit-on dans le programme présidentiel 2004-2016…
L’accord d’association conclu en 1995 avec l’Union européenne, qui a mené à l’établissement d’une zone de libre-échange effective depuis 2008, ainsi que l’adhésion aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont permis au pays de se façonner une vision. Il a fait le choix d’une politique d’ouverture sur l’économie de marché et celui de la diversification sectorielle, avec des entreprises tournées vers l’exportation en raison de l’exiguïté du marché local et pour l’attraction des investissements directs étrangers (IDE). Une vision qui rappelle celle des dragons asiatiques, comme la Corée du Sud, Singapour ou Taïwan, tout en gardant un œil sur le modèle méditerranéen de l’Espagne et du Portugal dans leur démarche d’arrimage à l’Europe. Et, en cela, la petite Tunisie voit grand.
Pari sur l’humain
Pour y parvenir, son principal point fort réside dans ses ressources humaines. Au cours des deux dernières décennies, l’État a fait le choix politique de poursuivre, d’adapter et d’approfondir l’œuvre engagée depuis l’indépendance en matière d’éducation et de formation professionnelle – secteur qui reçoit actuellement 7,5 % du PIB et dont le budget annuel est augmenté en moyenne de 10 % chaque année. Ainsi, de moins de 40 000 en 1986-1987, les étudiants sont aujourd’hui 400 000, soit des effectifs universitaires multipliés par dix… et majoritairement composés de jeunes femmes.
Autre point fort sur le plan des compétences : les technologies de l’information et de la communication (TIC). Là encore, sous l’impulsion du chef de l’État, que l’on sait féru d’informatique – et, même, « surfeur » assidu –, le pays a fait le choix, depuis plus de dix ans, de miser sur les TIC et de développer dans ce domaine « une stratégie avant-gardiste », comme l’a relevé l’Américain Steve Balmer, le directeur général de Microsoft, lors d’une visite au Palais de Carthage, en octobre 2007. Résultat : le pays forme désormais 50 000 étudiants par an dans cette spécialité, dont 5 000 ingénieurs – un nombre qui devrait être porté à 7 000 en 2011 –, et, attirés par ces compétences, de grands groupes internationaux s’implantent dans les technopoles dédiées aux TIC et créées par l’État ou par des investisseurs étrangers. Désormais, la part du secteur dans le PIB avoisine les 10 %. Mais il faut aller encore plus loin : « L’objectif du chef de l’État dans ce domaine est de faire de la Tunisie une destination technologique et un pôle régional d’activités innovantes », souligne El Hadj Gley, ministre des Technologies de la communication.
Cette valorisation des ressources humaines, associée à la politique d’ouverture, a permis à la Tunisie de diversifier son économie, d’attirer plus d’IDE et d’exporter davantage. Elle compte aujourd’hui plus de 5 700 entreprises industrielles (2 670 totalement exportatrices), dont plus de 4 000 ont bénéficié de soutiens pour moderniser leurs outils de production et leur gestion. Le pays ne se cantonne plus aux secteurs classiques, comme celui du textile où, selon les années, il est le cinquième ou sixième fournisseur de l’Europe. Il s’est positionné, à temps, sur d’autres créneaux à plus forte valeur ajoutée et s’impose aujourd’hui sur les marchés des industries mécaniques électriques et électroniques (IMEE). Avec plus de 380 entreprises, dont les exportations ont dépassé les 6 milliards de DT (3,2 milliards d’euros) en 2008, soit six fois plus qu’il y a dix ans, ce secteur ne cesse d’innover et d’aller vers toujours plus de valeur ajoutée, notamment dans l’aéronautique.
Priorité à la cohésion territoriale et sociale
Dans le même temps, le pays s’est doté d’une politique d’aménagement du territoire qui a privilégié et les infrastructures et la qualité de vie des Tunisiens. Désormais, plus de 99 % des ménages ont l’électricité, 98 % sont raccordés au réseau d’eau courante et plus de 81 % au réseau d’assainissement.
En matière de développement humain, l’espérance de vie se situe à 74 ans, on compte 1 médecin pour 865 habitants, avec un taux de couverture sociale qui est passé de 53 % en 1987 à 93 % aujourd’hui. Volet essentiel de l’aménagement urbain, le logement, ici, ne connaît pas la crise : près de 80 % des ménages sont propriétaires, et « nous avons un nombre de logements de 14 % supérieur à celui des ménages, ce qui est à ma connaissance une première mondiale », remarque Mohamed Hédi Slim, le directeur général de l’Habitat au ministère de l’Équipement. Mieux : officiellement, les 0,8 % de logements rudimentaires et insalubres recensés en 2004 ont presque tous été éradiqués dans le cadre du Fonds de solidarité nationale (« 26-26 »). Ce choix politique résolu de la solidarité explique aussi que le taux de pauvreté se situe en dessous de 4 %, les autorités évaluant par ailleurs la part de la classe moyenne à plus de 80 % de la population.
Ne pas s’endormir sur ses lauriers
Pays émergent, la Tunisie ne doit cependant pas s’endormir sur ses lauriers si elle veut rejoindre le cercle des pays développé. Ainsi, les performances relatives du taux de croissance que nous évoquions précédemment (près de 5 % en moyenne par an depuis vingt ans) sont, certes, honorables, mais insuffisantes pour les ambitions du pays. Le gouvernement lui-même et la Banque mondiale estiment que ce taux devrait se situer au moins à 7 % pour créer un nombre d’emplois qui permette de résorber le taux de chômage, stagnant depuis des années autour de 14 %.
Dans le même ordre d’idée, lors d’un débat national organisé cet été, le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, à l’unisson avec les patrons tunisiens, a fait l’inventaire des points faibles qui entravent la productivité, dans le public comme dans le privé : absentéisme, absence de culture d’entreprise et d’esprit d’initiative, manque de motivation du personnel, taux d’encadrement dans le privé encore trop faible, lacunes en matière de transparence financière… La liste est longue.
« Les réalisations économiques de la Tunisie ne sont pas une raison pour s’adonner à l’autosatisfaction, rappelle Mohamed Ghannouchi. Et il serait utile d’évaluer les capacités du pays à atteindre ses objectifs dans l’actuelle conjoncture internationale. » Une remise en question qui constitue, mine de rien, un signe supplémentaire de bonne santé.
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