Patrice Sokü

À 30 ans, ce jeune designer né à Kinshasa a déjà créé sa propre griffe, au Canada. Avant de remporter la finale d’une émission de télé-réalité consacrée à la mode.

Publié le 21 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Sa future boutique, il l’imagine sûrement à Québec, sa ville d’adoption. Elle serait épurée et chaleureuse. En passant la porte, les clients se sentiraient à l’aise, inspirés par la modernité du lieu et attirés par la griffe Sokü « d’inspiration européenne chic ». Ce projet ambitieux, Patrice Sokü (30 ans) peut se le permettre. Et il y a de bonnes chances qu’il prenne forme dans les prochains mois.

Les grands défis font en effet partie du quotidien de ce discret designer néo-québécois. Le dernier en date, c’était La Collection, une émission de télé-réalité à laquelle il a participé, et dont, à la surprise générale, il a remporté la finale, le 10 juin. Soit un contrat de 100 000 dollars offert par les magasins La Baie du Québec, qui distribueront sa collection automne-hiver.

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Déjà connu dans le milieu des créateurs, Patrice Sokü n’avait pas vraiment besoin de cette publicité. Figure montante de la mode québécoise et habitué des Semaines de la mode de Montréal, manifestation qui rassemble chaque année plus de 150 acheteurs internationaux, il compte parmi ses clients réguliers le célèbre metteur en scène québécois Robert Lepage.

« J’ai fait la rencontre de Patrice par hasard, raconte l’homme de théâtre. J’ai eu un coup de cœur pour l’un de ses vestons présentés dans une vitrine de la rue Saint-Jean. Quand j’ai su qu’il était de Québec, j’ai voulu le connaître davantage. Maintenant, je porte quelques-unes de ses créations en Europe, et les gens s’intéressent beaucoup à mes vêtements. Ils attirent l’attention. »

Lorsque Patrice évoque son travail, il n’abandonne jamais son air sérieux. « D’abord, on crée un vêtement pratique, puis le design vient se greffer dessus et s’y intégrer. Le bouton, par exemple, est un élément de design, il n’a pas seulement une fonction de fermeture. »

En l’écoutant, on comprend que son univers est bien éloigné des feux de la rampe, du côté « jet-set » de la haute couture. Patrice Sokü est un travailleur solitaire. « Ce n’est pas que je ne sois pas sociable, mais je préfère me concentrer sur mon travail. » C’est donc contre toute attente qu’au mois d’avril, il a sauté dans l’arène médiatique. « La documentaliste de l’émission m’avait approché pour me suggérer de m’inscrire. Je l’ai fait. » Après tout, pourquoi ne pas utiliser cette vitrine médiatique pour faire valoir son talent ?

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La Collection a débuté le 22 avril et a réuni en moyenne 700 000 téléspectateurs. Chaque semaine, un designer était éliminé. D’emblée, Patrice le consciencieux est apparu comme un redoutable candidat face à de jeunes designers qui n’avaient ni son expérience ni sa désarmante assurance. Chaque concurrent ne disposait que d’une dizaine d’heures pour livrer une création. La constance et le sérieux de Patrice ont fait la différence. Il est le premier Africain à remporter la finale. « Lorsque je suis arrivé dans ce pays, confie-t-il, je me suis dit que je deviendrais une personnalité publique. Et c’est ce qui s’est produit ! »

Né en 1979 à Kinshasa, en RD Congo, dans une famille de onze enfants, Patrice suit son père diplomate quand, dix ans plus tard, ce dernier est nommé en France. Après son bac, il entreprend des études de design et décroche un brevet de technicien supérieur à l’École de Condé, à Paris. « J’ai aimé l’éducation que j’ai reçue de mon père. Il m’a toujours laissé faire ce que je voulais. »

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Libre et autonome, Patrice décide en 1999, à tout juste 20 ans, de mettre les voiles. Une de ses amies de l’école le convainc de franchir la Méditerranée et de la rejoindre chez Nagada, une maison de haute couture du Caire, en tant que designer assistant. « J’ai adoré l’Égypte, dit-il. Ce fut une expérience humaine inoubliable. » Mais, rapidement, il s’ennuie. Alors, en 2000, il quitte l’Égypte pour Israël, où il est contraint de mettre de côté sa créativité pour un travail plus alimentaire dans la confection de vêtements pour hommes.

En juin 2001, il revient en France et entre chez Jean Paul Gaultier en tant qu’assistant designer. « J’ai beaucoup appris, notamment en ce qui concerne la préparation d’un défilé. Mais j’avais besoin de plus de liberté, d’autre chose que ce qu’offre le milieu strictement parisien. » Sokü l’ambitieux cherche à s’épanouir dans son travail et aspire à relever de nouveaux défis. Il a toujours entendu parler des valeurs canadiennes de libre entreprise. Et de la facilité d’en créer une dans ce pays. Alors il présente une demande de résidence permanente et l’obtient facilement, au bout d’un an. En mars 2003, il débarque à Montréal, mais n’entre pas en contact avec les autres designers du pays.

« Je ne suis pas du genre à courir les événements. Je veux montrer mon travail, pas juste me montrer dans les cocktails. » Se posant à contre-courant, Patrice Sokü affronte la dure réalité. « Le métier de designer est loin d’être simple en Amérique du Nord. En Europe, il existe une clientèle capable d’acheter des « morceaux », des vêtements chers et qui durent longtemps. Ici, on table davantage sur la quantité. La mentalité canadienne est celle de l’ultraconsommation. Mes créations ne s’y prêtent pas. »

Après quatre années à Montréal, Patrice recherche un environnement plus intime. Il pense alors à Québec, ville plus « régionale ». Pour ne pas dire provinciale. Mais, à Québec, la mode est un « trou noir ».

Fonceur, Sokü y ouvre néanmoins un atelier en 2006. « Osciller entre le démocratique et l’unique, sans jamais être snobinard », tel reste son leitmotiv. Il a la chance d’être financièrement autonome. C’est lui qui finance ses propres créations : « Mes décisions, je les assume seul, je n’ai pas besoin de demander à ma banque si je dois ou non réaliser tel ou tel projet. » Le jeune Congolais s’est toujours battu pour être libre. Il méprise la « victimisation » facile. Sa solution ? « Être constamment d’attaque pour se réaliser. »

Au Québec, il n’a jamais vraiment connu de problèmes d’intégration. Bien sûr, le fait de travailler à son compte l’y a aidé. « Oui, ici comme ailleurs, il y a des gens méfiants, mais j’en fais abstraction. On peut essayer de me mettre des bâtons dans les roues, mais quand j’estime que j’ai le talent pour faire quelque chose, il est très difficile de m’arrêter. »

Ses origines, il ne les renie pas. Comme la plupart des immigrés attachés à leurs racines, il aimerait retourner au Congo. Mais il ne cache pas que la crainte d’être déçu le paralyse un peu. « Vu d’ici, on a l’impression que rien n’avance, ça fait mal. Mais l’envie de bâtir quelque chose là-bas est présente. »

Sans trop se prononcer sur un éventuel retour au pays, Patrice préfère se concentrer sur le présent : « Mon plus grand défi était de venir au Canada, de m’établir à Québec, de continuer à travailler dans mon domaine tout en étant mon propre patron et, enfin, de fonder une famille. »

Ce dernier défi, Patrice Sokü l’a, comme les autres, relevé : il est aujourd’hui papa de deux jumeaux, Elliot et Mathias.

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