France : le mystère Strauss-Kahn
Pour le Parti socialiste, en plein désarroi après sa déroute aux européennes et miné par ses éternelles divisions, l’actuel directeur général du FMI peut-il constituer un recours en vue de l’élection présidentielle de 2012 ?
C’est la surprise de la rentrée. Dominique Strauss-Kahn s’est enfin exprimé sur les primaires socialistes pour l’élection présidentielle de 2012. Au Monde, qui lui demandait benoîtement ce qu’il en pensait, il a répondu avec un humour calculé : « Le FMI n’a aucune position à ce sujet. » Pouvait-il répondre autrement sans décourager les curiosités ? Il a compris qu’un certain art de se taire sur les sujets sensibles était le plus sûr moyen et le moins compromettant de faire parler de lui. Et de se placer dans la position avantageuse de l’homme recours en réserve de la République. Toujours est-il qu’il ne risquera pas cette fois-ci de se faire respectueusement rabrouer par le conseil du Fonds pour avoir manqué aux clauses rigoureuses de son statut. Elles l’autorisent à rester membre de son parti et même « à y faire des contributions », mais lui interdisent de s’engager dans des « activités politiques partisanes ».
« Pas mon job »
Aussi multiplie-t-il les précautions pour se faire discret… sans se faire oublier. Fini les déjeuners à Paris avec des fidèles de son ancien « courant ». Quand ils viennent le voir dans la capitale américaine et l’interrogent sur la situation en France, il se dérobe : « D’ici, je ne peux pas apprécier les rapports de force. Et puis, ce n’est pas mon job. Faites ce que vous voulez. »
À Washington, sa femme, la journaliste star Anne Sinclair, comme à Paris Anne Hammel, son attachée de presse, verrouillent implacablement les demandes d’entretien. « Il ne veut pas de mélange des genres, explique cette dernière. Toute son énergie est pour le FMI. » On insiste, en vain, pour savoir notamment comment il réagit aux enquêtes favorables à sa candidature : « Non, cela l’embête et le dérange. » Mot clé que ce « dérange ».
L’arrange, au contraire, l’éloignement qui le met à l’abri des luttes fratricides du marigot sans le mettre hors jeu des pronostics pour 2012. Ses silences sont étudiés. De temps à autre, il lâche une petite phrase en forme d’oracle pour rappeler à toutes fins utiles que « retrait » ne signifie pas « retraite » : « La France ne me quitte pas… comme citoyen. » Il explique sur RTL pourquoi il a déclaré à France 2 qu’il « ne renonce pas à être français », et reconnaît que « cela doit vouloir dire autre chose ».
Il faut remonter à son déjeuner avec des proches dans un restaurant parisien du 7e arrondissement, en mai 2008, six mois avant le congrès du PS, pour trouver dans ce florilège des formules moins contournées. Une journaliste de l’Agence France-Presse rapporte la confidence d’une invitée : « Dominique nous a rassurés et redit que son objectif était 2012 et qu’il s’y préparait. » Un autre convive, qui l’a, lui aussi, trouvé « très déterminé », se montre plus prudent : « Il n’a pas annoncé sa candidature, mais ne l’exclut pas s’il est en situation de se présenter. »
Cette tactique de la présence dans l’absence lui a jusqu’ici plutôt réussi. Il n’est pas candidat à l’Élysée et personne ne peut dire s’il le sera, même si ses proches sont persuadés « qu’il y pense », mais « sans obsession », précise Pierre Moscovici. Osons alors un néologisme : il est « candidantiable ».
La plupart des sondages en font le préféré des Français. Il est en tête chez les sympathisants du PS. S’il ne distance que de quelques points Martine Aubry, Ségolène Royal et Bertrand Delanoë, il creuse l’écart quand on interroge les sondés sur « la personne la plus capable de diriger la France ». De même répond-il le mieux aux trois critères du désir qu’il soit candidat, de l’attention aux préoccupations des gens et de la défense de leurs intérêts. Dans l’ensemble de l’électorat, il est celui qui ratisse le plus large. Il empiète sur la droite sans perdre l’équivalent à gauche. Il récupère une large partie de l’électorat du Modem de François Bayrou. Il cartonne chez les personnes âgées, qui sont à la politique ce que les ménagères de moins de 50 ans sont à la pub et qui ont décisivement contribué à la victoire de Nicolas Sarkozy.
Quand piaffent les quadras
Voilà qui relativise l’objection souvent entendue au PS : il n’a pas, ou n’a plus, de « courant ». Il a mieux : la constance des courants d’opinion qui le portent. Loin derrière, les quadras piaffent mais piétinent sans qu’aucun ne réussisse à se détacher des autres malgré une surenchère d’initiatives séparatistes qui ne font qu’ajouter à la confusion. Laquelle sert les intérêts de DSK en le plaçant au-dessus de la mêlée, position idéale pour prétendre éventuellement au sommet.
Dans une élection présidentielle qui, en 2012, restera dominée par la crise ou ses séquelles, le choix des électeurs sera principalement économique et social. Candidat d’un PS recentré, l’ancien ministre des Finances, agrégé de sciences économiques, apparaîtrait là encore en situation favorable pour engager enfin la gauche dans la voie d’une social-démocratie à la française, c’est-à-dire où la politique, tout en reconnaissant la primauté de l’économique, aurait pour vocation d’en corriger les dérives par d’énergiques mesures sociales. « I am a free market socialist », avait-il déclaré à son arrivée au FMI pour dissiper les préventions anglo-saxonnes envers son « gauchisme » supposé. Il n’a eu aucune peine à le faire admettre à Washington : « Ici, dit-il, je suis vu comme un socialiste adepte du libre-échange. » Nul doute qu’il saurait trouver dans une plate-forme de candidature les arguments et les annonces capables de rallier la majorité des électorats de gauche et du centre à son socialisme du réel.
Nouveau Jacques Delors ?
La crise l’avantage d’une autre façon, au point qu’on peut se demander si Nicolas Sarkozy ne regrette pas de l’avoir fait nommer au FMI alors qu’aucun expert ne la voyait venir. Elle a métamorphosé un administrateur international, si élevés soient son rang et son rôle, en un gestionnaire politique qui traite avec les chefs d’État et de gouvernement des moyens de sortir du cauchemar.
Dans ce cadre de réflexion pour l’avenir, la question n’est plus « DSK pourrait-il être candidat ? », mais « le voudra-t-il ? ». Ici s’impose la comparaison avec Jacques Delors. Ancien ministre des Finances, comme lui, et désireux, comme lui encore, d’ajouter un jour la France à l’influente réunion des social-démocraties européennes, ce dernier présida pendant neuf ans la toute-puissante Commission européenne, ce qui en faisait l’égal des plus hauts dirigeants. Soutenu, pour ne pas dire investi, par les sondages, il refusa finalement l’Élysée qui s’offrait à lui. Comme certains le disent aujourd’hui de DSK, il n’aurait eu qu’à paraître… Voulait-il être nommé sans avoir à se présenter, selon la féroce boutade de François Mitterrand ?
« DSK, lui, n’aurait pas hésité », assurent certains de ses amis. Il hésite pourtant, à en croire d’autres témoignages, et ne manque pas de raisons pour s’interroger, si loin de l’échéance, avec la seule certitude d’affronter le plus redoutable des adversaires en la personne de Nicolas Sarkozy. Il lui faudra d’abord passer avec succès l’épreuve des primaires. Beaucoup dépendra de leur date. Si elles sont confirmées pour le second semestre de 2011, comme s’y emploie activement Pierre Moscovici, DSK, directeur du FMI jusqu’à septembre 2012, aura le temps de se dégager pour se déclarer et préparer une courte campagne. Les sondages actuels ne peuvent que l’y pousser.
Pas au point cependant de décourager ses concurrents les plus proches. Une enquête d’opinion le rétrogradait même à la deuxième place derrière Martine Aubry avant, il est vrai, que la première secrétaire du PS ne soit empêtrée dans les scabreuses révélations sur les fraudes qui remettraient en question son élection. Si ce vilain abcès n’était pas rapidement débridé, l’affaire ne pourrait que profiter à Ségolène Royal, qui reste sa plus menaçante rivale.
Sur un plan personnel, les doutes sur une éventuelle candidature Strauss-Kahn ne sont pas moindres. L’Élysée n’est pas seulement une glorieuse consécration, il est aussi un austère enfermement, sous la constante pression des médias. DSK voudra-t-il, le moment venu, sacrifier pour un résultat toujours aléatoire une situation parmi les plus enviées du monde occidental, ainsi que la liberté et l’hédonisme d’une existence auxquels on le sait très attaché ?
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