Yémen : Etat en voie de disparition

Activisme séparatiste dans le Sud, rébellion chiite dans le Nord, déclin de la production pétrolière, croissance démographique galopante… Le pays d’Ali Abdallah Saleh est au bord de l’implosion.

Publié le 21 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

Au pouvoir depuis plus de trente ans – il dirige le Yémen du Nord depuis 1978 et l’ensemble du pays depuis 1990 –, le maréchal Ali Abdallah Saleh se bat pour sa survie politique. Assailli de toutes parts, il se retrouve dans la pire situation qu’il ait jamais connue.

Nombre de problèmes auxquels il est confronté plongent leurs racines dans l’histoire chaotique du pays, en particulier le renversement de l’imamat zaydite par un coup d’État « républicain » en 1962 et l’union, en 1990, entre le Yémen du Nord, dirigé par le Congrès général du peuple d’Ali Abdallah Saleh, et le Yémen du Sud, socialiste. Une union qui ne sera pas un franc succès. Et pour cause : peu après sa proclamation, près de 1 million de travailleurs yéménites étaient expulsés d’Arabie saoudite à cause du soutien apporté par leur pays à l’offensive de Saddam Hussein contre le Koweït.

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Ce sérieux coup porté à un pays déjà très pauvre eut pour conséquence ­d’étendre un peu plus la misère. En 1994, le Sud tenta de faire sécession par les armes, mais la guerre civile s’acheva, au terme d’un effroyable bain de sang, sur la victoire du Nord et l’occupation, le 7 juillet, d’Aden, la capitale du Sud. Ce sont les ressentiments nés de cette guerre, et qui couvaient sous les cendres, qui ont éclaté au grand jour et conduit à une nouvelle explosion.

D’aucuns diront que l’histoire a rattrapé le maréchal, aujourd’hui littéralement assiégé. Car le Sud clame de nouveau sa volonté de faire sécession et de créer un État indépendant, sous le leadership d’Ali Salem al-Beid, ancien président du Yémen du Sud. À la pointe du combat séparatiste, le soi-disant Mouvement de mobilisation pacifique sudiste, qui n’est clairement pas aussi pacifique que le suggère son nom. De fait, le Sud s’est préparé à une nouvelle confrontation. Cet été, le pays a été le théâtre de violentes manifestations contre le gouvernement de Sanaa, qui a répondu par une répression particulièrement brutale.

Au moins 100 000 déplacés

Autre ennemi du pouvoir central, au moins aussi dangereux, Abd al-Malik al-Houthi, chef d’un mouvement rebelle du Nord qui lutte contre les autorités de Sanaa depuis 2004. Le premier leader des insurgés, Hussein al-Houthi, un parent d’Abd al-Malik, fut tué dans les premiers mois de la rébellion. Le président Saleh s’est juré d’écraser le mouvement, accusant les Houthi de vouloir détruire la République pour restaurer l’imamat zaydite. L’expédition punitive – l’opération Terre brûlée – qu’il a organisée au début de septembre a abouti, selon Aboudou Karimou Adjibade, représentant de l’Unicef au Yémen, à l’exode de 100 000 personnes, dont une majorité d’enfants. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a pour sa part évalué à 35 000, pour les seules deux dernières semaines d’août, le nombre d’habitants de Saada, place forte de la rébellion, qui ont dû fuir leur foyer. Le Programme alimentaire mondial (PAM), qui a acheminé par avions 40 tonnes de biscuits, a du mal à accéder aux déplacés en raison des combats. Les troupes gouvernementales, appuyées par l’aviation et l’artillerie, ont essayé d’ouvrir la route de Saada, bloquée un temps par les rebelles, qui contrôlent toujours les montagnes surplombant la ville. Les affrontements, qui auraient fait un très grand nombre de morts, constituent la pire explosion de violence depuis la guerre de sécession de 1994.

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Bien que les Houthi soient zaydites – une branche de l’islam chiite –, on ignore s’ils aspirent vraiment à restaurer l’imamat zaydite ou s’ils ne font que se soulever contre les discriminations économiques et les traitements injustes dont ils s’estiment victimes de la part de Sanaa. Ce qui est sûr, c’est qu’ils réclament un certain degré d’autonomie.

Dans tous les cas, le conflit menace d’impliquer des puissances extérieures. Le ministre yéménite de l’Information, Ahmad al-Lawzi, a ainsi accusé indirectement l’Iran de soutenir les Houthi, alors que l’armée loyaliste affirme avoir mis la main sur des armes de fabrication iranienne – dont des mitrailleuses, des missiles courte portée et des munitions. L’Arabie saoudite s’inquiète du fait que le conflit peut fournir à l’Iran l’occasion d’étendre son rayon d’influence tout près de ses frontières. Téhéran, de son côté, toujours soucieux de la sécurité des ­communautés chiites, appelle à un règlement pacifique du conflit.

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Ces soulèvements dans le Sud et dans le Nord surviennent dans un contexte particulièrement difficile pour le président Saleh et son gouvernement. La production pétrolière – 320 000 barils par jour – est en déclin, la chute des cours de l’or noir ayant frappé le pays de plein fouet. Sous l’effet d’une croissance démographique de 3 %, la plus élevée du Moyen-Orient, le nombre d’habitants devrait passer de 18 millions aujourd’hui à 35 millions en 2029, aggravant un peu plus la situation économique et sociale. Problème national récurrent, la culture du qat, une ­drogue à laquelle beaucoup de Yéménites sont dépendants, continue de faire des ­ravages. Principale activité commerciale du pays, elle occupe 145 000 ­hectares de terres, contre 80 000 il y a dix ans, et constitue un important poste de recettes pour l’État, mais ­également une source de ­corruption endémique impliquant aussi bien ­certaines des plus hautes ­personnalités que de nombreux agriculteurs.

Une aubaine pour Al-Qaïda

Enfin, comme si cela ne suffisait pas, le Yémen semble avoir attiré des ­cellules d’Al-Qaïda, dont celle responsable de l’attaque contre l’USS Cole dans le port d’Aden, en octobre 2000, qui fit dix-sept morts parmi l’équipage ­américain. De nombreuses personnes soupçonnées d’être des agents ­d’Al-Qaïda furent arrêtées et emprisonnées, mais, en février 2006, vingt-trois ­d’entre elles, dont les auteurs présumés de ­l’attentat contre l’USS Cole, ­réussissent à ­s’échapper via un tunnel débouchant sur une mosquée des alentours. Parmi les évadés, Nasser al-Wahayshi, 33 ans, ancien secrétaire d’Oussama Ben Laden, dont on pense qu’il est le chef d’Al-Qaïda au Yémen. Selon plusieurs sources, les cellules yéménite et saoudienne de la nébuleuse djihadiste auraient fusionné pour former Al-Qaïda dans la ­péninsule arabe, ce qui alarme les agences de contre-terrorisme, en Amérique et ailleurs, qui redoutent de voir le Yémen devenir un refuge pour les islamistes radicaux.

Le pays d’Ali Abdallah Saleh pourrait avoir besoin de la médiation des États voisins – dont les pays du Golfe, l’Arabie saoudite et même l’Iran – pour l’aider à résoudre ses conflits internes. Mais il a surtout besoin d’une aide ­d’urgence en matière de santé, d’éducation, de ­développement économique et de ­création d’emplois. Cette année, ­l’Agence américaine d’aide au déve­loppement international (USAid) a versé 24 ­millions de dollars au Yémen, une somme dérisoire en regard des ­milliards de dollars gaspillés par les États-Unis dans des guerres inutiles et perdues d’avance.

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