Maroc : l’USFP à la recherche de l’avenir perdu

Créé voilà cinquante ans, le grand parti de gauche n’est plus ce qu’il était. Depuis qu’il est associé au pouvoir, son influence s’est considérablement rétrécie. Mais l’arrivée en force du PAM peut lui rendre sa combativité.

Publié le 21 septembre 2009 Lecture : 6 minutes.

Où en est l’Union socialiste des forces populaires (USFP), le grand parti de gauche qui a longtemps dominé la politique marocaine et qui a traversé ces derniers temps une crise sérieuse dont il tarde à se remettre ? La question se pose dans un paysage politique en plein réaménagement avec l’irrésistible ascension du Parti Authenticité et Modernité (PAM) de Fouad Ali El Himma et la consolidation remarquable du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste).

L’USFP, qui s’appelait d’abord l’UNFP (N pour « nationale »), a vu le jour le 6 septembre 1959. Les hommes qui l’ont porté sur les fonts baptismaux – Mehdi Ben Barka, Abderrahim Bouabid, Abdallah Ibrahim, Fqih Mohamed Basri… – ne sont plus de ce monde. Quant à Abderrahmane Youssoufi, le dernier des ­Mohicans, après avoir été appelé par Hassan II au printemps 1998 pour diriger le « gouvernement d’alternance » et après avoir conduit, sous Mohammed VI, son parti à la victoire aux législatives de septembre 2002, il s’est retiré de la vie publique et s’est enfermé depuis dans un silence hermétique.

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Son successeur au poste de premier secrétaire, Mohamed Elyazghi, n’avait ni son charisme ni son autorité morale. Coupé de sa base, tournant le dos aux débats d’une société civile en pleine ébullition, le parti a vu son influence se rétrécir comme peau de chagrin. Et aux législatives de septembre 2007, il a dégringolé au cinquième rang ! La défaite, accompagnée d’une désaffection inquiétante des électeurs (taux de participation de 37 %), n’a pas ému outre mesure Elyazghi. Au cours des tractations qui ont entouré la formation du gouvernement Abbas El Fassi, le leader socialiste s’est préoccupé avant tout d’y avoir sa place, quitte à n’avoir rien à faire en tant que ministre d’État sans portefeuille. Il le paiera cher et sera même évincé de la direction – une première dans l’histoire de la gauche.

La crise s’est répercutée sur ­l’ensemble de l’USFP, qui, lors de son 8e congrès, à Bouznika, en juin 2008, n’a même pas réussi à se mettre d’accord sur le mode de scrutin pour désigner ses instances de direction et a dû suspendre ses travaux. En novembre 2008, quand les assises ont repris à Skhirat, la sagesse était au rendez-vous. L’USFP n’a pas cédé à la tentation de revenir à l’opposition, tentation inspirée davantage par l’émotion que par la raison. Elle s’est donné un programme politique, articulé en particulier sur la réforme des institutions, et un projet de révision de ses structures, avant de désigner une direction autour d’un homme de consensus et de rassemblement : Abdelouahed Radi

Echange de bons procédés

À son 8e congrès, l’USFP a donc évité le pire et limité les dégâts, mais allait-elle retrouver son énergie et son ­influence d’antan ? L’épreuve de vérité aura lieu le 12 juin 2009, date des élections locales. Les socialistes s’y sont préparés sérieusement. La veille de la consultation, un mémorandum a été adressé au roi pour demander des réformes politiques et constitutionnelles. Il est question, sans surprise, du renforcement des pouvoirs du Parlement, des prérogatives du Premier ministre, etc. Les résultats du scrutin seront loin des espérances. Stagnation en voix et en sièges. L’USFP a maintenu en gros sa présence dans les campagnes et n’a pas reconquis les villes qu’elle contrôlait dans le passé, comme Casablanca ou Fès. Deux ­succès atténuent les contre-performances, pour ne pas dire font illusion : le maintien du socialiste Tariq Kabbaj, implanté de ­longue date, à la mairie d’Agadir et l’élection de Fathallah Oualalou à Rabat. Dans le premier cas, c’est le résultat d’un échange de bons procédés entre l’USFP et le PJD : les socialistes ont donné ­l’appoint qui manquait aux islamistes pour obtenir Tétouan, et les islamistes ont permis la victoire socialiste à Agadir. Dans la capitale, l’ancien ministre des Finances a habilement profité d’un jeu d’alliances s’étendant à l’Istiqlal, au RNI et au PJD pour barrer la voie au candidat du PAM.

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Mais ce sont le PAM et le PJD, grands vainqueurs des élections, qui ont le plus de chances de concurrencer sur son ­terrain l’USFP et de contrecarrer sa renaissance. Le parti de Fouad Ali El Himma est arrivé en tête en contrôlant surtout les campagnes. Il chasse sur les mêmes terres que les socialistes, attirant les barons dans les agglomérations néocitadines ou les cadres qui traditionnellement allaient vers la gauche. Ouvertement, dès ses premiers pas, le PAM convoitait, sans doute prématurément, les dépouilles de l’USFP. Par ailleurs, c’est parce que le parti socialiste était mal en point et semblait condamné que l’idée d’une nouvelle formation ­politique a germé au palais. L’objectif est de prévenir le renforcement des islamistes concomitant à l’affaiblissement des socialistes et d’éviter ainsi la perspective d’un tête-à-tête entre la monarchie et le PJD, fâcheusement renforcé par les urnes.

Le PJD est, depuis les consultations du 12 juin, le premier parti dans les ­villes. À ce titre, il apparaît comme l’autre rival sérieux de l’USFP et s’efforce de recruter dans ses milieux de prédilection : jeunes, petit peuple, classes moyennes… Pour le moment, l’arrivée en force du PAM et sa percée impériale ont suscité, une fois la surprise passée, un réflexe de défense chez les formations indépendantes, qui n’ont pas oublié les mauvais souvenirs des « partis de l’administration ». D’où les rapprochements inspirés par l’urgence et les alliances de circonstance entre des formations qui n’ont pas grand-chose en commun. L’USFP, on l’a vu, a conservé une ville du Sud grâce au PJD, qui, en échange, a obtenu une ville du Nord. Mais, au-delà, on ne voit guère ce qui réunit socialistes et islamistes dès qu’il s’agit des questions de société ou de la place de la religion dans la cité.

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À quelque chose malheur est bon. C’est peut-être cette double rivalité avec à la fois le PAM et le PJD qui va inciter l’USFP à se réformer et à retrouver sa combativité. Dans ses cinquante ans de combat pour la démocratie avec des moyens pas toujours légitimes, mais de manière courageuse et constante, elle peut aisément puiser les valeurs qui font son identité et s’en inspirer pour reprendre la lutte toujours recommencée pour la liberté. Aux tentations du PAM de solliciter le concours inavouable des rouages de l’État, les socialistes, qui ont souffert de ces pratiques tout au long de leur histoire, peuvent exiger à bon droit l’indispensable neutralité de l’administration dans les joutes électorales. Personne ne s’étonnera au Maroc que les mêmes socialistes soient vigilants sur l’instrumentalisation de la religion et qu’ils rappellent aux islamistes ses dérives et ses crimes, comme l’assassinat du leader de l’USFP Omar Bengelloun en 1975.

À la réflexion, on se demande si l’USFP ne souffre pas, depuis la retraite d’Abderrahmane Youssoufi, d’un problème d’identité et d’adaptation. Les relations avec la monarchie, dramatiquement passionnelles jusqu’aux ­dernières années du règne de Hassan II, ont été apaisées et pacifiées. Grâce à l’alternance, la gauche a totalement et sincèrement adhéré aux institutions établies. Elle constitue aujourd’hui un ­facteur d’équilibre essentiel dans la configuration politique en place. Ce n’est pas un hasard si Mohammed VI a maintenu en place le gouvernement d’alternance et a préservé, même lorsqu’il a confié, en 2002, la direction du gouvernement à Driss Jettou, une coalition politique pratiquement inchangée. De même a-t-il tenu, malgré leur échec électoral, à garder les socialistes au gouvernement, à commencer par leur leader, Mohamed Elyazghi. Le roi a eu encore la même attitude vis-à-vis du nouveau premier secrétaire de l’USFP, Abdelouahed Radi, qui n’a pas pu se libérer pour se consacrer au parti et a dû conserver ses responsabilités à la tête du ministère de la Justice. 

Visibilité

Paradoxalement, c’est en concluant un « compromis historique » avec le palais, qui lui a permis d’occuper une place centrale au pouvoir, que l’USFP a perdu sa visibilité et du coup son prestige. Au gouvernement, avec Youssoufi comme avec Jettou, les socialistes n’ont pas démérité, mais, comme le note l’un d’eux, « les Marocains ne le savent pas ». Il faut dire qu’un Fathallah Oualalou, qui a dirigé avec rigueur et talent les ­Finances pendant dix ans, n’est passé à la télévision que deux fois ! Grâce au PAM et à Fouad Ali El Himma, cette « injustice » sera peut-être réparée aujourd’hui. En déclenchant les hostilités contre les islamistes, il ne manque pas de bousculer au ­passage les socialistes, qui, ne serait-ce que par patriotisme de parti, peuvent retrouver du poil de la bête et leur ­dynamisme. 

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