Bras de fer à Niamey

Le président a choisi la voie judiciaire pour traquer ses opposants, accusés de malversations financières. Dans cette période préélectorale, chaque camp fourbit ses armes. Tandja, pour le moment, a l’avantage.

Publié le 21 septembre 2009 Lecture : 5 minutes.

À quelques semaines des élections législatives, prévues le 20 octobre, le bras de fer s’intensifie entre Mamadou Tandja et son opposition. Pour le moment, le camp présidentiel marque des points. Dans le large choix des armes à la disposition des tenants du pouvoir, le président nigérien a opté pour la justice. Sous couvert d’une opération mains propres, 124 députés sont poursuivis, et les trois plus importants leaders de l’opposition sont sous le coup de poursuites judiciaires.

Mahamane Ousmane, ancien chef de l’État, ex-président de l’Assemblée nationale dissoute, président en exercice du parlement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), patron de la Convention démocratique et sociale (CDS-Rahama), est accusé de malversations dans la gestion du budget de la défunte Assemblée. Il a appris la nouvelle alors qu’il était à Abuja pour présider une session ordinaire du parlement de la Cedeao. Depuis, il refuse de rentrer au Niger de peur de se faire cueillir à sa descente d’avion.

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Autre leader en « exil », Hama Amadou. Ancien Premier ministre, ex-­président du Mouvement national pour la société de développement (MNSD-Nassara, parti de Mamadou Tandja) et longtemps présenté comme le dauphin du chef de l’État avant sa disgrâce en mai 2007, il est sous le coup d’un mandat d’arrêt international pour une affaire de détournement de deniers publics.

Quant à Mahamadou Issoufou, opposant de toujours, il a été inculpé le 14 septembre pour « malversations financières ». Président du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS-Taraya), il s’apprêtait, le 10 septembre, à embraquer sur un vol pour Cotonou quand un officier de police lui a appris qu’il était sous le coup d’une interdiction de sortie du territoire national décidée par le parquet du tribunal de Niamey.

Ces trois grandes figures de la vie politique nigérienne ont la particularité de se détester cordialement. Durant leur longue carrière, chacun d’eux a consacré une partie de son énergie à torpiller les intérêts et les ambitions des deux autres. Et s’ils se trouvent aujourd’hui embarqués dans la même galère, c’est uniquement parce que, pour une fois, ils avaient trouvé un thème commun : tous contre Tandja. Un front uni depuis que le président avait évoqué la possibilité de prolonger son mandat. 

Opération mains propres

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Il faut plus qu’une unité de façade pour faire reculer Mamadou Tandja. Il a en effet plus d’une carte dans sa manche, notamment des dossiers sur la gestion des uns et des autres qu’il laisse avec délectation s’étaler aujourd’hui sur la place publique. Une manipulation ? « Pas du tout, s’insurge un proche conseiller du président, les affaires instruites par la justice ­existent bel et bien, les faits ont été établis avant la dissolution du Parlement car les procédures ont été lancées en janvier 2009, avant même que l’avènement de la VIe République ne soit envisagé. » Autre argument, l’opération mains propres ne vise pas que l’opposition mais aussi de nombreux membres du parti présidentiel et des partisans du « oui » au référendum qui a offert à Mamadou Tandja la réforme constitutionnelle qu’il attendait.

Les poursuites lancées contre des hommes politiques nigériens surviennent à la suite d’une inspection des comptes de l’Assemblée nationale qui a révélé, début 2009, la « rupture d’égalité dans l’octroi des marchés publics, des détournements de fonds publics, des faux et usage de faux ». En tout, la fraude aurait porté sur 10 milliards de F CFA (15 millions d’euros). Parmi les inculpés figure Hamed Algabid, ancien secrétaire général de l’Organisation de la conférence islamique (OCI), patron du Rassemblement démocratique pour le progrès (RDP), qui est un allié inconditionnel de Mamadou Tandja. Il a fait campagne pour le « oui » au référendum. Cela ne lui a pas épargné les foudres de « l’opération d’assainissement et de moralisation de la vie publique », formule officielle utilisée pour évoquer la campagne en cours.

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Il n’empêche. Le timing est troublant. Une enquête est lancée au moment où le chef de l’État commence à envisager les différents moyens de rester au pouvoir. Cependant, la procédure, entamée avant la dissolution du Parlement, semblait gelée, et ne reprend réellement qu’en septembre. Quelques jours plus tôt, le 24 août, une trentaine de députés avaient déclaré le référendum illégal, nulle et non avenue la dissolution de leur Assemblée. Ils avancent pour argument que le délai légal d’organisation des élections après une dissolution (quatre-vingt-dix jours) a expiré depuis le 24 août. 

Une dérive monarchiste

Ces arguties relèvent du côté cour de ce bras de fer. Il y a aussi le côté rue. Sans moyen de s’exprimer depuis la dissolution de l’Assemblée, l’opposition n’a plus guère de tribune que la presse, sous surveillance, et la contestation publique. Les appels à la mobilisation sont nombreux mais sans grand résultat, mettant au jour un décalage entre la véhémence des propos de l’opposition et ses capacités à mobiliser les foules contre ce qu’elle appelle « une dérive monarchiste » du président Mamadou Tandja.

Là aussi il y a un problème de timing. Le pays, composé à 98 % de musulmans sunnites, est en plein ramadan, et, comme le note Sidibé Issoufou, principal animateur de l’intersyndicale qui regroupe les sept centrales les plus influentes, « un jeûneur est un piètre protestataire ». « Les tracasseries judiciaires qui ciblent les personnalités de l’opposition entrent dans une logique de liquidation de toute forme de résistance. Mais cette stratégie ne pourra pas assujettir la société civile », assure ce militant. Cette société civile n’est pourtant pas à l’abri de la machine judiciaire. Marou Amadou, leader du Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques, en liberté provisoire depuis le 16 septembre, reste sous le coup d’une inculpation pour « administration d’une organisation non déclarée ». Dans un pays qui, depuis des mois, est gouverné à grand renfort d’ordonnances et de décrets présidentiels, qui est passé d’une longue dictature à une série de coups d’État, la culture et la pratique de la démocratie ne sont pas encore très répandues. Les accents autoritaires du chef de l’État ne sont pas toujours perçus par la population, qui peine chaque jour pour se nourrir, comme un motif suffisant de révolte.

L’opposition, politique et civile, ne se décourage pas pour autant. Une grande manifestation est prévue à Niamey le 26 septembre.

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