Lavages en tout genre

Quand j’étais petit, il y avait trois salles de cinéma à El-Jadida, dont la plus fréquentée était celle de Mme Dufour. Officiellement, elle s’appelait Paris-Ciné, mais tout le monde disait « Dufour » – et la dame en question trônait devant la caisse, le chignon impérieux, le regard souverain, la main rapide à encaisser les dirhams du populo j’didi.

Fouad Laroui © DR

Publié le 15 septembre 2009 Lecture : 2 minutes.

C’est là que j’ai vu un jour un film dans lequel l’expression « lavage de cerveau » était utilisée. C’était une histoire d’espionnage à laquelle on ne comprenait rien, sinon qu’un agent secret avait subi un « lavage de cerveau », ce qui avait permis de le retourner. À la sortie du cinéma, une discussion d’une grande tenue scientifique s’engagea entre les spectateurs sur la place principale d’El-Jadida : pour laver un cerveau, faut-il d’abord l’ôter de la boîte crânienne, le récurer et le remettre ensuite dans la tête du mec ? Ou bien les Russes et les Américains avaient-ils inventé une méthode diabolique pour laver les cerveaux in situ ? Peut-être par infiltration d’une aiguille bourrée de détergent à travers l’os et la dure-mère ? La soirée s’acheva par une bagarre générale entre les tenants des deux thèses.

Vous me dites : « Je ne crois pas à ton histoire, c’est n’importe quoi, les gens ne sont pas aussi naïfs, même à El-­Jadida. »

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Je vous réponds : consultez la presse anglaise de la semaine dernière ! Un certain Karim Bernia, habitant les bas-fonds de Londres, a été condamné à quatre ans et demi de prison pour avoir bourré une machine à laver de billets de 50 livres (il y en avait au total pour 600 000 livres sterling – une fortune) et essayé de l’envoyer au Maroc. Hélas, son complice, un certain Bouhnafa, qui devait convoyer l’argent, fut arrêté à Douvres par les douaniers. Les gabelous, qui ont l’esprit clair sans avoir besoin de se laver la cervelle chaque matin, ne comprenaient pas pourquoi ce Bouhnafa transportait à travers quatre pays et deux continents une machine à laver alors qu’on peut en acheter à tous les coins de rue au Maroc. Ils ouvrirent la chose, et bingo ! Bouhnafa a écopé de vingt mois de prison.

Les juges de l’Old Bailey, le vénérable tribunal londonien, n’ont toujours rien pigé à l’affaire, paraît-il. C’est pourtant simple : Karim Bernia entend dans les pubs louches de l’East End que la façon la plus rapide de faire fortune, c’est de se lancer dans le blanchiment d’argent, qui se dit en anglais money laundering. Or une laundry, il sait ce que c’est : c’est là qu’il lave ses chemises et ses slips tous les samedis. Prenant l’affaire au pied de la lettre, il fait l’acquisition d’une machine à laver, la bourre de billets de banque mal acquis… La suite, vous la connaissez.

Je me demande maintenant si je n’ai pas croisé ce ­Karim quand nous étions tous deux gamins, au cinéma de Mme Dufour…

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